La ville de Hong Kong connaît depuis plusieurs mois la plus grave crise sociale de son histoire, marquée par des manifestations d’une ampleur et d’une violence inédites. D’où tire-t-elle son origine ? Quelles sont ses revendications ? Pourquoi perdure-t-elle encore ? Décryptage d’un mouvement pro-démocratie qui peine à obtenir gain de cause.

Depuis le début de l’année, difficile d’échapper à la protestation populaire qui sévit à Hong Kong, province semi-autonome du sud-est de la Chine. Chaque semaine, plusieurs centaines de milliers de Hongkongais descendent dans les rues, enchaînant occupations de lieux emblématiques et opérations coup de poing, pour contester la politique de leur gouvernement.

En cause ? Un projet de loi déposé par la cheffe de l’exécutif hongkongais Carrie Lam, en février dernier,  et qui vise à faciliter l’extradition vers la Chine de tout individu perçu par le pouvoir central comme une menace. Pour une majorité de la population, cette loi, jugée liberticide et anti-démocratique, permettrait de légitimer une plus grande mainmise chinoise sur la politique hongkongaise.

Les manifestations qui ont enflammé la province ces derniers mois ont donné lieu à de violents affrontements entre militants et forces de l’ordre. On compte au total plus de deux mille incarcérations et autant de blessés. Après six mois de mobilisation, la situation demeure sous tension, malgré l’annonce, le 4 septembre dernier, du retrait du texte controversé.

« Un pays, deux systèmes »

Hong Kong, région administrative spéciale de sept millions d’habitants, située au sud-est de la Chine. Crédits : Agathe Harel / Mapchart

Pour mieux saisir les enjeux politiques et culturels qui caractérisent cette mobilisation populaire, il faut faire un pas en arrière. Hong Kong a acquis son statut particulier au cours de son histoire. Au XIXe siècle, la Grande-Bretagne s’empare du territoire de Hong Kong à l’issue d’une guerre qu’elle livre avec la Chine.

Plus d’un siècle plus tard, la déclaration sino-britannique de 1984, signée par la Première ministre britannique Margaret Thatcher et le Premier ministre chinois Zhao Ziyang, établit les règles de la rétrocession du territoire : Hong Kong sera rendu à la Chine en 1997, à la condition que la province conserve son système judiciaire, politique et économique, régi par les valeurs libérales britanniques. C’est le principe d’ « un pays, deux systèmes », applicable pendant cinquante ans, soit jusqu’en 2047.

Ingérences chinoises

Malgré cet accord, perçu par Pékin comme un document « non-contraignant », et non comme un traité officiel, le pouvoir central chinois n’a cessé de multiplier les tentatives pour entraver la démocratie à Hong Kong. L’Etat de droit et les libertés exceptionnelles dont jouit la région représente, aux yeux du chef de l’Etat chinois Xi Jinping, une menace à l’autorité du parti communiste en Chine continentale.

En 2012, Pékin avait tenté d’imposer aux écoles hongkongaises des cours de patriotisme louant les mérites du parti unique, ce qui avait provoqué une vague de protestations de la part des parents d’élèves, des professeurs et des étudiants. Le gouvernement chinois avait également tenté de museler la liberté de la presse en forçant la fermeture de plusieurs maisons d’édition hongkongaises, connues pour vendre des ouvrages critiques envers la Chine.

Dans le sillage du « mouvement des parapluies »

La mobilisation de la population hongkongaise contre l’emprise chinoise ne date pas de cette année. Les multiples ingérences de Pékin sur la politique hongkongaise avaient déjà engendré une forte mobilisation pacifiste en 2014, connue sous le nom du « mouvement des parapluies », en raison des parapluies brandis par les manifestants pour se protéger des gaz lacrymogènes lancés par les forces de l’ordre.

Pendant plus de deux mois, plusieurs centaines de milliers de manifestants non-violents –principalement jeunes et étudiants- avaient paralysé les rues de la ville pour réclamer des élections au suffrage universel. A l’issue de cette révolte populaire, aucune concession du pouvoir central n’avait été faite et de nombreux porte-paroles du mouvement avaient été incarcérés.

Escalade de violences et revendications élargies

Si la mobilisation actuelle s’inscrit dans la continuité de la révolte des parapluies, avec des acteurs majoritairement jeunes et organisés, les manifestations de ces derniers mois se distinguent par  leur ampleur. Au plus fort du mouvement, deux millions de Hongkongais ont envahi les rues de la ville, sur une population totale de sept millions, soit près d’un Hongkongais sur trois.

Le mouvement, autrefois pacifique, a aussi été marqué par de violentes altercations provoquées par les policiers anti-émeutes, mais également par certains manifestants plus radicaux. Les hostilités ont pris un nouveau tournant mardi 1er octobre, lorsqu’un policier a blessé un manifestant de 18 ans à balle réelle, une première depuis le début de la contestation.

Alors que le texte de loi sur l’extradition a été définitivement abandonné, les Hongkongais poursuivent désormais leur mobilisation sur la base de revendications plus élargies. Ils réclament notamment la création d’une commission d’enquête indépendante sur les violences policières et, à nouveau, l’instauration du suffrage universel direct.