Depuis l’arrivée de Bruno Marchand à la mairie de Québec en novembre 2021, les projets de transport actif se multiplient. L’instauration du service àVélo, l’inauguration de la piste cyclable du chemin St-Foy ou l’aménagement de la zone piétonne dans le Vieux-Québec n’en sont que les signes précurseurs. Par l’entremise de ces initiatives, le maire souhaite « offrir des choix » de transport aux citoyens pouvant être utilisés été comme hiver : « Cette vision audacieuse nous permettra d’avoir un réseau quatre saisons connectant l’ensemble du territoire et offrant des occasions inégalées en matière de mobilité active », selon Pierre-Luc Lachance, l’adjoint aux transports de la Ville de Québec.

Pour plusieurs citoyens, cette mise à jour de l’infrastructure cycliste est nécessaire pour rattraper le retard de mobilité qui plombe la capitale provinciale. Et plusieurs experts roulent sur cette même voie.
D’après Dominic Villeneuve, professeur à la Faculté d’aménagement, d’architecture, d’art et de design de l’Université Laval, le transport actif engendre non seulement plusieurs bienfaits pour la santé des individus, mais diminue également leur empreinte écologique. D’ailleurs, le professeur soutient que le transport actif crée un moment de transition entre les destinations qui favorise l’évacuation du stress. « Quand je rentre du bureau pour m’en aller chez moi, il y a une grande coupure qui s’effectue. Et le stress du bureau reste au bureau, il s’estompe pendant le déplacement », nous confie-t-il.

Ce sentiment est partagé par Alice Groleau, une étudiante de la ville de Québec, qui se déplace presque exclusivement à bicyclette. Selon elle, prendre un autobus rempli de gens, « ça peut devenir démoralisant, même irritant ». Alice préfère enfourcher son vélo « c’est presque méditatif ». Il s’agit d’un moment durant lequel elle peut faire le vide dans sa tête. Même si certaines sorties sont plus difficiles que d’autres – lorsqu’elle est menstruée, note-t-elle – Alice ne regrette jamais d’utiliser ce moyen de transport « qui ne coûte presque rien ». Ses sorties sous la pluie sont même ses préférées.
Philippe Doucet est enseignant en francisation dans plusieurs écoles primaires et secondaires. Il parcourt à vélo la ville de Québec pour se rendre dans différents établissements scolaires, à moins que sa destination soit « à distance de marche ». Il est aussi un « cyclo-entrepreneur » : il est le propriétaire d’Écolophil, une entreprise hyperlocale de déneigement dans le quartier St-Jean-Baptiste. En plus de lui être utiles, les déplacements à vélo sont pour Philippe Doucet une occasion d’intégrer la pratique d’une activité physique dans son horaire de travail. Choisir la bicyclette comme mode de transport lui permet aussi d’éviter le trafic, de ne plus attendre l’autobus et de ne pas se soucier des enjeux de stationnement.
Bienfaits pour la santé

Dominic Villeneuve, estime que l’argument le plus solide pour convaincre la population d’adopter le transport actif est celui des bienfaits pour la santé. D’après lui, cet argument est encore plus convaincant que celui de la réduction de la pollution.
De son côté, l’Association canadienne de santé publique affirme que le transport actif aide à prévenir près de 25 maladies chroniques. Une étude sur le transport actif réalisée par l’Université de Glasgow auprès de 263 450 participants britanniques stipule également qu’il existe plusieurs bénéfices à se rendre au travail en utilisant l’énergie de son corps. L’étude menée sur cinq ans et publiée en 2017 établit que le vélo est le moyen de transport qui fait preuve du plus grand nombre d’avantages en réduisant les risques d’accidents cardiovasculaires, de cancers et de décès de façon générale.
Notre graphique ci-dessous relève quelques faits marquant de cette étude en comparant les utilisateurs d’un moyen de transport passif ou motorisé à ceux ayant recours à la bicyclette ou à la marche. Les résultats montrent que les utilisateurs de la bicyclette ont 41% moins de risque de mourir de causes prématurées, 52% moins de risque de subir un accident cardiovasculaire et 45% moins de risque de développer un cancer. En ce qui concerne les travailleurs qui marchent pour se rendre au boulot, les résultats démontrent qu’ils ont 27% moins de risque de développer une maladie cardiovasculaire et 36% moins de risque d’en mourir, comparativement à ceux qui se déplacent en automobile ou en autobus.
Une autre étude de The European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition (EPIC) sur plus de 7000 personnes diabétiques a aussi démontré que celles pratiquant le vélo diminuent leurs risques de mourir de 35 % d’une manière générale et 44 % d’une maladie cardiovasculaire, comparativement aux autres qui ne mobilisent pas un moyen de transport actif.
D’ailleurs, le transport actif est considéré officiellement comme un mode de transport « propre » parce que sa pratique n’émet pas de gaz à effet de serre (GES). La réduction des GES agit elle aussi sur la santé des citoyens. Le gouvernement canadien estime que, chaque année, 15 300 décès prématurés sont liés à la pollution de l’air par les particules fines.
En plus d’avoir des effets positifs sur la santé physique, le déplacement actif est associé à une meilleure productivité au travail. Une étude australienne de 2019 réalisée sur plus de 1000 travailleurs stipule que l’utilisation du transport actif comme le vélo stimule les fonctions cérébrales et la cognition, augmentant ainsi la productivité.
Devenir la cité du vélo
Par l’entremise des corridors Vélo Cité, l’administration Marchand souhaite améliorer l’accessibilité du transport actif pour les citoyens en favorisant une multitude de connexions sécurisées entre les différents quartiers de la ville. Pour Pierre-Luc Lachance, le projet des corridors Vélo-Cité s’inscrit dans la vision de la mobilité active mise de l’avant par son équipe : « Le but, c’est d’inclure un maximum de modes pour donner le choix aux gens, pour qu’ils ne soient pas dépendants d’un seul moyen. »

Tel que présenté en conférence de presse, le réseau des corridors Vélo Cité se distingue en plusieurs points des autres composantes du réseau cyclable actuel. Concevoir la forme de ce nouveau réseau a été « un travail de longue haleine », confie Pierre-Luc Lachance, dont l’équipe collabore depuis déjà quelques années avec des organismes tels Accès transports viables ou Vivre en ville. Parmi les caractéristiques des CVC dont se dotera la ville de Québec dans les dix prochaines années, on dénote une largeur confortable et suffisante permettant le dépassement, une identité visuelle distincte, une piste souvent séparée de la circulation automobile et un aménagement permettant le déneigement durant la saison hivernale.
Dominic Villeneuve se réjouit du projet annoncé par l’administration Marchand. D’après le professeur d’urbanisme et de transport, la présence attendue des corridors Vélo Cité constitue une amélioration « à des années-lumière » du réseau actuel. Il juge que ces corridors élucident en partie un problème propre à l’infrastructure cyclable de la Capitale Nationale. Celui qui a mené des études pour comprendre les comportements de mobilité dans la région de Québec affirme qu’on « aperçoit rapidement [que] les gens ont un problème de sécurité sur le réseau cyclable. » Le désir de renforcer le sentiment de sécurité des adeptes du transport actif a certainement guidé la ville dans sa conception des CVC, assure Pierre-Luc Lachance.
En quête de sécurité
Dans sa forme actuelle, le réseau cyclable de Québec est loin de satisfaire l’ensemble de ses utilisateurs. Comme le rappelle Dominic Villeneuve, ce réseau n’a pas été conçu dans une perspective utilitaire, mais a plutôt été développé pour les loisirs. L’emprunt et l’entretien de ce réseau sont donc difficiles, surtout en hiver, car « il n’est pas rectiligne, il n’est pas assez large et il n’est pas facile d’accès pour l’équipement de déneigement », fait remarquer le professeur. Il cite en exemple la piste cyclable qui longe la rivière Saint-Charles dans la Cité-Limoilou, qui est « certes très belle », mais impraticable durant la saison hivernale. Ce manque de voies sécuritaires est d’ailleurs un frein pour plusieurs personnes qui songent à adopter le transport actif, soutient Villeneuve.

Bien qu’il concède que certaines artères sécuritaires de la ville ne sont accessibles que l’été, Philippe Doucet est satisfait de l’infrastructure cycliste de Québec. Le résident du quartier St-Jean-Baptiste, qui doit souvent se rendre en basse-ville ou dans le secteur Vanier pour le travail, n’a néanmoins d’autre choix que de partager la route avec les automobilistes. L’homme déplore également l’absence de pistes cyclables le long de la plupart des écoles où il enseigne. Selon Philippe Doucet, la cohabitation avec les autres modes de transport se passe relativement bien : « quand tu es cycliste et que tu fais des communications claires, normalement il n’y a pas de problème. » Un aménagement idéal pour lui devrait toutefois prévoir de séparer les voies cyclables des voies automobile.
Questionnée à propos de la sécurité de l’infrastructure cyclable actuelle, Alice Groleau adopte quant à elle une posture plus critique. En se basant sur son expérience de cycliste, la jeune femme estime que plusieurs tronçons du réseau ne sont « absolument pas » sécuritaires : « je continue d’être à vélo, mais il y a beaucoup de fois où j’ai peur et [où] je ne me sens pas en sécurité. » Elle raconte même avoir été victime d’un accident alors qu’elle se déplaçait sur une voie cyclable réservée. Alice reconnait que plusieurs automobilistes ralentissent et respectent la distance d’un mètre lorsqu’ils dépassent un cycliste. En contrepartie, elle juge qu’il reste beaucoup de conscientisation à faire, car plusieurs voitures, voire des autobus, passent souvent trop près des bicyclettes.
Une guerre à la voiture ?
La réalisation d’un projet d’une telle ambition suscite de nombreux questionnements. Ajouter 150 kilomètres de voies cyclables, dont la plupart traversent les quartiers centraux de la ville, induit des risques d’expropriation, une réduction des espaces de stationnement et l’augmentation des coûts de déneigement. De plus, pour certains citoyens, mettre de l’avant des initiatives comme les corridors Vélo Cité en revient à déclarer la « guerre à l’automobile ».
Pierre-Luc Lachance reconnait qu’il observe une « dynamique d’opposition » dans les discours concernant la mobilité. Or, rappelle-t-il, l’objectif des CVC est d’offrir le plus de modes de déplacements sécuritaires possible aux citoyens. Il s’agit de rétablir l’équilibre : « il y a plus de 85% de l’espace de circulation qui est consacré à l’auto aujourd’hui, si on veut être capable de ramener un équilibre, […] il faut changer le modèle. »
L’utilisation de la voiture semble même gagner du terrain au Québec par rapport au transport actif et au transport en commun. Le taux d’utilisation de la voiture par les travailleurs québécois est plus élevé en 2021 qu’en 2006. Chez les jeunes travailleurs de 15 à 24 ans, le taux d’utilisation de la voiture est moins élevé que pour le reste de la population, mais demeure largement supérieur aux autres moyens de transport.
Dominic Villeneuve constate lui aussi cette opposition entre les automobilistes et les adeptes de transport actif. Cependant, le professeur en mobilité est d’avis qu’il faut nuancer les discours. Pour lui, l’élaboration de projets comme les corridors Vélo Cité ne sont pas une déclaration de « guerre » à l’automobile, mais une opportunité de « remettre en question la place prépondérante de la voiture » dans la ville. La dépendance automobile, souligne Villeneuve, entraîne des coûts économiques, environnementaux et sociaux « distribués de façon très inéquitable dans la société. » En investissant dans « la guerre à l’automobile », l’administration Marchand met en œuvre des actions concrètes permettant de redistribuer équitablement les modes de transport, constate le professeur.
Même du point de vue des automobilistes, estime Pierre-Luc Lachance, cette redistribution des modes de transport s’avère intéressante, car elle privilégie la fluidité des déplacements : « à partir du moment où quelqu’un choisit de faire un déplacement à vélo, il devient un acteur de moins sur la route. » Par la création de corridors sécuritaires et inclusifs, la ville souhaite diminuer le nombre de voitures sur les routes pour ainsi réduire la congestion automobile.
Du pain sur la planche
En comparant les réseaux cyclable de Québec avec ceux d’autres villes, notamment en Europe, il apparaît que la ville de Québec a du pain sur la planche pour faire partie des leaders en matière de mobilité active. Pierre-Luc Lachance est conscient de la pente à gravir : « on a encore du travail pour être capable de faire de Québec un endroit à la lumière des meilleures villes mondiales en termes de déplacements. »
Pour y arriver et concrétiser le projet de ces corridors Vélo-Cité, la ville de Québec espère obtenir le soutien financier nécessaire de la part du gouvernement provincial. Au lendemain de l’annonce du projet CVC, le ministre responsable de la Capitale Nationale, Jonatan Julien, avait salué la vision de la ville. Jusqu’à maintenant, la municipalité a obtenu 15 millions de dollars pour financer ses réseaux cyclables. Le responsable de la mobilité active est sans équivoque : « l’objectif c’est [d’obtenir] une cinquantaine de millions du gouvernement, de différentes façons, pour donner vie à l’ensemble de la vision qui […] a des investissements estimés à une centaine de millions. »
La ville de Québec vit sous un climat nordique pour presque la moitié de l’année, une réalité qui complique la mise en place de pistes cyclables quatre saisons et qui augmente les coûts d’entretien. Le professeur Dominic Villeneuve reconnait qu’il y a de « gros défis », mais il estime qu’ils sont réalisables et que, pour y parvenir, il faut d’abord opérer un changement de culture et de mentalité. Selon le spécialiste en mobilité, il suffit de regarder de l’autre côté de l’Atlantique pour s’inspirer d’autres approches. « Il y a des villes en Suède, par exemple, où en hiver c’est presque un déplacement sur deux, même chez les enfants, qui sont réalisés en transport actif. […] il fait aussi froid là-bas et pourtant, les gens se déplacent dehors. »
Depuis quelques années, l’indice de Copenhague sert à classer les villes du monde selon leurs initiatives qui sont favorables à l’utilisation du vélo en fonction de 14 différents paramètres. Parmi le top 10 de 2019, on retrouve trois villes venant de pays nordiques : Copenhague au Danemark (1ère position), Oslo en Norvège (7e position) et Helsinki en Finlande (10e position). Montréal et Vancouver sont les seules villes d’Amérique du Nord à se classer parmi les 20 meilleures avec une égalité à la 18e position. Le succès de certaines villes scandinaves, ainsi que de Montréal et de Vancouver, montre que la nordicité n’est pas un frein à l’établissement de voies cyclables.
Même si Québec ne présente pas encore le même attrait pour les cyclistes que certaines villes scandinaves, les adeptes de transport actif entrevoient d’un bon œil la mise en chantier des CVC. Alice Groleau salue ce projet, mais espère que les efforts pour modifier l’urbanisation de la ville se poursuivront : « J’aimerais ça que toutes les rues soient sécuritaires à vélo. […] Qu’on fasse en sorte qu’un peu partout, il y ait des corridors pour les gens à vélo. Mais quand je dis pour les vélos, c’est aussi pour les gens en fauteuil roulant, à mobilité réduite ou les piétons. Ça reste un peu un rêve », conclu la jeune femme en riant. Il ne reste qu’à la Ville de Québec d’être à la hauteur de ses attentes.