Approuvé aux États-Unis en janvier, le vaccin pour abeilles a reçu le 16 octobre l’approbation du Centre canadien des produits biologiques vétérinaires (CCPBV), relevant de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA). La compagnie Dalan Animal Health débutera la distribution auprès de certains apiculteurs dès le printemps 2024.
Malgré son efficacité d’environ 40 % seulement, cet antidote présente si peu d’inconvénients qu’il est extrêmement prometteur, selon le professeur Pierre Giovenazzo, qui est titulaire de la Chaire de leadership en enseignement en sciences apicoles au département de Biologie de l’Université Laval. Pour quoi ? Valoriser les effets du vaccin depuis le début du reportage.
Une bactérie crainte de tous
La loque américaine est une maladie bactérienne qui touche les larves d’abeille et qui est très difficile à déloger. Lorsque la loque contamine une ruche, les larves pourrissent, deviennent jaunâtres et ont mauvaise odeur. Mais surtout, la maladie se propage à toute vitesse en dégageant des spores, qui sont extrêmement difficiles à détruire. Une spore est l’organisme reproducteur d’une bactérie.
« C’est une bactérie qu’on dit sporulante. La bactérie forme des spores, et les spores sont pratiquement indestructibles », explique Pierre Giovenazzo. « Les abeilles nettoient une larve morte et se contaminent avec les spores. Ça se propage très vite. Quand une colonie dépérit, les abeilles d’autres colonies viennent voler le miel et se contaminent ». Comme les abeilles se frottent beaucoup les unes contre les autres, la propagation est fulgurante.
Deux options s’offrent actuellement aux apiculteurs victimes de la loque américaine. « Souvent les vétérinaires suggèrent de brûler la ruche, ou alors on utilise un antibiotique : la tétracycline », explique M. Giovenazzo. Or, l’usage de l’antibiotique n’est pas sans conséquences. Comme chez les humains, l’usage répété d’un même antibiotique pousse la bactérie à développer une résistance. « On commence à voir de la résistance à la tétracycline au Canada, et on n’a pas beaucoup d’options de traitement », constate le professeur de biologie.
C’est pourquoi l’arrivée sur le marché d’un vaccin représente une avancée majeure dans le traitement de la loque américaine,. « C’est une bonne nouvelle parce que ça donne un autre outil aux vétérinaires. », explique Pierre Giovenazzo
Par ailleurs, le chercheur souligne que les vaccins qui s’attaquent à des bactéries sont très rares, autant chez les humains que chez les animaux. Les virus sont généralement de meilleurs candidats pour la vaccination. Pour quoi ?
Un vaccin seulement pour la reine
Un des principaux avantages du vaccin développé par Dalan Animal Health est son administration unique à la reine de la ruche. Comme dans la plupart des vaccins humains, une petite partie inerte de la bactérie est administrée à la reine, qui lui permet de développer des anticorps contre la bactérie elle-même.
« Ce qui est bien avec la nouvelle recherche, c’est qu’on réussit à le donner à toutes les 40 000 abeilles en le donnant à une reine. C’est quand même spectaculaire ! » – Pierre Giovenazzo, professeur en sciences apicoles
En plus de la reine, toutes les larves qu’elle produit deviennent également immunisées, ce qui rend très rapide la distribution du vaccin à toute la ruche. Le processus doit toutefois être répété pour assurer l’immunisation en continu de chaque ruche.
Or, la vaccination ne se fait pas avec une aiguille, mais plutôt de façon orale à la reine. On le mélange à la gelée dont se nourrit la reine. En l’ingérant, des fragments du vaccin font leur chemin jusqu’aux ovaires, assurant ainsi l’immunité aux larves à naître.
Pas de remède miracle
Malgré l’espoir que peut susciter une telle avancée, le vaccin est loin d’être un remède miracle. L’étude atteste seulement d’une efficacité d’entre 30 et 50 % pour l’immunisation et la réduction de la maladie. Selon Pierre Giovenazzo, « l’efficacité n’est pas démontrée comme étant remarquable ».
Bien que l’étude semble bien réalisée selon le professeur, il rappelle que le produit n’a pas été testé dans de véritables ruches. « Ça a été fait en laboratoire, ça n’a pas été fait sur des colonies. Donc on ne sait pas trop ce qui va arriver sur des colonies », prévient-il. Il estime tout de même que la compagnie pourrait avoir réalisé des tests sur des colonies sans avoir rendu publics les résultats.
Mais M. Giovenazzo demeure sans crainte, puisque le vaccin ne présente aucun risque considérable. « Il n’y a pas de danger de contamination du miel parce qu’on donne ça à la reine », remarque-t-il.
Par ailleurs, le chercheur s’est étonné de voir que le Canada a si rapidement donné son aval à ce nouveau produit. « Je suis resté surpris de voir que ça avait été rapidement accepté par le Canada, parce que d’habitude ça prend du temps. Les processus d’homologation au Canada sont assez longs parce qu’il faut démontrer l’innocuité, mais aussi l’efficacité ». L’innocuité d’un produit signifie qu’il n’est pas nuisible.
Chez les américains, le processus est moins rigoureux. « Aux États-Unis, du moment que ce n’est pas dangereux, l’efficacité n’est pas un critère », précise M. Giovenazzo.
La demande à surveiller
Selon Statistique Canada, on compte un peu plus de 780 000 colonies d’abeilles au Canada. Il s’agit d’une hausse d’environ 40 % depuis 2011. « De nombreux apiculteurs canadiens ont toutefois perdu beaucoup d’abeilles l’hiver dernier, qui s’est avéré être l’un des pires à ce jour pour les taux de mortalité », peut-on lire sur le site de Statistique Canada.
Le fondateur de Les Artisans de la Ruche, le Dr Patrick Nadeau, souligne que même si la loque américaine est présente au Québec, seulement un petit nombre de cas sont diagnostiqués annuellement. « Le nouveau vaccin est un moyen de plus à notre disposition pour contrer cette maladie, mais c’est probablement plus au niveau de la gestion du matériel et de la régie de la production que le travail doit être fait », affirme-t-il. Son entreprise propose des services d’accompagnement et de consultations vétérinaires dédiés aux abeilles
« Pour le moment, ce vaccin est nouveau, et il sera probablement utilisé de manière ciblée. Par exemple dans certaines zones ou chez certains apiculteurs plus à risque », croit Dr Nadeau. L’intérêt pour le vaccin semble donc moyen.
Le professeur Giovenazzo convient que la loque américaine est plutôt bien contrôlée dans la province. « Il y a toujours des endroits au Québec où il y en a, mais c’est assez bien contenu par les vétérinaires. Notre surveillance au Québec est très bonne ».
Est-ce que les apiculteurs se serviront du vaccin ? « Si ça demeure accessible et pas trop cher », juge Pierre Giovenazzo. Selon lui, le prix sera un facteur clé dans la décision des apiculteurs de se munir ou non cet outil préventif.