Entre l’influence et la vente, la publicité a la responsabilité de bien représenter la clientèle, tout en réalisant des profits. L’utilisation des personnes issues des minorités, qu’elles soient ethniques ou sexuelles, est critiquée dans un marché de plus en plus mondialisé. L’inclusivité, oui, mais à quel prix ? 

Pour vendre le plus efficacement possible des produits de consommations courante, les fabricants ont toujours fait la promotion de valeurs et d’images dans lesquelles le consommateur doit se reconnaître. Et cette règle du marketing vaut également pour influencer les Noirs, les gays, les handicapés, les familles monoparentales… bref, toutes les personnes qui s’inscrivent à des degrés divers dans le militantisme des minorités visibles ou qui se sentent discriminées.

Il y a quelques semaines, des polémiques ont vu le jour à cause de publicités jugées déplacées. Ces publicités soulèvent des questionnements sur l’intérêt derrière ces firmes de mettre en avant des minorités dans leurs publicités. Ainsi, à Singapour, la publicité Samsung a été retirée puisqu’elle montrait une mère musulmane enlaçant son fils habillé en drag-queen. Cette annonce, notamment critiquée par un groupe contre les droits des personnes LGBTQ+, a été jugée comme étant une « tentative de promouvoir l’idéologie LGBT au sein d’une communauté musulmane largement conservatrice. ». Non loin de Singapour, en Russie, c’est une extension des Sims qui a été retirée des espaces publicitaires à cause de la représentation d’un mariage entre deux femmes dans la dernière version du jeu.

Mais, ces annonces ne sont pas les seules à avoir fait réagir. En 2006, c’est une marque italienne de lessive qui voit sa publicité jugée comme raciste. Quelques années plus tard, c’est H & M qui est accusée de racisme ou encore en 2021, lorsque la marque de barres chocolatées, Snickers, diffuse à la télévision espagnole une annonce jugée comme homophobe. 

Les stratégies employées par ceux qui produisent des publicités. (Crédit : Perrine Pinel et Alphonsine Sefu)

 Des méthodes misent en place 

Pour Gabriel Tassé, chargé de cours à l’école HEC Montréal, « c’est à se demander pourquoi Samsung n’a pas mis son pied à terre pour défendre ses positions ». (Crédit : Click and Mortar).

En 2019, 2,5 milliards de dollars ont été consacrés aux publicités, toutes plateformes confondues, par les annonceurs québécois. C’est 10,8 % de plus qu’en 2014. Cette augmentation de la part de marché des espaces publicitaires va pousser les entreprises à mettre en place de nouvelles techniques de marketing. Davantage axé sur les médias sociaux comme Instagram ou encore Facebook, le marketing moderne semble exister pour vendre. Ainsi pour Gabriel Tassé, chargé de cours à HEC Montréal et cofondateur de Click & Mortar, le marketing et la publicité sont des moyens de faire « passer des messages ». 

La technique publicitaire — appelée dans le jargon de la pub proposition de valeur ou proposition value canva en anglais — employée notamment par les grandes marques de cosmétiques : on avance un problème que le consommateur a ; puis on crée donc un besoin ; puis on avance un produit qui va répondre à ce besoin. À la télévision, cette technique a prouvé son efficacité. Mais, pour Gabriel Tassé, l’ère du web rend difficile la perception du bénéfice d’un produit : « Quelqu’un va faire un achat lorsque la personne va percevoir que le bénéfice est supérieur au coût. Et de nos jours, c’est compliqué de faire sentir le bénéfice par un site web ».

Une question de perception

Les annonces seraient donc une méthode pour inclure un bénéfice dans l’esprit du client. Mais pour le professeur à HEC Montréal, elles ont également une responsabilité : celle d’inclure une diversité dans la représentation. D’où, l’apparition — autre exemple — des fonds de teint pour les femmes de couleur. Les marques prennent ainsi des initiatives qui rendent leur image plus inclusives.

« Il y a de plus en plus de conscientisation. Les entreprises autour de moi font de plus en plus d’efforts à ce sujet » – Gabriel Tassé.

Malgré tout, « la fausse inclusivité » existe et est le résultat d’un système pour Gabriel Tassé. Les responsables : les GAFAM (comprenez Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). En 2019, au Canada, les deux géants, Google et Facebook possédaient 74 % des 6,8 milliards des revenus publicitaires.

Pour le fondateur d’une agence de marketing numérique, les GAFA « ont créé des monstres sur lesquels ils ont perdu le contrôle ». Sur les médias sociaux ou dans les moteurs de recherche, la publicité a le contrôle sur ce que verront les consommateurs à l’aide du ciblage. Le ciblage est une méthode qui a été critiquée à la suite d’un scandale : celui de Facebook-Cambridge AnalyticaCette agence londonienne a utilisé des données personnelles de 81 millions d’utilisateurs Facebook pour influencer les votes lors des élections étasuniennes de 2016, opposant Donald Trump à Hillary Clinton. 

Ainsi, pour Gabriel Tassé, l’inclusivité passe aussi par une étude et une amélioration de ces méthodes. Arriver à ne plus utiliser des personnes issues des minorités passe aussi par une uniformisation des valeurs défendues dans les campagnes publicitaires. Pour lui, le consommateur a un pouvoir de décision, l’achat est un vote : « On vote par le dollar et avec qui on travaille ». De cette manière, il affirme que « l’inclusion et la diversité devraient être la base et cela depuis des années ». 

Des jetons sur le dos de l’inclusivité 

Bianka Bernier, présidente de l’agence de marketing Vio numérique, affirme que « personne ne veut pas être inclusif ». Elle demeure néanmoins critique à l’égard des entreprises qui profitent de causes politiques et sociales pour leur image de marque. La stratège en communication numérique estime même que ces entreprises ne font que du bruit, et dit qu’« il ne faut pas juste supporter pour supporter ». En effet, une représentation qui n’est pas motivée par un but marketing, c’est à dire par un besoin croissant de ventes, est souhaitable pour Bianka.

La représentation à des fins lucratives est très liée au « tokénisme », notion sur laquelle Tara Chanady, chargée de cours à l’Université de Montréal, est experte. Travaillant dans l’analyse des médias, spécifiquement pour les représentations et la visibilité, Mme Chanady explique que le tokénisme consiste en « l’inclusion superficielle pour faire bonne figure », comme dans une firme où des gens issus d’une minorité sont embauchés, sans se sentir réellement impliqués. Ainsi, ces personnes sont des jetons (ou token en français).

Bien que les entreprises puissent avoir de bonnes intentions derrière leur marketing militant et qu’elles en sentent le devoir, il n’est pas toujours justifié de se prononcer sur des enjeux sociaux, selon Bianka Bernier. Elle estime qu’il y a une distinction à faire entre les entreprises qui se positionnent sur un enjeu pour bien paraître devant leur clientèle et celles qui contribuent à une cause avec des gestes concrets. Dans ce cas-ci, la présidente de Vio numérique donne l’exemple des compagnies qui ont utilisé leurs plateformes et leurs canaux pour amplifier des voix plus marginalisées.

Tout en reconnaissant que la publicité est un outil de représentation, Bianka Bernier pense que le moyen le plus efficace d’arriver au changement est à l’aide de projets concrets. « Des vraies politiques d’embauche, de vrais projets où tu finances l’inclusivité », lance-t-elle. (Crédit : Vio Numérique)

« Ces causes-là sont en train de dire qu’il y a des personnes qui n’ont pas assez le micro dans la vie et qu’elles ne sont pas entendues. Mais tu perpétues le fait que tu leur voles le micro, juste pour dire que tu es en support » – Bianka Bernier.

De plus, Mme Bernier considère que la publicité est un outil de transformation sociale important, car elle « sert à amplifier du vrai ». L’agente en communication explique que la publicité servira souvent à raconter une histoire, à présenter une narration, et que l’humain comprend mieux avec les émotions. Elle soutient d’ailleurs qu’il y a une construction sociale solidifiée par l’exposition et la récurrence de certains messages. Ainsi, elle indique l’importance d’investir dans la recherche, afin d’éviter d’adopter une façon de penser uniforme. 

Selon Tara Chanady ,doctorante en communications à l’Université de Montréal, la qualité de la représentation doit être priorisée: « plusieurs disent que c’est important que des productions soient faites pour et par les minorités». (Crédit: RADIO-CANADA / STÉPHANIE DUPUIS)

Tara Chanady observe que plusieurs personnes veulent être représentées pour se sentir incluses dans la société. « C’est très important, mais toute représentation ou visibilité n’est pas une bonne visibilité », précise la chercheuse. Elle soutient qu’une certaine réflexion doit avoir lieu avant de faire des efforts de réalisation, car certains groupes peuvent se sentir stéréotypés. Mme Chanady voit tout de même qu’une diversification graduelle s’effectue dans les représentations. De plus, elle affirme qu’« il y a plus de discussions sur les enjeux de tokénisme, de racisme et d’inclusion ».

Des compagnies ont déjà fait des fautes dans leur représentation de minorités ethniques et sexuelles. Cependant, les controverses ne semblent pas avoir dérangé les consommateurs au point qu’ils arrêtent d’acheter les produits de la marque.

Selon Mme Bernier, la majorité des achats ne sont pas cohérents avec les valeurs de l’acheteur. De ce fait, elle soutient que « dans la consommation, il y a plusieurs types de bénéfices. Quand ton bénéfice est clair et qu’il compense pour le reste, tu continueras à acheter ».

Consommateurs ciblés et embarrassés 

Ces publicités ciblant ou instrumentalisant les minorités visibles ne laissent pas indifférentes les personnes concernées. Ces spots suscitent autant de gêne que de critiques, à l’instar des trois personnes, issues d’une minorité racisée et de la communauté LGBTQ+, qui ont bien voulu regarder ces pubs pour L’ Exemplaire et dire ce qu’elle en pensent — notre vidéo, ci-dessous.