Chaque année, des milliers de touristes Québécois fuient la morosité hivernale à la recherche d’un peu de chaleur et de soleil sur l’île caribéenne. Avec l’ouverture progressive de Cuba tant louée par les pays occidentaux, la province de Québec a récemment décidé d’aider les entreprises québécoises à prendre le leadership économique avec la Havane. Mais si le véritable partage entre les deux régions venait plutôt d’initiatives locales ? Exemple dans la Capitale-nationale.

Il y a quelques semaines, le conseil des ministres a adopté par décret d’inclure Cuba au sein des responsabilités de la Délégation générale du Québec à Mexico, pour soutenir ses activités avec l’île des Caraïbes. Déjà, après sa mission à la Havane en novembre dernier, la ministre des relations internationales et de la francophonie, Christine St-Pierre, s’était dite «convaincue de la richesse potentielle des liens établis avec l’Île des Caraïbes», selon le communiqué du gouvernement. Plus récemment, en marge du séminaire «Cuba : gardez une avance sur la concurrence», organisé par la Chambre de commerce du Montréal Métropolitain, la ministre a déclaré que «Québec a tout intérêt à être un partenaire socio-économique de Cuba».

A Cuba, le tourisme québécois est marqué par les formules tout-inclus, symbolisées par ces bracelets.
A Cuba, les touristes québécois voyageant en tout-inclus portent tous ce bracelet. Pour Martin Bureau, ce bracelet est devenu le symbole du tourisme de masse à Cuba (Image extraite du film « Playa Coloniale », Martin Bureau et Luc Renaud/L’Exemplaire)
Le Canada, principale source du tourisme à Cuba

Beaucoup de pays occidentaux semblent se tourner vers l’île cubaine, et se préparent au dégel des relations diplomatiques et économiques avec les États-Unis.
Mais le Canada entretient des relations particulières avec l’île; au premier plan dans le domaine touristique. L’Etat Canadien a toujours continué à développer ses échanges avec l’île. Sur 3 millions de visiteurs annuels, le Canada en représente 1 107 000, soit 38,8% (office national statistique cubain, chiffres de 2013), dont environ 300 000 Québécois. A 95%, c’est dans le cadre d’un forfait “tout inclus” que les touristes se rendent sur l’île. Le tourisme engendre chaque année une source de revenus atteignant les 2 milliards de dollars par année pour Cuba.

Ce tourisme de masse encouragé par le Canada et le Québec a de nombreuses conséquences sur la population et la société cubaine. Nathalie Gravel est professeure et spécialiste de l’Amérique Latine en géographie rurale et développement durable. Elle-même séparée d’un mari cubain, elle se rend régulièrement sur place. Selon elle, le tourisme développé entre les deux régions a aujourd’hui façonné la société à Cuba.

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Pourtant, l’actualité semble montrer que la province souhaite développer davantage ses liens économiques avec l’île, comme si le « Québec avait oublié ses vieilles ententes avec Cuba », souligne Nathalie Gravel.

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Mais cette ouverture est-elle bien réelle ? Martin Bureau, documentariste et artiste originaire de la ville de Québec est le co-réalisateur du long-métrage Playa Coloniale, qui critique le tourisme Québécois à Cuba. A travers ce documentaire engagé, il dénonce la posture de « colonisateur » des touristes Québécois sur les plages de Varadero dans les formules « tout-inclus ». « Tu demandes ici dans la rue à Québec, tout le monde a déjà été à Cuba, mais aucun n’a découvert le VRAI Cuba ». Selon lui, ce tourisme organisé profite surtout aux gouvernements Canadien et Cubain. Et ne fait que scinder les populations locales entre elles. L’ouverture qui se joue avec Cuba est un « pseudo processus de changement », explique le Québécois. « C’est plus un gain de temps pour le gouvernement Castro, car la fin de l’embargo entrainera forcément la fin du gouvernement ». Martin Bureau pense qu’au Québec, il y a « surtout une fascination médiatique face à cette pseudo-ouverture ».

Une relation unilatérale

La relation Québec/Cuba reste finalement très unilatérale. Il est par exemple difficile aujourd’hui pour un Cubain de venir à Québec, même si c’est un chercheur, un conférencier ou un étudiant. Et c’est encore pire pour un citoyen lambda. La communauté cubaine à Québec est assez restreinte. “Une centaine, peut être plus ?” avance le patron du Varadero, le seul restaurant cubain à Québec. Dans ce lieu situé à Saint-Roch, nous rencontrons Lazaro, un cubain installé à Calgary (Alberta), venu en visite à Québec pour voir sa jeune fille, issue de son mariage avec une Québécoise. Il explique que beaucoup de Cubains ont un réseau d’amis important à Québec, ou Montréal, grâce au tourisme sur l’île. Mais Lazaro regrette les difficultés des Cubains à venir en Amérique du Nord. Ce qui fait partie d’un non-sens selon lui. “C’est comme si moi je t’invitais chez moi, mais que moi, je n’avais pas le droit de venir chez toi”, explique-t-il en anglais. Lazaro a un fils, d’un précédent mariage, qui vit toujours à Cuba. “Ca fait plusieurs mois que j’ai engagé les démarches administratives pour lui obtenir un visa. Mais c’est très long”, se désole-t-il.

Des transferts de connaissances possibles entre Québec et la Havane

Pour Nathalie Gravel, la ville de Québec aurait pourtant beaucoup à apprendre de Cuba. La ville devrait penser ses échanges avec Cuba plutôt comme un “transfert de connaissances”, selon la professeure à l’Université Laval. Dans le cadre de ses recherches, elle s’intéresse particulièrement au modèle d’agriculture urbaine à la Havane, développé par un mouvement citoyen contre l’insécurité alimentaire dans les années 1990. A terme, le but de ses projets de recherche permettrait de transmettre les connaissances du modèle cubain à Québec, et ainsi influencer l’agriculture urbaine dans la Capitale-Nationale. Il existe aujourd’hui près de 900 jardins urbains à Cuba. Leur modèle de développement servirait d’exemple pour la Capitale-Nationale, et permettrait à la ville de produire des aliments locaux, et d’engager une véritable agriculture de proximité. De son côté, Cuba cherche aussi à se développer. Notamment dans le domaine coopératif – agricole et non agricole. Seulement, les progrès sont très lents. Il y aurait alors ici une occasion de coopération avec la Capitale-Nationale, elle-même ayant une expertise en pratique coopérative.

L'agriculture urbaine est fortement développée à Cuba. On compte aujourd'hui près de 900 jardins communautaires sur l'île. (Romane Frachon/L'Exemplaire)
L’agriculture urbaine est fortement développée à Cuba. On compte aujourd’hui près de 900 jardins communautaires sur l’île. (Romane Frachon/L’Exemplaire)
La passion du Baseball fait venir Cuba à Québec

La ville de Québec aurait alors beaucoup à espérer de l’ouverture récente des relations entre Cuba et les Etats-Unis. En tout cas, le président de l’équipe de Baseball des Capitales de Québec en est lui aussi convaincu. Michel Laplante est un pionnier en matière d’échanges bilatéraux entre sa ville et la Havane. Cela fait en effet plusieurs années qu’il est en contact direct avec le gouvernement cubain et la famille du grand joueur de BaseBall Gurriel. Grâce à ces relations, Michel Laplante a permis à ses plus jeunes équipes de partir à Cuba dans le cadre d’échanges sportifs. Ces voyages ont permis à des adolescents de Québec de rencontrer et d’échanger avec des enfants de leurs âges à la Havane, partageant la même passion du BaseBall. « Le but de ces échanges va bien au delà du sport, explique Michel Laplante, c’est un véritable partage culturel et linguistique » pour les enfants. « Ce serait formidable qu’on puisse maintenant faire venir des enfants cubains ici à Québec ». Alors que le Baseball est considéré comme le sport national à Cuba, la Ville de Québec se signale aussi comme un “village d’irrésistibles gaulois qui résiste encore et toujours à l’envahisseur” dans le domaine du BaseBall. Car, contrairement aux autres régions du Québec, la “Capitale-Nationale rencontre une hausse de popularité du baseball” selon le site internet des Capitales.

Mais ces échanges sportifs, engagés depuis deux ans, ne sont que le début d’une longue relation entre les deux équipes. Grâce aux contacts de Michel Laplante avec le gouvernement cubain, Les Capitales de Québec est la première équipe Nord-Américaine a avoir accueilli sur ses bancs des joueurs cubains. En 2014, l’équipe a d’abord aligné Yunieksy Gourriel. Puis en 2015 se sont ajoutés Yordan Manduley, Ismael Jimenez et Alexeï Bell, trois vedettes dans leur pays, et reconnus dans le milieu. Cette année, pour couronner ces échanges, l’équipe nationale cubaine de BaseBall viendra jouer pour la première fois contre les équipes de la ligue Can-Am. Les matches commenceront en juin à Québec, puis l’équipe cubaine affrontera Toronto et Trois Rivières au Canada, avant de traverser la frontière pour jouer contre les équipes états-uniennes. Une grande première dans l’histoire du BaseBall, et de Cuba.