Même aux portes de l’hiver, les agriculteurs manitobains s’inquiètent toujours de la sécheresse qui frappe la province. Depuis 2 ans, le manque de précipitations continues rend la culture de la terre plus complexe, estime Anastasia Fyk une agricultrice du Manitoba et représentante de la province à l’Union Nationale des Fermiers (UNF). Elle fait partie de ceux et celles qui s’inquiètent des conséquences de la sécheresse et, dans une plus large mesure, des changements climatiques sur le milieu agricole.
La sécheresse a commencé voilà deux ans au Manitoba, se souvient Mme Fyk. « Avec la chaleur et la sécheresse, nos champs ont brûlé », témoigne-t-elle. Les cultures, comme le blé, l’avoine et le colza qui est à la base de l’huile de canola, ne sont pas rentables. « Sauf le sarrasin », poursuit l’agricultrice.
« J’ai vraiment beaucoup d’anxiété quand il ne pleut pas pendant deux mois. Je me demande comment on va vivre », confie Anastasia Fyk.
Même si elle n’est pas la seule agricultrice à vivre de l’anxiété face aux changements climatiques, elle croit que plusieurs de ses collègues sont dans le déni. « Ils disent: » non on a déjà vu la sécheresse, ce n’est pas en lien avec les changements climatiques . La pluie va revenir ». Ils ne veulent pas faire la liaison », raconte-t-elle .
« Les gens ne veulent pas changer, ils disent que les méthodes fonctionnent et que tant que ça continue à fonctionner ils vont faire la même chose », explique Mme Fyk.
Selon le Rapport d’inventaire national 1990-2019 : Sources et puits de gaz à effet de serre au Canada, le secteur agricole était le 5ͤ plus polluant au Canada en 2019, derrière notamment
les secteurs du transport et de l’exploitation pétrolière. Dans le graphique ci-dessous, les émissions de gaz à effet de serre sont représentées par industrie.
Engrais polluants et sols vulnérables
Marie-Élise Samson, professeure au département des sols et de génie agroalimentaire de l’Université Laval, est d’avis que de conserver les techniques traditionnelles, comme l’utilisation de fertilisants à base d’azote, empirerait les choses.
« C’est un des plus gros problèmes en fait. Le fait qu’on applique trop d’azote ou qu’on ne l’applique pas au bon moment, ça produit de l’oxyde nitreux », explique la professeure.
L’oxyde nitreux a un pouvoir d’effet de serre qui est très puissant, beaucoup plus fort que le dioxyde de carbone. Or, les fertilisants azotés sont les plus couramment utilisés dans le monde agricole, ajoute la chercheure. « De mieux réfléchir à la fertilisation azotée, ça peut être une belle stratégie pour diminuer l’empreinte de gaz à effets de serre de l’agriculture », indique Mme Samson.
Elle ajoute qu’on peut pallier la dégradation au niveau de la fertilité des sols causée par leur culture intensive, mais que leur dégradation physique causée, elle, par des sécheresses répétitives est aussi un sérieux problème.
« En plus, quand cet azote-là est appliqué sous forme minérale, il y a tout ce qui vient avec la fabrication et le transport de l’engrais synthétique en termes de GES », continue-t-elle.
Même son de cloche pour Anastasia Fyk. Selon elle, « [les engrais azotés sont] la plus grande source de pollution au Manitoba », autant par leur fabrication en usine que par leur utilisation dans les champs. « C’est prescrit par les mêmes personnes qui le vendent. C’est ça le problème, c’est le système », se désole-t-elle.
Progrès ou déception?
Lorsqu’elle a assisté à la COP 26 à Glasgow plus tôt cet automne, Mme Fyk espérait voir du changement. « Je me sens frustrée et déçue des actions du gouvernement canadien », déplore-t-elle. Elle croit que les entreprises pétrolières y ont eu beaucoup de poids dans la prise dedécisions.
« Certaines personnes l’ont surnommée la Conference of Polluters au lieu de Conference of the PARTIES», ironise Anastasia Fyk.
« J’avais l’impression que c’était fait exprès, pour que les gens se disent “bon, je laisse tomber” », ajoute l’agricultrice manitobaine. Elle demeure tout de même déterminée à appliquer des méthodes plus respectueuses de l’environnement dans sa culture.
« Je fais des expériences avec des méthodes agroécologiques. J’essaie de cultiver une terre plus saine », explique la productrice de grains. Ceci requiert beaucoup d’efforts, selon Mme Fyk. « Là j’ai expérimenté sur deux acres, mais le faire sur un grand champ ce n’est pas facile », dit-elle.
Dans sa pratique, l’agricultrice tente d’utiliser le moins possible les méthodes traditionnelles qui dépendent des engrais à base d’azote. Elle tente de les remplacer par des engrais « verts », à base de végétaux compostés, à la fois pour enrichir son sol et diminuer son empreinte de GES. Cela lui demande temps, efforts et motivation: « C’est difficile d’être pionnière », lance Anastasia Fyk.
De son côté, Marie Élise Samson estime que de plus en plus d’agriculteurs et d’agricultrices prennent les changements climatiques au sérieux. « Quand le producteur voit qu’il se passe quelque chose et que ça nuit à son rendement, ça commence à être un wake up call assez sérieux », estime-t-elle.
« Il y en a plusieurs qui commencent à se rendre compte que ça bouge et qu’il va falloir faire quelque chose », conclut-elle. La professeure croit que dès que les changements climatiques influencent sérieusement la rentabilité des récoltes, « c’est une autre game ».