Le réseau de la dépendance au Québec est en pénurie de main-d’oeuvre alors même que les cas de surdoses augmentent selon plusieurs intervenants communautaires. Pour le milieu, il ne s’agit plus autant d’obtenir des fonds qu’obtenir du personnel pour soigner, alors que les mêmes problèmes de recrutement se posent que pour les autres secteurs de la santé. En attendant, la prévention reste le moyen le plus abordable pour atteindre les usagers, estiment les acteurs du réseau.

La situation pandémique tend à se stabiliser à un certain seuil selon les derniers chiffres d’infection du Covid-19. Les activités économiques ont largement repris pour les doublements vaccinés. Les centres de traitement et prévention en dépendance qui ont surmonté les difficultés économiques engendrées par la pandémie rouvrent, mais le personnel n’est pas au rendez-vous.

Le Point de Repères dans le quartier St-Roch à Québec offre un service en réduction des méfaits liés à la drogue et à la propagation des ITSS. Naomie St-Germain y travaille depuis deux ans d’abord en tant que stagiaire dans le cadre de son DEC en Technique d’intervention en délinquance puis en tant que membre de l’Unité mobile depuis sa diplomation en janvier 2021. Naomie considère qu’elle a eu la chance d’obtenir son poste actuel, car elle travaillait déjà dans l’organisme. Le Directeur et le personnel en place n’avaient donc pas à lui prodiguer une formation à l’embauche, et la faire connaître auprès des usagers.

Naomie nous explique la situation au Point de Repères. [appuyez sur « play » pour l’écouter]

Selon Naomie St-Germain, beaucoup de personnes de sa cohorte n’ont pas trouvé d’emploi à la sortie de leur DEC dans les centres communautaires et organismes publics (dû aux fermetures temporaires des centres et les mesures sanitaires). Ils se sont alors tournés vers les CIUSSS et les écoles, les seuls endroits encore ouverts pendant la pandémie proposant postes et salaires.

Pour rappel, les mesures sanitaires en milieu professionnel étaient très strictes en janvier, avec plus de deux mètres de distanciation sociale avant que le couvre-feu ne soit implanté et les services essentiels seulement ouverts. Les embauches étaient plus rares que les mises à pied. Les consignes d’entreprises (gouvernementale?) invitaient à limiter sinon recenser le nombre de personnes jugées « extérieur » pour restreindre la circulation de la Covid-19.

Les diplômés et travailleurs actifs du secteur de la dépendance, tels que les criminologues, psychologues, infirmières, travailleurs sociaux et intervenants spécialisés, se trouvent toujours pour la plupart dans le réseau public, en autre les CIUSSS, les CISSS et les écoles.

Vincent Wagner, chercheur à l’Institut universitaire sur les dépendances et professeur associé à l’Université de Sherbrooke, observe que les employés dans le réseau public sont épuisés et peuvent eux-mêmes être en situation de détresse. Cela explique en partie pourquoi le personnel qui a rejoint le réseau public ne se retourne pas vers les « Maisons » et les centres communautaires, comme s’y attend France Bouffard, Directrice générale du Pavillon de l’Assuétude dans le Centre-du-Québec.

La rétention du personnel et « les conditions salariales plus intéressantes » dans le réseau public que dans le secteur communautaire jouent aussi dans le manque de mobilité du personnel, selon Monsieur Wagner.

En comparaison, Madame Bouffard, directrice générale du Pavillon de l’Assuétude à Shawinigan se trouve chanceuse. Le taux de roulement de ses employés a diminué depuis quelques années, grâce aux changements des méthodes organisationnelles. Selon Madame Bouffard, « se coller sur la recherche, puis contribuer pour de vrai » motive et attire les employés.

Si elle a réussi à garder tout le monde en emploi durant la pandémie grâce à des programmes d’aides et un taux d’occupation à 50%, la directrice du Pavillon de l’Assuétude éprouve aujourd’hui « de la misère » à remplir certains postes et certains quarts de travail.

« Y a très peu de gens qui appliquent, puis les gens qui appliquent ne sont pas nécessairement qualifiés pour le faire. J’ai besoin d’engager des personnes qui ont des diplômes de compétences. Ce n’est pas toujours le cas en ce moment. » – France Bouffard, Directrice du Pavillon de l’Assuétude

Quand les postulants sont compétents, ils sont souvent injoignables ou ne se présentent pas aux entrevues, déclare Madame Bouffard. Un phénomène qui est d’ailleurs observé actuellement dans d’autres secteurs économiques.

Nathalie Bremshey, coordonnatrice des services externes en dépendance du CIUSSS Centre-Ile-Sud de Montréal affirme qu’il y a un manque criant d’infirmières, psychologues, intervenants sociaux et personnels administratifs dans les services de traitement de dépendance.

Monsieur Wagner et Madame Bremshey insistent tous les deux sur le fait que les problèmes liés au manque de personnel ne sont pas exclusifs au secteur de la dépendance, mais font partie de tout le réseau de la santé, et cela remonte avant même la pandémie.

Les usagers et la consommation

Madame Bouffard confie qu’avant la pandémie elle n’avait pas de chiffres sur le nombre de personnes dans l’attente d’une place. Les Centres arrivaient toujours à trouver des placements ailleurs en cas de besoin. Aujourd’hui, la directrice du pavillon de l’Assuétude enregistre une hausse de la demande de places d’environ 20% depuis la pandémie. Elle a dû créer une liste d’attente.

Selon les acteurs du réseau de la dépendance, la pandémie a joué un rôle conséquent dans l’augmentation des cas de dépendance et l’élargissement des profils des consommateurs. L’état psychologique et physique des personnes joue un rôle primordial dans la consommation d’opiacés et autres drogues.

De son côté, la majorité des usagers que Naomie St-Germain rejoint avec l’Unité mobile du Point de Repères à Québec ont entre 40 et 60 ans. Ils ont pour la plupart subi un accident ou une opération. Ces personnes développent une addiction à la sortie de l’hôpital, quand réduire les analgésiques devient difficile, voire impossible, créant une dépendance qui les amène à se les injecter. L’injection a des effets plus rapide et puissant, que la prise médicamenteuse orale par exemple, explique l’intervenante en réduction des méfaits.

Les stupéfiants consommés changent selon les disponibilités sur le marché noir, indiquent Naomie St-Germain et Madame Bouffard. L’héroïne et la cocaïne ont été plus rares lors de la pandémie en raison des difficultés d’importation. Les dealers ont donc commencé à « cuisiner » à partir de ce qu’ils avaient ou pouvaient trouver. Cela a donné plus de produits en distribution de type méthamphétamine et GHB, précise Naomie.

Le problème principal de cette « cuisine artisanale », avec ses recettes disponibles sur le web, c’est que le produit qui en résulte est de très mauvaise qualité avec beaucoup d’éléments autres que la substance psychoactive, explique l’intervenante. Par conséquent ces produits ont plus de risques de ne peut pas être uniformes et de causer des surdoses qui peuvent être létales, d’une « batch » à une autre.

Depuis la pandémie, les produits vendus comme étant du GHB sont plus du GBL, indique Naomie St-Germain. Le GBL (gamma-butyrolactone) est un produit chimique utilisé comme solvant-décapant industriel. Il est aussi utilisé dans la fabrication du GHB (gammahydroxybutyrate). Ils ont les mêmes effets, mais pas à la même intensité ou sur la même durée, puisqu’ils n’ont pas la même molécule. Les risques et traitements en cas de surdose diffèrent entre ces deux substances. Par exemple la naloxone fait effet sur la prise de GBL, mais pas celle de GHB. Selon l’intervenante en réduction des méfaits, c’est ainsi que dernièrement des personnes en situation de surdose qui pensaient avoir consommé du « GHB » ont pu être réanimées, avec la naloxone.

« En cas de doute, prends-la [la naloxone]. Ça peut sauver la vie, puis ça ne peut pas être pire. » – Naomie St-Germain, intervenante de l’Unité mobile mobile du Point de Repères.

Les services de naloxone en pharmacie témoignent des risques de surdoses liés à la consommation des drogues de synthèses. S’il y a eu plus de morts de surdose durant les deux premiers trimestres de la pandémie, les chiffres démontrent que le nombre de services de naloxone en pharmacie a drastiquement chuté durant cette même période, comme le nombre de services de naloxone aux tierces personnes, soit les intervenants sociaux la plupart du temps, aidant les usagers à éviter le pire.

Naomie St-Germain assure que les surdoses non létales sont devenues plus communes depuis la pandémie avec la qualité aléatoire des produits sur le marché noir. Cependant une personne en situation de surdose non létale ne sera pas recensée selon l’intervenante. L’usager ne se rendra pas à l’hôpital s’il a évité le pire, avec la naloxone.