Depuis son ouverture en 2020, Le Philtre café à Québec n’exige aucun tarif supplémentaire aux clients qui désirent du lait végétal dans leur café. Il s’agit d’une orientation qui va à contresens des autres cafés de la ville. Nommé propriétaire de l’établissement en décembre 2023, Singh Navpreet souhaite conserver l’âme du lieu située dans le quartier St-Sauveur.

Les deux anciens propriétaires du Philtre Café, Jonathan Jacques et Chantal Mathieu ont passé le flambeau à Singh Navpreet (au centre), le nouveau propriétaire (photo : Philtre Café).

Les convictions écologiques et éthiques de l’entreprise se traduisent notamment par une cuisine 100% végétarienne ou végétalienne. C’est entre autres pour être cohérent avec cette « thématique » que les clients du Philtre n’ont pas à payer d’extra pour savourer une boisson au lait d’avoine. Même s’il avoue devoir faire « un petit sacrifice » financier, Singh estime qu’il est important de mettre en lumière les laits végétaux « pour que les gens puissent les goûter et comprendre que c’est bon au goût et bon pour l’environnement. »

Bien que les baristas de certains cafés, dont quelques-uns à Montréal, préparent maintenant systématiquement les lattés avec des boissons végétales, le propriétaire du Philtre préfère encore demander à ses clients l’option qu’ils désirent. Singh affirme cependant vendre « clairement plus » de lait d’avoine que de lait de vache. La boisson végétale à base d’avoine représente d’ailleurs le plus grand nombre de commandes envoyées par le propriétaire aux fournisseurs.

 « On fait tout à base de lait d’avoine, nos différents muffins, les chais maison, les chocolats chaud, les London Fog […]. » – SINGH NAVPRETT

Non seulement le lait d’avoine est le plus populaire au sein de la clientèle, mais les employés du Philtre s’en servent également pour préparer des recettes. Singh n’éprouve pas de difficulté à s’approvisionner en boisson végétale. Son entreprise fait désormais affaire avec Oatbox, une marque « 100% canadienne » qui transforme ses boissons végétales à Montréal avec de l’avoine récoltée au Canada. Selon Singh, les laits végétaux spécialisés pour les baristas constituent des produits abordables, surtout en considérant leur qualité.

En se basant sur son impression, sur l’expertise de ses baristas et sur les commentaires positifs des clients, le propriétaire du Philtre est d’avis que la boisson d’avoine est la plus appréciée pour remplacer le lait de vache. Pour Singh, le « côté barista » du lait d’avoine utilisé dans son établissement le rend « nettement meilleur » que d’autres laits végétaux moins dispendieux disponibles dans les supermarchés. « Il est moins liquide, […] beaucoup plus onctueux et il mousse mieux », se réjouit-il. La plupart des clients qui goûtent à un cortado, à un london fog ou à un muffin du Philtre tombent en amour avec le lait végétal, constate Singh Navpreet.

Un choix écologique

Plusieurs justifications poussent les consommateurs à se tourner vers les boissons végétales. Si certaines personnes y voient une opportunité d’apprécier le goût d’un latté en contournant leur intolérance au lactose, d’autres intègrent les laits végétaux dans leur alimentation par souci éthique ou environnemental. Une étude menée par Joseph Poore et réalisée à l’Université d’Oxford en 2018 démontre d’ailleurs que la production de lait de vache rejette trois fois plus de gaz à effets de serre et requiert jusqu’à neuf fois plus de terres agricoles que les boissons végétales. En revanche, la quantité de litres d’eau nécessaires pour boire un verre de lait, qu’il soit animal ou végétal, peut faire sourciller.

 

Une étude réalisée par la marque suédoise Oatley en 2017 avance de son côté que la production de lait de vache – ou de tout autre ruminant – nécessiterait 60% plus d’énergie que celle du lait d’avoine. La quantité importante d’énergie utilisée n’est pas directement liée à la production du lait, elle implique aussi, par exemple, l’énergie nécessaire pour chauffer les installations d’une ferme laitière durant la saison hivernale.

D’un point de vue économique, le poids du secteur laitier est imposant pour le Québec. Il s’agit du secteur agroalimentaire le plus important pour la province, générant plus de 27% de ses recettes agricoles. Preuve de la vitalité du secteur, 48% des fermes laitières au Canada sont établies au Québec.

Un marché en expansion

Le marché des boissons végétales a le vent dans les voiles : de 2020 à 2025, sa croissance mondiale est estimée à 16,7% avec des revenus estimés à 45 millions de dollars américains pour 2025. Cette hausse est aussi observable au Québec. D’après les statistiques du Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), en 2022, le volume de ventes au détail des boissons à base de végétaux a augmenté de 7,1% par rapport à l’année précédente.

Julie Perron est nutritionniste et professionnelle de recherche à l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels (photo : Université Laval).

La constante progression du marché des boissons végétales se traduit par une panoplie de choix de marques, de prix et de saveurs pour les consommateurs hésitants. Devant autant de possibilités d’achat, il est facile de se perdre, estime Julie Perron, nutritionniste et professionnelle de recherche. La chercheuse à l’Observatoire de la qualité de l’offre alimentaire situé à l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels de l’Université Laval (INAF) a participé à une étude visant à brosser le portrait de la qualité nutritionnelle des boissons laitières et végétales offertes et vendues au Québec en 2022.

Des étudiants affiliés à l’observatoire ont été mandatés pour aller acheter en magasin tous les différents laits disponibles à la vente. La cueillette, qui s’est tenue de janvier à février 2022, a été effectuée dans la Ville de Québec et ses environs. Au total, 203 boissons laitières et végétales ont été recensées pour ensuite être classées selon leur origine : animale, soya, noix, riz ou avoine. Parmi toutes les boissons obtenues, 145 d’entre elles sont produites à base de végétaux.

La nutritionniste est étonnée de constater que les boissons à base de noix soient les produits végétaux les plus « prévalents », autant sur les tablettes des supermarchés que dans le panier d’épicerie des consommateurs. « C’est quand même surprenant parce que ce sont surtout les boissons de soya qui se rapprochent le plus du lait animal […] car elles ont des teneurs en protéines plus élevées que les autres boissons végétales. » Même si les boissons végétales sont souvent consommées pour remplacer le lait animal, il est à noter qu’au Canada, l’appellation « lait » est réservée aux sécrétions lactées produites par un animal. Les marques comme Oatley et Oatbox ont donc l’obligation légale de commercialiser leurs produits en mentionnant qu’ils sont produits à base de végétaux.

« On sait que les boissons végétales contiennent moins de gras saturé, moins de protéines et moins de calcium que les boissons laitières. […] Côté protéines et calcium, les boissons végétales n’atteignent pas encore nécessairement les boissons laitières. » – Julie Perron

Les résultats de l’étude de l’INAF témoignent d’une grande variabilité en termes de composition nutritionnelle. Les boissons d’origine animale possèdent des teneurs plus élevées en gras saturés et en sucres, alors que celles d’origine végétales sont généralement faibles en protéines, souligne la chercheuse. De plus, en raison de leur longue liste d’ingrédients, plusieurs boissons végétales avec saveur et sucres ajoutés sont considérées comme des aliments ultra-transformés. Une étiquette apposée sur l’emballage d’une boisson végétale pour souligner son caractère écoresponsable n’assure pas nécessairement un meilleur apport nutritif. Selon les conclusions du rapport de l’INAF, les boissons qui n’affichent pas de telle mention sont même en moyenne plus riches en protéines, en calcium et en vitamine D que les autres.

Après l’analyse de l’offre des boissons laitières et végétales, Julie Perron croit que la demande envers ces dernières n’est pas près de s’estomper. « Je pense que les gens sont plus sensibilisés à l’impact environnemental de ce qu’on mange. C’est une façon de réduire un peu notre empreinte environnementale. » Pour Singh Navpreet, cette lourde tâche s’accomplit un café à la fois.