Les femmes immigrantes à Québec n’ont souvent que l’entraide pour trouver des ressources en santé. S’adapter à un nouveau pays et une nouvelle culture n’est déjà pas chose aisée, alors naviguer dans les eaux troubles du réseau de la santé relève de la détermination et de la résistance. La pénurie de main-d’œuvre dans le réseau accentue la détresse des immigrantes qui peinent à trouver un simple rendez-vous pour renouveler une prescription.

« Il y a beaucoup de problèmes de santé mentale » chez les immigrants et immigrantes estime Lorena Suelves Ezquerro, doctorante en anthropologie rattachée à la Chaire Claire Bonenfant de l’Université Laval. Selon ses recherches, les nouveaux arrivants entreprennent un processus d’apprentissage, d’acclimatation et d’adaptation une fois sur le sol canadien. Cela ne se fait pas sans des « chocs culturels » grands et petits « qui teintent le quotidien » et qui peuvent mener à un trop-plein à gérer.

À l’image des difficultés rencontrées par les Québécois établis, le secteur de la santé mentale et le suivi gynécologique sont tous les deux bouchés d’après les immigrantes rencontrées. Impossible pour elles d’obtenir un rendez-vous avec un spécialiste ou une ressource.

« En termes d’accès aux ressources, tout ce qui est psychiatrique, c’est très compliqué et nébuleux. Je n’ai pas compris à quelle porte il fallait que j’aille frapper. » Clémentine Thomas Salomon, immigrante temporaire

En clinique sans rendez-vous ou par télémédecine, les médecins renouvellent les prescriptions ou en donnent de nouvelles, selon Stéphanie Dezile, infirmière française installée à Québec depuis juillet 2020. Aucun suivi psychologique n’est proposé et aucune référence n’est donnée aux patientes pourtant dans la demande.

Elles doivent se sevrer elles-mêmes de leur traitement, soit pour changer de molécule dans le cas de Stéphanie Dezile, soit pour arrêter totalement les médicaments, dans le cas de Clémentine Thomas Salomon, arrivée à Québec en août 2019 avec un permis de travail fermé lié à une compagnie d’assurance. Le sevrage voire la transition entre deux molécules, deux traitements, doivent se faire avec gradation pour empêcher des complications médicales.

Sur le plan du suivi gynécologique et obstétrique, les femmes rencontrées ont décidé de repousser au plus tard la prise d’un rendez-vous. L’absence d’indication dans les démarches et les ressources lors de leur recherche les inquiète. Non seulement pour elles, mais aussi pour leurs filles. Stéphanie Dezile observe que ses collègues québécoises sont confrontées à la même absence de ressources gynécologiques.

Toutefois les urgences sont traitées rapidement, témoigne Clémentine Thomas Salomon : elle a pu être opérée en moins d’un mois lorsqu’elle a connu un problème de santé en novembre 2020.

Clémentine Thomas Salomon, son conjoint et ses enfants, ont immigré à Québec en août 2019 grâce à l’embauche de Clémentine aux Journées Québec en France. Ils viennent de déposer leur dossier de demande de résidence permanente. (crédit photo : Claudia Camplong)

Près d’un an après, elle se dit toujours étonnée par la rapidité des examens et de la prise en charge, mais reste nettement plus réservée sur l’accès au reste du système de santé.

L’entraide pour trouver une ressource ou un rendez-vous

Pour découvrir le fonctionnement du système de santé, les immigrantes francophones rencontrées se renseignent sur des moteurs de recherche puis sur des groupes d’entraide sur les réseaux sociaux. Ceci les mène sur des sites gouvernementaux comme le Rendez-vous santé Québec, les CLSC ou encore sur des sites de cliniques privées comme La Cité médicale, les Cliniques Infirmia ou Bonjour-Santé.

Stéphanie Dezile a été recrutée en France par le Recrutement Santé Québec (RSQ). Venue exercée comme infirmière à Québec avec son conjoint et leurs enfants, le contexte pandémique était un stress supplémentaire pour elle. Néanmoins, Stéphanie quittait la France avec l’idée que sa profession lui permettrait de trouver plus facilement des références sur place. Ce n’a pas été le cas.

L’infirmière et mère de famille a contacté une multitude de ressources publique et privée avant d’obtenir enfin un rendez-vous, auprès d’un médecin en consultation à distance. Les prix et les forfaits avancés par les cliniques privées ont de quoi rebuter, confie Madame Dezile, habituée à consulter un « médecin traitant » en France. Comme Clémentine Thomas Salomon, elle s’est inscrite sur la liste des demandes de Médecins de Famille du Québec.

Outre le réseau privé, et les CLSC ou la Coopérative de solidarité SABSA qui ne prennent plus de nouveaux patients, les immigrantes n’ont souvent que l’urgence comme derniers recours. Encombrer le service d’urgence pour des douleurs au poignet ou un problème de peau dérange ces immigrantes.

En septembre 2021, Clémentine Thomas Salomon s’est rendue à celle du CHUL, car elle craignait que son poignet soit cassé. Elle a repoussé la consultation le plus longtemps, car elle était dans l’attente du renouvellement de sa carte d’Assurance maladie de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). Les urgences l’ont redirigé en clinique privée où elle a dû débourser des frais. Elle attend aujourd’hui un remboursement rétroactif des frais avancés.

En avril 2021, le gouvernement du Québec a rehaussé ses quotas d’immigrants temporaires pour pallier le manque de main-d’œuvre et relancer l’économie. Jusqu’à 52 500 immigrants sont attendus en 2022, toutes catégories confondues. Pour cause, seuls 25 000 immigrants environ sont arrivés en 2020 sur les 44 000 candidatures possibles.

La santé des femmes immigrantes au Canada dépend de leur nationalité et de leur statut immigratoires. Dans certains cas, leur nationalité n’a plus de prise sur leur accès aux réseaux de la santé québécois, lorsqu’elle tombe notamment dans la précarité et un statut illégal non désiré.

La précarité et les femmes immigrantes

Mayte Martinez et Fernanda Fernandes sont intervenantes sociales et membres du Comité Femmes Immigrantes de Québec. Elles sont au contact des multiples situations et histoires de femmes immigrantes qui se sont retrouvées bien souvent malgré elles dans des situations précaires, qui viennent ajouter aux problèmes d’accès aux soins dans leur pays d’accueil.

« Il n’y a pas juste une pénurie de professionnels de service de santé, ils sont aussi saturés (…). Les personnes qui vont écoper de tout cela ce sont toujours les personnes les plus vulnérables » – Lorena Suelves Ezquerro, Doctorante en anthropologie à l’Université Laval.

Processus de parrainage interrompu par le parrain, violences conjugales ou familiales, harcèlements au travail, accidents, pertes de logement, finances trop maigre pour repartir dans son pays d’origine… Les causes de la précarité chez les femmes immigrantes temporaires et les réfugiées sont nombreuses et documentées par les groupes de recherches universitaires féministes et les groupes communautaires, selon les membres du Comité Femmes Immigrantes de Québec.

À ces problèmes de précarité économique et sociale peut s’ajouter de la discrimination de genre ou ethnique, soutient Mayte Martinez. L’infantilisation ou la victimisation les femmes vulnérables sont aussi présentes dans les rapports avec le reste de la société, notamment en santé, estiment les deux intervenantes sociales.

Pour essayer d’y remédier, Fernanda Fernandes signale les efforts constants de sensibilisation des accompagnateurs et intervenants sociaux auprès des acteurs des différents secteurs comme le système judiciaire ou celui de la santé. Ceci tourne parfois à la confrontation, mais il est important selon Madame Martinez et Madame Fernandes que les personnes comprennent les enjeux et les raisons de l’absence d’assurance maladie, ou de moyens financiers chez les femmes en situation précaire.

« Le système est contre les personnes qui n’ont pas de statut ou un statut précaire » Mayte Martinez, intervenante sociale et membre du Comité Femmes Immigrantes de Québec.

Lorena Suelves Ezquerro indique que « le Québec est une province qui discrimine selon le statut par rapport à l’accès aux soins de santé ». Elle insiste également que si pour les femmes immigrantes en statut précaire la situation est critique dans les grandes villes pour avoir accès aux services de santé ou de garderies pour les enfants, « en région c’est encore pire ».