Plus de 23 millions d’hectares de forêt ont été détruits au Canada par les feux de 2023 et 2024. Cette situation pourrait s’aggraver dans l’avenir avec le réchauffement climatique. Selon les résultats d’une étude publiée en septembre dernier dans la revue Nature Communications, il provoquerait la fonte rapide du pergélisol (sol gelé en permanence) et une « augmentation abrupte » des feux de forêt dans les régions arctique et subarctique du Canada et de la Sibérie d’ici la fin du siècle.
Pour en arriver à ce constat, une équipe de chercheurs internationaux dirigée par In-Won Kim du Center for Climate Physics, Institute for Basic Science à Busan, en Corée du Sud, a analysé 50 modèles climatiques réalisés à partir des données d’émission de gaz à effet de serre recueillies depuis 1850 ainsi que de prévisions qui mènent jusqu’en 2100.
Les spécialistes anticipent que le réchauffement climatique engendrerait un dégel rapide du pergélisol et entraînerait un assèchement massif des sols, un réchauffement de sa surface et une diminution de l’humidité relative de l’air. « Ces processus combinés mènent […] à une intensification abrupte des feux de forêt en Sibérie occidentale et au Canada », rapportent les chercheurs.
Leurs travaux ont permis de confirmer leur hypothèse selon laquelle l’humidité du sol joue un rôle crucial dans l’activité des feux de forêt dans les zones arctique et subarctique.
Un cercle vicieux
Les changements climatiques sont à la base d’un cycle qui perturbe de plus en plus les conditions atmosphériques et l’état du sol dans l’Arctique. Si rien n’est fait, avertissent les chercheurs, les incendies de forêt dans ces zones nordiques s’intensifieront dans la seconde moitié du 21e siècle et les premiers signes pourraient apparaître aussi tôt qu’en 2030.
Ils expliquent que plus le pergélisol se réchauffe, plus il fond et plus la couche active s’épaissit. Conséquemment, l’eau de ruissellement, provenant, par exemple, de la fonte de la neige ou des précipitations, s’incruste plus profondément dans la terre dégelée. « Dans les régions arctiques et subarctiques, le ruissellement est influencé par la présence ou l’absence de pergélisol profond qui peut se comporter comme une barrière empêchant le drainage de l’eau liquide des couches supérieures du sol », peut-on lire dans l’étude.
Ainsi, lorsque le pergélisol fond, la surface du sol s’assèche, l’humidité relative diminue et la température de l’air s’accroît. Ces conditions augmenteront la demande atmosphérique en eau, ce qui entraînera une évapotranspiration du couvert forestier et contribuera à son assèchement.
En additionnant la chaleur de l’été à ce cocktail, la table est mise pour provoquer un embrasement de la végétation à la surface. À leur tour, les feux relâcheront dans l’air des gaz à effet de serre qui alimenteront le réchauffement climatique.
Des feux plus intenses
La hausse soudaine de ces incendies sera provoquée, d’après les chercheurs, par ce changement « brutal » des conditions environnementales. Ils seront plus intenses, toucheront plus de territoire et seront plus longs à éteindre. « La superficie consumée après le dégel rapide du pergélisol est d’environ 2,6 fois supérieure à celle observée avant ce dégel », rapporte l’étude.
Pour illustrer leur propos, les chercheurs ont analysé deux scénarios où l’humidité du sol dans les régions polaires, en été, est réduite de 20 % dans un cas et de 40 % dans l’autre.
« La comparaison des expériences de baisse de l’humidité du sol de 20 % et 40 % révèle que ces changements substantiels de l’humidité du sol et de l’humidité relative conduisent à une amplification non linéaire de la zone brûlée. […] De plus, en raison de la lenteur du temps de récupération, l’humidité du sol dans ces expériences ne revient pas à l’état d’avant la perturbation, au moins pendant les deux premières années, ce qui prolonge encore l’activité des feux de forêt. »
Ces observations ont aussi permis aux chercheurs de constater que seules les régions de l’Arctique et du subarctique sont affectées par ces conditions propices au déclenchement des feux de forêt.
Les régions plus chaudes, voisines de la limite sud du pergélisol ne sont pas touchées par cette augmentation. « Ce qui peut s’expliquer par l’absence de changements brusques dans la glace et l’humidité du sol », ont-ils estimé.
Qu’est-ce que le pergélisol ?
Avant d’aller plus loin, il faut comprendre ce qu’est le pergélisol. Il s’agit de la partie du sol qui est gelé en permanence, dont la température est inférieure ou égale à 0 °C pendant deux ans ou plus. Il se trouve sous la couche active du sol qui subit les phases annuelles de gel et de dégel. Il peut atteindre une profondeur de 1 000 mètres dans les plus hautes latitudes de l’Arctique jusqu’à quelques mètres dans les régions les plus au sud. Il renferme aussi des gaz à effet de serre (méthane et dioxyde de carbone) qui sont libérés lorsqu’il fond. Au Canada, le pergélisol couvre près de 50 % de sa superficie, principalement dans l’archipel de l’Arctique ainsi que dans les trois territoires |