Les résultats du référendum sur l’accord de paix entre le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) reflètent une forte polarisation de la société. En effet, le 2 octobre dernier, 50,21 % des électeurs se sont opposés à l’accord et 49,79 % prononcés en faveur de celui-ci. L’Exemplaire a contacté des Colombiens d’origine ainsi que des expatriés vivant en Colombie afin de recueillir leurs témoignages personnels. Tous n’ont pas pu voter, mais tous avaient une opinion sur le sujet. Opportunité manquée, regrettent certains. Recherche de justice et refus de l’impunité, soutiennent d’autres. Un constat s’impose : qu’ils soient dans le camp du «Oui» ou du «Non» relativement à l’accord, tous ont un point en commun, celui d’être en faveur de la paix.
« Je pense qu’on a manqué une grande opportunité en Colombie de résoudre une partie du problème colombien qui est le conflit armé», dit Leila Celis. En effet, au-delà du conflit armé, le pays est confronté à un conflit social important, explique cette Colombienne d’origine et professeure de sociologie à l’UQÀM qui réside au Québec. Si la «mobilisation sociale» qui s’observe en ce moment est encourageante, «l’incertitude» persiste pour ce qui est de la suite des évènements. «On ne sait pas ce qui va se passer. La situation change très rapidement en Colombie et tout est encore à venir.»
Daniela Paz, étudiante en design de mode vivant à Bogotá, a voté contre l’accord de paix et elle est contente du résultat final. À ses yeux, l’accord est «très incomplet» et il accorde une «impunité pour des personnes ayant commis des crimes contre l’humanité». Les Colombiens méritent une «paix réelle», insiste-t-elle. Et pour ce faire, il faut qu’il y ait de la justice. La famille de Mme Paz a été personnellement affectée par le conflit, ayant notamment été forcée de quitter ses terres. Ses voisins ont été kidnappés, dit-elle. Aujourd’hui, Mme Paz souhaite que justice soit rendue et que les criminels répondent de leurs actes. S’il est possible de pardonner, elle s’oppose fortement aux «privilèges» qui seront donnés aux guérilleros, comme l’aide financière. D’autant plus qu’ils se sont enrichis via le trafic de drogue. C’est injuste pour des personnes âgées ayant travaillé toute leur vie sans nuire à personne, s’indigne-t-elle. De plus, le fait que les FARC puissent avoir accès au Congrès est inacceptable à ses yeux. En ce moment, les négociations se poursuivent. Si elles aboutissent à un accord plus juste, elle pourrait peut-être changer d’avis et être en faveur de celui-ci.
Abraham Merchan, ingénieur électronique demeurant à Bogotá, est également satisfait des résultats. La victoire du «Non» ne signifie pas que les gens sont opposés à la paix, croit ce citoyen colombien. Cela reflète plutôt qu’une partie de la population n’est pas prête à accepter l’accord sous sa forme actuelle. Certains points devraient être renégociés afin qu’il y ait une plus grande justice, poursuit M. Merchan. La sévérité des peines pour les personnes ayant commis des crimes lors du conflit armé n’est pas suffisante à ses yeux. Certaines personnes ont aussi de la difficulté à accepter que l’on permette la participation politique des guérilleros, ajoute-t-il. Son souhait à lui est que les négociations se poursuivent afin d’aboutir à un accord qui soit «plus juste» pour les Colombiens. Mais encore, pour avoir une véritable paix, il faudrait un certain consensus, fait remarquer M. Merchan. Or, les résultats du référendum démontrent que «le pays est très divisé» en ce moment.
Des lendemains de déception
Lorsque le «Oui» était en avance, j’étais calme et optimiste, raconte Carolina Castaño Uribe qui vit à Medellín et étudie pour devenir ingénieure géologique. Lorsque le «Non» a pris les devants, elle s’est mise à angoisser et à pleurer. Pour des jeunes nés avec le conflit, il y avait un espoir de vivre enfin dans un pays différent et de fermer la porte sur ce conflit. Quand elle était petite, elle espérait pouvoir vivre dans un pays en paix une fois adulte, se remémore Mme Castaño Uribe. Ainsi, le rejet de l’accord de paix est très «frustrant». Elle souhaite désormais qu’une entente soit négociée afin de mener à terme le processus de paix. Si les FARC vivent dans des régions éloignées du centre urbain, elle espère qu’à l’avenir, il puisse y avoir une cohabitation possible. Mais pour cela, il faut une plus grande ouverture et une réconciliation – et il faut pardonner, dit-elle. Enfin, le gouvernement devrait cesser de dépenser beaucoup d’argent pour la guerre et l’armée, et plutôt faire les investissements nécessaires en éducation, en santé et dans les infrastructures.
«Je suis émotionnellement épuisé par ce qui s’est passé hier», confie Richard McColl pour sa part au lendemain du référendum. Ce journaliste international indépendant originaire d’Angleterre réside en Colombie depuis dix ans et il n’est pas très optimiste quant à l’avenir de l’accord de paix. Le gouvernement n’avait pas de «plan B», s’exclame-t-il. La société est très polarisée. Le soir du vote, dans le même pâté de maisons, des personnes célébraient alors que d’autres pleuraient, décrit M. McColl qui demeure à Bogotá. Lui-même s’est dit surpris par le rejet de l’accord, qui à son avis, constituait un pas dans la bonne direction après 52 ans de conflits.
À son avis, le gouvernement n’a pas été assez proactif afin d’éduquer la population sur le contenu de cet accord. «La campagne du «Non» était très émotionnelle et c’est très facile de manipuler les gens sur des sujets émotionnels.» L’idée que le pays allait être «donné aux FARC» inquiétait une partie de la population qui entretient encore une haine et une méfiance profonde envers ces guérilleros, relate M. McColl. Cela étant dit, «les personnes ayant voté en faveur de l’accord de paix sont largement celles qui ont été les plus affectées par le conflit», notamment dans les zones rurales. «Une négociation requiert des concessions.» En outre, le taux d’abstention élevé démontre une méfiance très importante de la population envers la politique, explique M. McColl, évoquant entre autres la corruption. Les gens ne croient pas que leur vote compte, ajoute-t-il. Par ailleurs, le passage de l’ouragan Matthew a pu décourager des personnes à sortir de chez elles pour aller voter.
«J’étais très surprise et j’avais vraiment le cœur brisé»; c’est ainsi que Lani Pickard décrit sa réaction aux résultats du plébiscite. Cette américaine vivant en Colombie depuis trois ans œuvre au sein de l’organisme sans but lucratif Sembrandopaz, dans la région de Montes de María. L’organisation effectue, entre autres, un travail d’accompagnement auprès de communautés ayant été victimes du conflit armé. Les communautés avec lesquelles nous travaillons étaient en faveur d’un accord de paix, fait savoir Mme Pickard. «Les personnes qui ont été les plus affectés par la violence et le conflit armé sont celles qui sont prêtes à dire : allons de l’avant, passons à l’étape suivante.» Si elle est très déçue de la tournure des évènements, cette expatriée garde espoir. Elle est convaincue que les communautés vont continuer à travailler pour la paix. S’il y a une leçon à retenir de tout cela, c’est l’importance de voter «consciencieusement» et de manière «informée».



















