Il a souvent été question d’actualité locale et régionale lors du Festival international du journalisme de Carleton-sur-Mer, mais l’exposition NÛJEN, les combattantes a permis de toucher de plus près à ces enjeux internationaux.

La cinéaste et photographe Zaynê Akyol a un intérêt pour les sujets qui touchent la communauté du Kurdistan, dont la région s’étend sur quatre pays : l’Iran, l’Irak, la Turquie et la Syrie. Elle s’est rendue dans ce dernier pays pour prendre les photos de son exposition. « Ça me fait extrêmement plaisir d’être ici [pour] présenter la première mondiale avec vous tous. Je suis extrêmement touchée », a-t-elle déclaré au public lors du lancement.

« Ce projet-ci découle de mes racines, de qui je suis. Je suis d’origine kurde et, très jeune, j’étais déjà en contact avec des femmes combattantes des guérillas », confie Zaynê Akyol (Photo : Fred Gervais)

D’origine kurde et ayant grandi en Turquie, Zaynê Akyol a immigré avec sa famille à Montréal lorsqu’elle était encore enfant. Dans ce nouvel environnement, elle a découvert une communauté kurde différente de celle qu’elle connaissait dans son pays d’origine. À Montréal, « on avait soudainement cette nouvelle liberté de dire qui on était, de pouvoir vivre comme on le voulait, de parler notre langue », raconte-t-elle lors de l’exposition. Depuis, Mme Akyol n’a pas fait fi de ses origines, en retournant au Kurdistan à quelques reprises pour présenter la réalité d’individus qui la fascinent, à travers des documentaires, et maintenant avec la photo.

En 2019, alors qu’elle réalise ROJEK, un film à propos des membres de l’État islamique emprisonnés en Syrie, elle s’intéresse aussi aux femmes qui combattent les djihadistes : « c’est des femmes qui ont arrêté l’État islamique, qui se sont courageusement réunies, qui ont combattu, qui protègent leur territoire », énonce la photographe.

Zaynê Akyol est partie sur les lieux sans avoir l’aide d’un fixeur, une qui lui servirait d’interprète et guide, car elle parle déjà le kurde. Elle était plutôt accompagnée d’un directeur photo et d’un preneur de son. Pour prendre ces soldates en photo, Mme Akyol s’est rendue dans les villes syriennes de Raqqa, Baghouz et Deir ez-Zor, entre autres.

Une carte du Kurdistan de 1946, année où les Kurdes ont établi la république de Mahabad. Cette république indépendante a cessé d’exister en décembre de la même année, lorsque l’Iran a récupéré le territoire (Source : Council on Foreign Relations ; image : Wikimedia Commons

Elle a essentiellement pris en photo deux groupes de femmes au front. Le premier est un groupe anti-terreur de démantèlement. « S’il y a une personne de l’État islamique qui se cache quelque part, elles sont chargées d’arrêter cette personne », explique Mme Akyol. Les femmes y portent des cagoules parce qu’elles ne veulent pas être reconnues et veulent garder une vie civile, détachée de leurs fonctions de défense. Le second est l’unité de la protection de la femme, appelée le YPJ. Les membres ne se couvrent pas le visage, et n’ont pas de vie civile : « elles se sont données corps et âme pour combattre leurs terres », affirme Zaynê Akyol.

Chacune d’elles s’entraîne dans une branche de l’armée dédiée aux femmes seulement. Questionnée sur la place des femmes au combat dans la région du Kurdistan, la documentariste souligne que, contrairement à la croyance populaire, les populations kurdes étaient ancestralement matriarcales. De nos jours, ces sociétés continuent de défendre des revendications féministes et écologistes. Zaynê Akyol ajoute que, plusieurs Kurdes « essaient d’établir un système démocratique basé sur la pluralité religieuse et culturelle », ainsi qu’une décentralisation du pouvoir.

L’exposition NÛJEN, les combattantes se veut le « contrechamp » du mouvement Daesh, mais vise aussi à mettre de l’avant ces femmes kurdes, fières de contribuer à la protection de leur nation et de leur territoire, malgré les frontières qui le séparent.