Aux élections législatives du 29 octobre dernier, le Parti Pirate islandais est devenu la troisième formation politique du pays avec 14,5% des voix, un espoir pour tous les Partis Pirates du monde. Retour sur ce parti de néophytes de la politique, qui amène un vent de fraîcheur sur une gouvernance islandaise décriée.
Un crâne blanc surmontant une paire de tibias sur fond noir et un poster du film « V pour Vendetta » représentant une Natalie Portman à l’air farouche. Le bureau de Birgitta Jonsdottir, leader du Parti Pirate, ressemble davantage à une chambre d’adolescent qu’à un quartier général de parti politique. Malgré les apparences, le parti a remporté le 29 octobre dernier 10 des 63 sièges à l’Althing, le parlement islandais.
Même sur la forme, le Parti Pirate ou Piratar, en islandais, ne fait rien comme les autres. Créé en 2012, il veut aller à l’abordage de la corruption politique dans le pays et venger ses habitants. Jouant de son image de parti dissident, il possède son propre drapeau de pirate : sur fond violet, un cercle blanc entouré de noir contient un P stylisé noir en forme de drapeau. Sur celui-ci, en lieu et place d’une supposée tête de mort, se trouve le symbole d’un filet de poisson séché (stockfish), emprunté au Coat of arms, le blason du pays.
Protection des droits civils
Le Parti Pirate islandais revendique sur son site officiel que son idéologie est celle du Parti Pirate suédois, fondé en janvier 2006 par Richard Falkvinge pour réformer le droit d’auteur sur internet. Aujourd’hui, 28 pays font partie du Parti Pirate international (PPI).
Sur la page française du PPI, le ton est donné : « Notre crime ? Vouloir partager la culture », et ce face aux systèmes politiques et économiques « dépassés par la révolution numérique. »
Le Parti islandais précise quant à lui « (Les Partis Pirates) ont leurs politiques et priorités, mais sont tous unis pour appeler à la protection et au renforcement des droits civils, incluant la liberté de parole et le droit à la vie privée. »
C’est cette envie d’une politique collaborative qui anime le Parti Pirate islandais, son programme a été élaboré de cette façon. Comme premier changement après les élections législatives, ses membres veulent que le gouvernement adopte la constitution écrite majoritairement par les internautes et validée par référendum en 2012, mais jamais promulguée par le gouvernement en place. Un autre point de leur programme est le droit pour les citoyens de faire des propositions de loi, à condition que 2% de la population les signent.
Dans le pays, les « banquiers gangsters » ou banksters (banques d’affaires) sévissent et ont causé un crash économique en 2008-2009. Cela a donné lieu à un vaste soulèvement populaire surnommé la « Révolution des casseroles ». Quelques années plus tard, le Parti Pirate islandais était créé par Birgitta Jonsdottir et Smari McCarthy. Il est devenu le premier Parti Pirate au monde à entrer dans un parlement national en obtenant trois sièges à l’Althing aux élections législatives de 2013. Parmi ces trois députés : Birgitta Jonsdottir.
Une dirigeante « poéticienne »
« J’ai vu des signes… La fin du monde tel que nous le connaissons a commencé. Ne paniquez pas, ça peut avoir l’air terrifiant en apparence mais chaque être humain va trouver en lui le choix d’aller au-delà. La terre appelle, le ciel appelle, Dieu appelle, la création appelle. Réveillez-vous, réveillez-vous maintenant. »
Souriante sous sa courte frange brune, la très lyrique leader du Parti pirate islandais Birgitta Jonsdottir, publie sur son blogue des poèmes et textes chantés, comme celui-ci. À 49 ans, l’ancienne porte parole de Wikileaks se définit comme bouddhiste, « poéticienne », peintre et musicienne. Sur son site, elle précise d’entrée de jeu qu’elle « n’exprime pas ses opinions politiques (ici) (…) être politique c’est avoir des opinions. Chaque personne a l’opportunité de changer le monde. » Dans une entrevue accordée au journal le Monde le 17 septembre dernier elle précisait : « Il faut de « vraies gens » dans la politique. Moi je suis madame tout le monde, même si j’ai toujours été un peu bizarre.»
Victoire en demi-teinte
Résultats des élections législatives du 29 octobre dernier, source ici
En avril dernier, le scandale des Panama Papers a durement touché le pays. Le premier ministre Sigmundur David Gunnlaugsson et 600 Islandais étaient accusés d’avoir des liens avec des sociétés offshores. Le chef du gouvernement dirigeait alors une coalition entre le Parti du progrès (libéral, de centre droit), dont il était issu, et le Parti de l’indépendance (conservateur).
Le président de la République Olafur Ragna Grimsson était lui aussi soupçonné, sa femme étant accusée de détenir de l’argent dans un paradis fiscal. Après vingt ans au pouvoir, il a dû renoncer à se présenter aux élections de juin dernier. Après ces révélations, les Islandais ont manifesté pour demander des élections législatives anticipées, qu’ils ont obtenues.
Quelques jours avant les élections du 29 octobre, le Parti Pirate a annoncé un accord avec l’opposition : le Mouvement Gauche-Vert, l’Alliance démocratique sociale et les centristes du parti Avenir Radieux. «Nous pensons que la coopération entre ces partis offrirait un choix clair contre les partis de gouvernement actuels et pourrait créer une occasion nouvelle pour la société islandaise», précisaient alors les dirigeants dans un communiqué.
Pendant la campagne, le Parti pirate a eu jusqu’à 40% des intentions de vote, mais quelques semaines avant les élections, sa popularité a chuté, et les votants ont finalement favorisé le Parti de l’indépendance, pourtant touché par les révélations des Panama Papers. Ses 21 sièges lui permettent aujourd’hui de former un nouveau gouvernement, ce qui est la déception principale du Parti pirate.
Malgré cela, les propos de Birgitta Jonsdottir dans son entretien au Monde avant les élections, laissent optimistes : « Si nous réussissons à rendre, concrètement, la démocratie plus forte en Islande, alors nous pourrions mettre fin à la peur et à la défiance. Et cela pourrait en inspirer d’autres. » Majoritaire ou non, le Parti Pirate islandais et ses 10 sièges au parlement national sont un signe d’espoir pour les mouvements citoyens internationaux.




















