Sur l’archipel d’Haïti, les dégâts causés par l’ouragan Matthew dans la nuit du 3 au 4 octobre 2016 sont considérables. Près de 1,5 million de personnes ont besoin d’une aide humanitaire dans le pays. Mais avec les routes et moyens de communication détruits, les convois parviennent difficilement à délivrer les vivres.
Matthew est né sur la côte ouest de l’Afrique. D’abord simple onde tropicale, il s’est rapidement mué en tempête en traversant l’Océan Atlantique. Flirtant avec la côte colombienne, l’ouragan de niveau 4 l’a finalement délaissée pour monter vers la mer des Caraïbes. Là-bas, il a dirigé son œil aveugle droit sur l’archipel d’Haïti, faisant près de 500 morts, et des millions de déplacés.
« D’entrée de jeu on sait qu’il y aura des besoins liés à la santé, à l’eau potable notamment, ce qui cause déjà des cas de choléra, explique François Audet, professeur à l’école des sciences de la gestion de l’université du Québec à Montréal, et directeur scientifique de l’Observatoire canadien sur les crises et l’aide humanitaire (OCCAH). Par la suite viendront les enjeux liés à la nourriture, et encore après celui lié à la reconstruction des infrastructures. »
Le choléra est au cœur des enjeux sanitaires, plus de 800 cas ont été recensés dans tout le pays par le ministère de la santé. Une semaine après le passage de Matthew, l’organisation mondiale de la santé (OMS), a annoncé l’envoi d’un million de vaccins.
Dans les régions touchées, l’aide humanitaire a paru tardive, « ce sont des zones isolées, où il est compliqué d’aller, même en temps normal », poursuit François Audet. « La catastrophe a exacerbé l’isolement et coupé les systèmes de communication. »
Peu de leadership politique
Aujourd’hui chercheur et observateur, il se rend depuis vingt ans à Haïti, où il intervenait au début en tant qu’humanitaire. D’après lui, le souci vient de la nature même de l’aide : « A Haïti il y a très peu de leadership politique, les humanitaires apportent une aide palliative, de substitution aux instances locales. A chaque catastrophe on retombe dans les mêmes schémas d’aide, en apportant la moins pire des solutions. »
Selon lui, la gouvernance, les instances locales et la sécurité civile ne sont pas suffisantes pour répondre à la situation d’urgence que connaît actuellement le pays. « Si une nouvelle catastrophe survient mais que rien n’est organisé au niveau de la gouvernance, l’aide humanitaire se trouvera dans la même situation. »
Un point qu’a approuvé mercredi 11 octobre le président provisoire haïtien Jocelerme Privert, lors d’une conférence de presse : « Si nous persistons à apporter de l’aide alimentaire urgente aux personnes victimes, sans prendre des mesures pour les recapitaliser, pour qu’il y ait une grande circulation d’argent dans les régions affectées, le risque d’un exode vers les grandes villes est toujours là. »
Cité par l’Agence France Presse (AFP), il a affirmé : « Il n’y a pas deux acteurs sur le terrain mais un seul: l’acteur, c’est l’Etat. » Mais : « cet acteur dispose-t-il de tous les moyens lui permettant de répondre aux attentes de la population? La réponse est non », a-t-il reconnu.
Scènes de violence
Des personnes massées contre les convois, des jets de pierres qui fusent, les forces de police qui interviennent pour escorter les humanitaires… Le 10 octobre, le convoi d’une des ONG présente sur place, Food for the poor Haïti, a été attaqué.
« Des roches ont été lancées en notre direction, un de nos conducteurs a été légèrement blessé (…) un des pneus de sa remorque était en lambeaux, les vitres du camion ont été brisées aussi », a expliqué Soraya Louis, responsable des communications pour l’organisme, au journal Le Soleil le 16 octobre.
Les sept semi-remorques transportaient de la nourriture, de l’eau, des vêtements, des médicaments et des réchauds à kérosène. « Beaucoup d’aide se concentre dans les grandes villes, alors il se peut que plusieurs communautés se sentent oubliées, poursuit-elle. Les gens sont angoissés, ils ne savent pas quoi faire. »
« C’est quelque chose de fréquent dans des situations similaires, développe François Audet. Il existe à Haïti, comme dans beaucoup d’autres pays, des zones isolées touchées par le banditisme. Ici les conditions humanitaires extrêmes justifient certaines démarches criminelles, dans le but de sauver les leurs. » Encore une fois, la clé du problème réside selon lui dans la gestion du pays : « Il y a beaucoup de territoires à Haïti qui ne sont pas contrôlés par l’Etat, ni par un système policier ou militaire. »
« On ne s’improvise pas humanitaire »
Cela n’empêche pas les organisations sur place de poursuivre leur travail. Le 17 octobre, la Croix-Rouge canadienne a annoncé sur son site avoir déployé une clinique mobile en Haïti, en collaboration avec la Croix-Rouge française. « Grâce à sa configuration mobile, la clinique permettra d’offrir des soins de santé d’urgence à des communautés isolées dont les dispensaires ont été endommagés ou détruits », précise le communiqué.
Pour François Audet, il faut « faire confiance aux professionnels de l’humanitaire. » Le directeur scientifique de l’OCCAH déplore le « libre marché du volontourisme en Haïti. » Le volontourisme est le fait d’allier volontariat et tourisme, et d’aller en amateur sur place pour apporter son aide, en passant ou non par des organisations faisant payer leurs services quelques milliers d’euros.
Endosser sac à dos et bonne volonté ne suffit pas pour aller aider un pays en situation de crise, « on ne s’improvise pas humanitaire », rappelle François Audet. « Il faut que celles et ceux qui veulent aider Haïti donnent les ressources qu’ils avaient pensé investir dans un billet d’avion aux organisations qui ont la capacité pour agir. »




















