Jusqu’au Québec, le public partage le choc de l’Arménie perdante face au traité de paix signé avec l’Azerbaïdjan. La réalité du champ de bataille aura finalement rattrapé l’illusion de contrôle entretenue par la propagande de l’armée arménienne. Un choc inévitable selon Aimé-Jules Bizimana, professeur à l’UQO spécialisé en relations armées-médias, et la pigiste Liz Cookman, qui a couvert sur le terrain les affrontements au Caucase.
Pour Liz Cookman, la surprise de la défaite des Arméniens n’en était pas une : L’Azerbaïdjan était supérieure en tous points. « Je pense personnellement que c’était plutôt clair que l’Azerbaïdjan avait beaucoup plus de leur côté que l’Arménie », explique la journaliste.
Pourtant, les Arméniens ont cru à la victoire jusqu’au bout. Pendant plus d’un mois, leur premier ministre, Nikol Pashynian, et son état-major ont servi des mensonges à la population. Chaque poussée azerbaïdjanaise était systématiquement démentie, cachée. Quand la ville stratégique de Shushi est tombée aux mains de l’Azerbaïdjan, les communiqués d’Arménie ont affirmé le contraire.
Aux yeux d’un Arménien, la défaite restait inconcevable.
Aux yeux de Liz Cookman cependant, qui a vu le front, le mensonge était évident. « S’ils avaient été plus honnêtes à propos de leurs pertes et de la manière dont se déroulait réellement la guerre, la population n’aurait jamais été aussi incroyablement outrée quand ils ont perdu », rapporte-t-elle.
Elle ne s’étonne donc pas du désarroi populaire lorsque du jour au lendemain, ce 10 novembre dernier, Erevan annonçait sa défaite.
« Tout le monde était dépité. Pour plusieurs jours après le traité de paix, c’était difficile d’avoir une réponse à une question simple de la part d’un Arménien. Ils étaient en état de choc, incapables de communiquer », se rappelle la correspondante. « Les rues [d’Erevan] étaient désertes, il n’y avait personne dans les bars, dans les restaurants. C’était comme un deuil national. »
Population aveuglée
À des milliers de kilomètres de la capitale arménienne, Aimé-Jules Bizimana arrive à des constats similaires.
Le chercheur comprend qu’une grande partie de la population d’Arménie ait été aveugle à la réalité. Sans autre source d’information crédible que les annonces de leur gouvernement, les citoyens n’arrivaient pas à avoir un portrait juste de la guerre.
C’est pourquoi quand Ilham Aliyev, président azerbaïdjanais, annonçait des gains militaires importants, les Arméniens y voyaient surtout de la propagande ennemie. Les indices d’une défaite prochaine n’étaient pas invisibles, mais le déni, trop fort, a pris le dessus de la logique.
« Il n’y a pas la même culture des médias ici, et je ne pense pas que les gens aient les outils nécessaires pour dire qu’est-ce qui est de la propagande et qu’est-ce qui ne l’est pas », appuie dans le même sens Liz Cookman.
Il ne faut pas penser en revanche que les Arméniens ont été les seuls incapables de voir venir l’inévitable. Au Québec et au Canada, malgré des médias indépendants et aucun parti pris apparent, peu de gens ont pu prédire la fin abrupte d’une guerre perdue d’avance.
Le vide médiatique du Haut-Karabakh
Peu de correspondants sur place, encore moins de journalistes basés en permanence dans la région, une trop faible vérification des faits. M. Bizimana relève plusieurs critiques faites aux médias occidentaux lors du conflit. Leur couverture de la guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, pas assez complète, explique en partie l’impossibilité qu’ont eu les médias de faire des prédictions sur l’issue des affrontements.
La propagande gouvernementale, autant arménienne qu’azerbaïdjanaise, est donc venue combler ce manque de reporters.
Souvent, les images et déclarations des deux ennemis ont été reprises dans les médias canadiens ou américains. Impossible dans cette situation de connaître la vérité sur les combats.

Une bénédiction pour le gouvernement d’Arménie et du Haut-Karabakh analyse Jordan Proust, doctorant en communication publique à l’Université Laval.
Sans trop de journalistes pour démystifier leur propagande, les autorités arméniennes ont, selon lui, su conserver un semblant de réputation.
Il a fallu que les forces du Haut-Karabakh ne puissent plus tenir le coup et avouent eux-mêmes leur défaite pour que les médias remettent les pendules à l’heure.
Dans sa défaite, l’Arménie aura tout de même réussi, par sa désinformation, à duper de grands médias et mobiliser son peuple avant sa débâcle.
Comme quoi la propagande, aussi efficace soit-elle, ne gagne pas une guerre à elle seule.