Dans le département de sociologie de l’Université Laval, quatre cours se donnent maintenant en comodal cette session. Une manière de rassembler les étudiants en classe et à distance grâce aux nouvelles technologies. Une technique innovante, mais qui compte son lot d’adaptations dans la façon d’enseigner des professeurs.

Le vendredi, à midi trente, seulement une dizaine d’étudiants se trouvent dans la grande classe vitrée de Ronan Goualc’h. Pourtant, le jeune doctorant compte 19 inscrits dans son cours de sociologie économique. C’est parce qu’en plus de parler aux gens présents dans le local, le jeune chargé de cours enseigne à une dizaine d’étudiants qui assistent au cours à distance. Avec un micro autour de son cou, filmé par plusieurs caméras, il parle à des étudiants dans le confort de leur maison, filmés eux aussi. Plusieurs micros suspendus au-dessus des gens dans la classe permettent aussi de capter les questions afin de les retransmettre à ceux qui sont à distance. Joelle Bouchard, son assistante de cours, communique avec les étudiants à distance en parallèle pendant l’exposé du professeur. Elle répond à certaines questions à travers un clavardage. Les étudiants peuvent aussi lui transmettre des questions qu’elle pose en classe pour eux.

Joelle Bouchard qui répond aux questions des étudiants qui assistent au cours à distance sur le clavardage. Crédits : Léa Martin

C’est le principe du cours comodal, un phénomène tout nouveau dans le département de sociologie de l’Université Laval. « C’est la première session de l’histoire du département de sociologie qu’il y a des cours en comodal », indique Ronan Goulac’h. « Il y en a quatre et le mien est celui au plus faible effectif. »

La formation comodale, telle que développée à l’Université Laval, est une façon plus souple pour l’étudiant de pouvoir suivre des cours universitaires. L’étudiant a alors le choix, tout au long de la session, d’assister à son cours en classe, à distance de façon synchrone (durant la période de cours), ou encore à distance de façon asynchrone (à n’importe quel moment de la semaine). L’étudiant peut alors profiter d’un contact plus humain avec un professeur que dans un cours seulement à distance, mais tout en modulant son parcours universitaire selon son horaire. La formule prévoit d’être équitable pour tous les étudiants, qu’ils soient en classe ou à distance. « J’ai des étudiants qui sont en Abitibi-Témiscamingue », dit Frédéric Audet, chargé d’enseignement en management à l’Université Laval. « Ils ont besoin de suivre des cours, mais ils n’ont pas la capacité de se déplacer, donc on va chercher une nouvelle clientèle qui a besoin de l’enseignement universitaire, mais, il y a quelques années, qui n’avaient pas la capacité d’en profiter. »

Pour ce chargé de cours qui enseigne en format comodal depuis maintenant quatre ans, cette façon de faire n’a plus de secrets. Il a ses propres techniques et impératifs pour chacun de ses cours. Il a décidé, par exemple, de donner accès à l’enregistrement de ses cours en tout temps pour la plupart de ses étudiants, ce que ne font pas Pascale Bédard et Ronan Goualc’h pour qui rendre les vidéos disponibles sur le portail en tout temps, impliquerait de faire un cours complètement magistral. « Faire des discussions avec des personnes à distance, c’est un peu hasardeux par moment, mais c’est faisable. Par contre, si les personnes regardent la vidéo dans la semaine, trois jours plus tard, la discussion ne peut pas se faire », indique-t-il.

Selon Fabrice Audet, le fait que les étudiants regardent la vidéo plus tard dans la semaine ne lui pose aucun problème. Selon lui, les cours comodaux le poussent à toujours rester captivant pour les étudiants afin de s’assurer que toute la matière soit bien transmise. « Si l’étudiant écoute l’enregistrement du cours un dimanche après-midi, c’est encore pire, parce que s’il trouve ça redondant, il va avoir envie d’avancer [la vidéo] », explique-t-il.

Ce n’est pas pour autant que Frédéric Audet donne un cours devant une classe vide. Dans son cours MNG-1000, 100 étudiants suivent le cours en classe, alors que 148 élèves sont   inscrits pour suivre le cours à distance.

Un lot de défis

Pour la sociologue spécialisée dans les questions culturelles, et professeure, Pascale Bédard, commencer à enseigner en comodal comporte de nombreuses manipulations de son plan de cours. « Il faut dire que je ne suis pas une geek », dit-elle avec le sourire. « Je suis une jeune prof, mais je suis un peu dinosaure dans mon style d’enseignement. » Par exemple, la professeure doit utiliser des Power Point plutôt que le tableau en classe. Elle ne peut plus décider à quelle date elle donne ses examens, elle a dû enlever le travail en équipe de ses séances de cours et ne peut plus donner de documents imprimés aux étudiants par manque d’équité pour les étudiants qui sont à distance. « Ce sont des petits aménagements comme ça », indique la professeure de carrière. « Ce n’est pas tragique, on s’entend, mais pour un prof comme moi qui a toujours été habitué à être la seule personne à prendre des décisions dans ma salle de classe, ça a demandé quand même une certaine adaptation. »

Ronan Goualc’h, lui, vient de commencer sa carrière dans l’enseignement. Le tout premier cours qu’il donne, il a appris à le donner en comodal. Par contre, ce n’est pas pour autant qu’il est insensible aux défis auxquels il doit faire face dans sa classe. « Ça apporte des questionnements d’avoir une partie de la classe qui suit le cours, mais avec laquelle tu ne peux pas avoir de contact visuel », explique-t-il. « Je n’ai pas de hochement de tête. Les personnes derrière leur écran, je n’ai aucune idée s’ils comprennent ce que je suis en train de dire, s’ils sont en train de se faire un café, ou en train d’écouter une série. »

Si la Faculté des sciences de l’administration offre ce type de cours dans différents programmes depuis de nombreuses années, le Département de sociologie est encore au balbutiement des cours comodaux. Pascale Bédard se penche sur la question et tente d’amasser des données pour mieux déterminer les nouveaux enjeux qu’engendre ce type d’enseignement. Selon elle, il ne faut pas oublier que les universités sont en concurrence les unes par rapport aux autres et elles sont donc poussées par une conjoncture à toujours offrir plus d’innovations qui font en sorte qu’un étudiant va s’inscrire à une université plutôt qu’à une autre. Si l’enseignement comodal permet une plus grande démocratisation de l’étude supérieure, il faut quand même se poser des questions sur son efficacité et ses objectifs.