Alors  que le plein emploi perdure, la pénurie de main-d’œuvre est devenue, à Québec, parmi les plus critiques de la province. Dans le monde de la restauration, l’embauche demeure difficile, principalement pour le personnel de cuisine. L’heure étant à la recherche de solutions pour préserver une stabilité, le restaurant Mikes de L’Ancienne-Lorette fait le pari de se tourner vers le recrutement d’employés à l’international.

Comme le taux de chômage dans la région de Québec a récemment atteint des seuils historiques avec un 2,3%, les entreprises doivent constamment chercher des solutions originales pour embaucher du personnel afin d’assurer la pérennité de leurs activités et ainsi éviter le sort qui a été réservé à plusieurs restaurateurs ; celui de mettre la clé sous la porte de façon définitive.

Comme plusieurs de ses concurrents, le restaurant de la chaîne canadienne a connu quelques difficultés d’embauche au cours des derniers mois. Richard Myrand, le propriétaire qui a ouvert son deuxième restaurant à Québec il y a à peine deux ans, explique qu’il manque effectivement d’employés pour soutenir les activités de la cuisine, lui qui désire allonger ses heures d’ouverture en soirée.

Les deux restaurants Mikes de Richard Myrand comptent 40 employés de cuisine, sur 125 employés au total. (Crédit photo : Émilie Pelletier)

Toutefois, ce ne serait pas possible, en raison d’une pénurie non pas «en termes de quantité d’employés, mais plutôt en qualité», tel que le soutient M. Myrand. Bien qu’il n’ait jamais eu à fermer boutique en raison de problématiques liées à la main-d’œuvre, il a tout de même dû restreindre, depuis un an, l’opération de son commerce d’une heure chaque soir faute de gens intéressés aux tâches de fermeture.

«C’est l’absence de fiabilité du personnel que l’on retrouve actuellement sur le marché qui nous amène à nous tourner vers l’extérieur [du pays]. On peine à trouver des gens qui respectent les horaires flexibles et qui fournissent un travail adéquat», précise-t-il.

Aux grands maux les grands remèdes

C’est seulement après avoir tenté d’offrir des avantages concurrentiels à ses employés pour les inciter à demeurer à l’emploi chez lui que le propriétaire de la succursale située en bordure de l’autoroute Duplessis a pris la décision d’entamer des démarches auprès de Dotemtex International, une firme spécialisée en immigration.

«On offre déjà à nos quelque 40 cuisiniers des salaires qui sont supérieurs de ce qui se donne en moyenne dans la restauration, on leur fournit gratuitement des repas et des uniformes», rapporte fièrement M. Myrand, qui travaille présentement sur une assurance collective destinée à tous ses employés qui comptent au moins une année de service. «C’est tout ce qu’il nous manque pour être pleinement concurrentiel avec les gros de la restauration.» Les pourboires perçus par le biais des commandes à emporter sont également partagés entre les employés de la cuisine.

Richard Myrand souhaite que les cinq travailleurs étrangers qu’il emploiera obtiendront des permis de travail renouvelables d’au moins 2 ans, sur un maximum octroyé de 3 ans. (Crédit photo : Émilie Pelletier)

Or, pour le propriétaire qui brasse des affaires depuis 29 ans dans le domaine de la restauration, ces avantages ne lui permettent pas toujours de retenir sa main-d’œuvre, devenue un frein à la croissance de son entreprise. «Même si on s’autosuffit pour l’instant, on ne peut pas penser à de l’expansion, parce qu’on manque de personnel pour la relève», déplore celui qui a récemment dû refuser une opportunité d’affaires.

Il espère accueillir, à l’issue de ses démarches d’ici l’été 2020, cinq travailleurs en provenance de la Tunisie et du Maroc, soit trois pour son restaurant de L’Ancienne-Lorette et deux pour celui qui a pignon sur rue à Charlesbourg. Ces derniers, pour être éligibles à des permis de travail temporaires, possèdent un minimum de trois ans d’expérience en restauration ou encore une année de métier combinée à un diplôme décerné par une école de restauration certifiée.

«Le Québec est une belle terre d’accueil pour ces gens qui vont améliorer leur qualité de vie» – Richard Myrand

Dominic Tremblay, gérant du Mikes de L’Ancienne-Lorette appartenant à M. Myrand explique ainsi dans la vidéo qui suit que les employés potentiels disposent aujourd’hui d’un grand pouvoir de magasinage de l’emploi, au désarroi des employeurs, forcés de se démarquer dans une industrie compétitive. L’arrivée des travailleurs étrangers permettra donc, selon lui, à remédier à un problème de recrutement qui freine le restaurant dans ses activités.

Un investissement qui rapporte gros

Avec des démarches qui s’échelonnent sur plusieurs semaines, Richard Myrand reconnaît que le processus est de longue haleine. Il demeure convaincu que ses nouveaux travailleurs étrangers temporaires contribueront à assurer la pérennité de ses opérations. Pour ce faire, il estime qu’il lui en coûtera plus ou moins 7000$ par travailleur pour la durée du permis de travail déterminée et qu’il devra s’assurer de la bonne intégration des nouveaux arrivants en sol québécois, notamment en les aidant à se loger et en leur fournissant de bonnes conditions de travail.

Cependant, à long terme, l’entrepreneur projette que les économies de temps et d’argent entraînés par ces travailleurs «100% dédiés au travail» surpasseront grandement les coûts engendrés pour les faire venir. «On va voir comment ça fonctionne et si le rendement est adéquat et que ça va comme on veut, on va ouvrir la machine. On n’est vraiment pas fermés à en accueillir davantage», envisage-t-il.

Vers une diminution de la pénurie de main-d’oeuvre?

À l’Association Restauration Québec (ARQ) qui représente 5600 membres, Martin Vézina soutient qu’il faut changer le paradigme en immigration. Alors qu’une aide financière auprès du gouvernement du Québec a été mise en place depuis environ un mois pour aider à couvrir une portion des coûts pour les entreprises qui ont recours à des firmes de consultations privées, M. Vézina affirme que ces frais demeurent «énormes». L’ARQ a donc instauré un partenariat avec une firme afin d’offrir des tarifs préférentiels à ses membres.

«On est dans une situation de pénurie de main-d’œuvre et la cause est assez simple, c’est qu’il y a un déclin démographique au niveau des jeunes travailleurs qui étaient notre bassin principal de recrutement, illustre M. Vézina. L’immigration est l’une des solutions qu’il faut utiliser pour atténuer les effets de la pénurie de main-d’œuvre.»

La décision finale de la durée du permis de travail revient à l’agent des services frontaliers qui examinent les dossiers des travailleurs étrangers temporaires. (Crédit photo : Courtoisie)

Chez Dotemtex International, Mélanie Sirois ajoute que le gouvernement du Québec a également reconnu la pénurie de main-d’œuvre nationale en ce qui concerne les cuisiniers, de sorte que les restaurateurs de la Capitale-Nationale bénéficient désormais d’un traitement simplifié. De fait, le gouvernement approuve automatiquement le permis de travail demandé pour un cuisinier. «L’entrepreneur en restauration n’a pas besoin de justifier des semaines d’affichage auprès du gouvernement, contrairement à d’autres domaines de spécialisation», précise Mme Sirois. Or, cette liste de corps de métiers à privilégier exclut toujours les postes de plongeurs et d’aides-cuisiniers, dont l’ARQ estime que 10 000 seront à pourvoir en 2035.

«L’une des solutions que l’on propose c’est de s’inspirer de ce qui se fait en agriculture, où il y a des programmes beaucoup plus souples avec des délais d’acceptation plus rapides et un fardeau moins élevé sur l’entrepreneur. Les métiers peu qualifiés devraient eux aussi être reconnus», défend l’Association Restauration Québec. Rappelons que la décision finale de l’octroi du permis de travail et de ses composantes, dont la durée, est déterminée au point d’entrée par l’agent à l’aéroport qui revoit l’ensemble du dossier du travailleur étranger temporaire.