Il y a trente ans survenait au Québec le premier meurtre de masse visant spécifiquement les femmes. Selon certains, cette tragédie a été un électrochoc pour la société québécoise. Mais une longue route reste à parcourir pour contrer la violence faite aux femmes.
Le 6 décembre 1989, un homme est entré dans une classe de génie mécanique de l’École Polytechnique de Montréal. Muni d’une arme semi-automatique, il a séparé les hommes et les femmes et, après avoir fait sortir les premiers, a ouvert le feu. Dans les couloirs, il a fait plusieurs autres victimes avant de se suicider. Au total, quatorze jeunes femmes ont été tuées et quatorze autres personnes ont été blessées. Sur le corps du tueur, on a retrouvé une liste de personnalités féminines à abattre.
Professeure à l’Université Laval et spécialiste des théories féministes du droit, Louise Langevin se souvient parfaitement de cette journée. Elle explique que la population a longuement hésité avant de reconnaître le caractère sexiste de l’attentat, préférant l’attribuer à la folie du tueur. Mais pour elle, il n’y a pas de doute, il s’agit bien d’un crime contre les femmes dans l’espace public.
Selon Madame Langevin, le drame a provoqué une prise de conscience de la violence envers les femmes, autant dans les sphères privées que publiques. En 1991, Statistique Canada produisit les premières études sur la violence faite aux femmes. Mieux documenté, le phénomène fût étudié et l’on commença à chercher des solutions. Grâce à ces progrès, il y a maintenant des interventions dans le domaine privé et public, ainsi que des formations dans les milieux de travail et les universités pour contrer la violence faite aux femmes.
Pourtant, trente ans plus tard, le système judiciaire ne répond toujours pas à la réalité de la violence faite aux femmes. Pour la professeure, le mouvement #MeToo est la preuve que les victimes n’ont pas confiance dans le système actuel. Selon elle, malgré une meilleure formation des policiers et des autres intervenants, les agressions sexuelles restent le domaine où les autorités portent le moins d’accusations et où le taux de condamnation est le plus bas.
Face à ce constat, le gouvernement du Québec a formé en 2019 un groupe de travail pour rendre le système judiciaire et extrajudiciaire mieux adapté au traitement des plaintes d’agressions sexuelles et de violence conjugale. Créé en 1973 pour conseiller le gouvernement, le Conseil du statut de la femme du Québec (CSF) participe au groupe de travail et s’est vu confier le mandat de recenser les moyens les plus appropriés et de documenter les meilleures pratiques ayant trait au soutien aux victimes de violence conjugale et d’agressions sexuelles.
Elizabeth Perreault, responsable aux affaires publiques et relations médias du CSF, souligne aussi la création en novembre 2017, d’un comité d’examen des décès liés à la violence conjugale. Formé à la demande du Bureau du coroner, il est chargé d’identifié les facteurs de risque et de protection, de dégager des tendances et de formuler des recommandations pour prévenir les homicides et les tentatives de meurtre qui surviennent dans un contexte de violence conjugale.
Selon le ministère de la sécurité publique, 19 406 infractions contre la personne ont été commises dans un contexte conjugal en 2015. Les femmes représentaient 78% des victimes, mais la proportion était encore plus élevée pour certains types d’infractions.
Selon la Fédération des femmes du Québec, lorsque des femmes sont tuées par leurs conjoints utilisant une arme, celle-ci est une arme d’épaule dans 72% des cas.
Un contrôle des armes loin d’être parfait
Étudiante à Polytechnique au moment de la tragédie, Heidi Rathjen est maintenant porte-parole et organisatrice principale de PolySeSouvient, un mouvement constitué d’étudiants, de survivants et des familles des victimes du 6 décembre 1989, voué au contrôle des armes à feu. Pour elle, le chemin parcouru a été constitué de victoires et d’échecs.
La fin du registre canadien, créé en 1995 et aboli en 2012, fût un dur coup pour le contrôle des armes à feu. Mme Rathjen souligne pourtant qu’au Québec, l’enregistrement des armes est appuyé par une forte majorité de la population et l’ensemble des partis politique, ce qui devrait garantir la survie du Service d’immatriculation des armes à feu (SIAF) créé en 2018. En novembre 2019, la Cour suprême du Canada a annoncé en qu’elle refusait d’entendre l’appel des opposants au registre. Ceux-ci voulaient faire invalider la Loi sur l’immatriculation des armes à feu, prétextant que le gouvernement québécois tentait de s’immiscer dans le droit criminel, qui est de compétence fédérale.
Mme Rathjen explique que depuis le drame, il y a eu des améliorations au niveau du contrôle des armes à feu: meilleur dépistage des candidats désirant se procurer un permis, besoin de renouveller celui-ci au 5 ans, augmentation de l’âge légal à 18 ans et obligation de suivre un cours.
Elle déplore pourtant une baisse de la rigueur dans l’application du contrôle des armes à feu ainsi que le grand nombre de failles dans les règlements. Les policiers ne vérifient plus les permis en l’absence de plainte, il y a peu de suivi et il est facile de mentir sur les formulaires. Et encore aujourd’hui, l’arme utilisée à Polytechnique peut être achetée légalement.
Un monument pour ne pas oublier
Au début du mois de novembre, l’arrondissement Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce a annoncé qu’un nouveau panneau commémoratif sera bientôt installé à la place du 6-Décembre-1989 pour reconnaître le caractère antiféministe de la tragédie. Il portera l’inscription : « Ce parc a été nommé en mémoire des 14 femmes assassinées lors de l’attentat antiféministe survenu à l’École Polytechnique le 6 décembre 1989. Il veut rappeler les valeurs fondamentales de respect et condamner toutes les formes de violence à l’encontre des femmes. ».