Trois ans après la tragédie de Lac-Mégantic, le dialogue s’est assaini entre les acteurs politiques et ceux de l’industrie du rail. Les municipalités affirment désormais être plus aux faits de ce qui circule sur leur territoire. Elles estiment également que leurs services d’urgence sont mieux outillés pour faire face à de telles situations. C’est aussi ce qu’affiche la Ville de Québec face aux multiples hypothèses d’abriter une forme ou une autre de centre de transit de produits pétroliers.

Simon Bolduc, chef des équipes spécialisées en matières dangereuses du Service de la protection contre l’incendie de la Ville de Québec (SPCI), souligne l’apport significatif de l’ordre préventif no. 32, en vigueur depuis novembre 2013. Ce dernier oblige les compagnies ferroviaires à informer les municipalités des marchandises qui circulent sur leur territoire. Les municipalités doivent simplement en faire la demande auprès des entreprises exploitantes de chemins de fer.

M. Bolduc explique la manière dont le CN lui fait parvenir ces informations:

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Ces informations sont cruciales pour le SPCI, selon M. Bolduc, car elles permettent aux pompiers de prévoir les plans d’intervention en conséquence et de s’assurer d’avoir l’équipement nécessaire, notamment les vêtements de protection appropriés.

À la suite des événements de Lac-Mégantic, M. Bolduc souligne également la mise sur pied de l’application pour téléphone mobile Ask Rail. Développée par l’industrie ferroviaire nord-américaine, elle outille davantage les services de lutte contre les incendies, estime le pompier.

Le chef d’équipe témoigne des différents outils qui sont désormais disponibles pour faciliter les interventions de son équipe et fait également état de la façon dont ses hommes s’entraînent en fonction des risques que peut présenter le transport ferroviaire de matières dangereuses pour la population. M. Bolduc souligne  aussi la contribution significative de CANUTEC, le Centre canadien d’urgence transport. 

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Contexte plus épineux à Lévis

M. Bolduc souligne que la Ville de Québec, contrairement à sa voisine d’en face, voit moins de matières dangereuses passer sur son territoire parce qu’elle constitue «une destination finale ou un point de départ des marchandises».

Sa voisine d’en face serait ainsi exposée à des risques plus importants de déraillement puisqu’elle constitue une plaque tournante majeure en ce qui a trait au transport ferroviaire dans la région. «Ils [Lévis] sont l’autoroute entre le Québec et les Maritimes», lance M. Bolduc.

La raffinerie Jean-Gauvin à Saint-Romuald, détenue par Énergie Valéro, est en partie responsable de la circulation de matières dangereuses dans la région lévisienne. Le cas échéant, des produits pétroliers.

Bien que la raffinerie ne reçoive pas de pétrole brut par voie ferroviaire (le pétrole brut dont la raffinerie a besoin est acheminé par bateau à son terminal maritime), le pétrole, une fois raffiné, est expédié par voie ferroviaire par le biais du chemin fer du CN, souligne Martin Lévesque, conseiller aux affaires publiques et gouvernementales chez Énergie Valéro.

Le transport ferroviaire est beaucoup plus important dans la région lévisienne.
Le transport ferroviaire est beaucoup plus important dans la région lévisienne. En rouge, les lignes de chemins de fer du CN. Crédit: CN et Olivier Clavet/L’Exemplaire.

Le pétrole a la cote

Le Bureau de la Sécurité des Transports du Canada a noté une «hausse exponentielle du transport de pétrole brut par chemin de fer» au pays depuis 2009

En 2009, 500 wagons-citernes sillonnaient les voies ferrées du Canada tandis que 186 000 en faisaient autant en 2014. En 2015, toutefois, ce nombre était en baisse à 157 000 wagons.

Le transport de produits pétroliers par voie ferroviaire pourrait cependant continuer de s’accroître dans la région et pourrait même s’amener dans la capitale, notamment en raison des divers projets à l’étude dans ce domaine. Le pipeline Énergie Est en est un majeur, mais le projet d’agrandissement du Port de Québec pourrait également constituer un facteur de taille.

L’administration portuaire entend, d’ici 2020, prolonger sa ligne de quai et aménager un arrière-quai de 17,5 hectares avec son projet Beauport 2020. Toutefois, la nature des matières que verront transiger ces nouvelles installations portuaires n’est pas encore connue, souligne Yoss Leclerc, vice-président et chef des opérations du port.

Des craintes avaient déjà été formulées quant à la possibilité que cet agrandissement ne serve qu’à écouler le pétrole de l’ouest du pays en raison de l’installation éventuelle d’un duc-d’albe, une structure dédiée au vrac liquide implantée directement dans l’eau et permettant de charger des navires sans avoir à recourir à un quai.

Cette structure vise d’abord et avant tout à accueillir des pétroliers, ce qui laisserait croire que le Port de la ville entend oeuvrer davantage dans ce secteur. Cela induirait un accroissement significatif du nombre de wagons-citernes transportant du pétrole brut qui traverseraient les arrondissements de Ste-Foy-Sillery-Cap-Rouge, Vanier et Limoilou pour se rendre jusqu’aux nouvelles installations du port.

Le tracel du CN traverse enjambe le quartier de Cap-Rouge. Crédit photo: Olivier Clavet/L'Exemplaire.
Le tracel du CN enjambe le quartier du vieux Cap-Rouge. Crédit photo: Olivier Clavet/L’Exemplaire.

Le Port n’a pas instauré de nouvelles mesures de sécurité à proprement parler depuis la tragédie ferroviaire de Lac-Mégantic. M. Leclerc soutient tout de même que ses plans d’intervention en situation d’urgence demeurent des «documents vivants».

«Ce n’est pas un document qu’on fait une fois tous les dix ans et qu’on met dans un placard», lance M. Leclerc.

Quant au principal produit dangereux qui transige actuellement par les installations du port et qui est ensuite acheminé par train vers l’est, le jet fuel, de l’essence pour avion, les quantités reçues sont relativement stables, et ce, année après année, estime le vice-président.

Dialogue inégal?

Bien que la plupart des acteurs de l’industrie ferroviaire font preuve de plus grande transparence depuis la tragédie en Estrie, tous n’en font pas autant.

Sylvie Pigeon, conseillère aux politiques à l’Union des municipalités du Québec (UMQ), pointe notamment du doigt les compagnies ferroviaires à intérêts locaux (CFIL) et stipule que ces dernières ont été beaucoup moins pro-actives que les grandes compagnies ferroviaires nationales telles que le Canadien National (CN).

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À rappeler toutefois que les installations du Canadien Pacifique dans la province sont désormais détenues par le chemin de fer Québec-Gatineau. Or, l’ordre préventif no. 32 s’applique exclusivement aux compagnies ferroviaires de classe 1, comme le CN. Les chemins de fer tels que le Québec-Gatineau, appartenant à la classe des CFIL, n’y sont donc pas assujettis.

Deux chemins de fer ceinturent la ville de Québec, soit le chemin de fer du CN et le Québec-Gatineau.
Les deux chemins de fer qui parcourent la ville de Québec, soit le CN et le Québec-Gatineau. Crédit: CN et Olivier Clavet/L’Exemplaire.

Planification des itinéraires

Mme Pigeon rappelle que les compagnies ferroviaires doivent dorénavant «planifier leurs itinéraires en fonction des risques présents sur le trajet d’un convoi».

Cette nouvelle réglementation fédérale sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire, en vigueur depuis peu, oblige désormais ces entreprises à faire un examen complet des risques potentiels sur le trajet d’un train de marchandises selon les territoires qu’il parcourt.

À ce sujet, l’UMQ aimerait que les compagnies exploitantes de chemin de fer transmettent ces analyses aux municipalités une fois terminées. «On attend toujours des réponses de la part des compagnies ferroviaires là-dessus», précise Mme Pigeon.

Selon elle, les municipalités ont le droit de connaître les secteurs pouvant potentiellement causer un déraillement de train sur leur territoire. «Cela permettrait à leur service d’urgence de mieux planifier leur plan d’intervention», souligne-t-elle.

C-52: loi sur la sécurité et l’imputabilité en matière ferroviaire 

Michelle Morin-Doyle, conseillère municipale du district électoral de Louis-XIV et représentante de la Ville de Québec auprès de la Fédération canadienne des municipalités, se dit heureuse du travail accompli depuis 3 ans. En plus des nouvelles réglementations en vigueur, le projet de loi C-52 en est maintenant aux sanctions royales, soutient-elle.

Mme Morin-Doyle raconte que la nouvelle loi vise essentiellement trois objectifs: obliger les transporteurs à partager leurs informations avec les municipalités, réformer les régimes d’assurances de responsabilité civile et accorder davantage de pouvoirs aux inspecteurs de Transports Canada.

Au chapitre des assurances, la conseillère municipale précise que certaines compagnies ferroviaires, notamment celles transportant des matières dangereuses, devront être assurées pour un montant avoisinant le milliard de dollars.

Mme Pigeon, quant à elle, estime toutefois que certaines de ces nouvelles réglementations auraient pu aller plus loin. Elle fait notamment allusion aux limites de vitesse que les trains doivent dorénavant respecter lorsqu’ils traversent des régions urbaines densément peuplées. Cette réglementation ne s’applique toutefois que pour les grands centres urbains. 

«Nous, on aurait aimé que ces réductions de vitesse s’appliquent aussi aux trains qui traversent les périmètres urbains des plus petites municipalités», explique la conseillère aux politiques.

Un wagon du CN à la gare de triage de Limoilou. Crédit photo: Olivier Clavet/L'Exemplaire.
Un wagon du CN à la gare de triage de Limoilou. Crédit photo: Olivier Clavet/L’Exemplaire.

Elle ajoute que les DOT-111, les wagons impliqués dans la tragédie ferroviaire de Lac-Mégantic, sont toujours en service, et ce, trois ans après les faits. «Ça va prendre de trois à dix ans avant que la flotte des DOT-111 soit complètement remplacée; c’est trop long!» s’indigne-t-elle.

En attendant qu’ils soient remplacés ou remis à neuf, Mme Pigeon propose d’imposer des limites de vitesse plus strictes pour les convois qui les emploient. Des inspections plus fréquentes de ce type de wagon seraient également souhaitées, selon Mme Pigeon.

Les citoyens se mobilisent

Il n’y a pas que les acteurs politiques qui se sont fait entendre depuis la tragédie de Lac-Mégantic. À Limoilou, des citoyens ont formé le Comité de Vigilance Ferroviaire de Limoilou (CVFL). L’initiateur du comité, Xavier Robidas, raconte qu’il avait été profondément secoué par la catastrophe ferroviaire et qu’il était devenu de plus en plus «inconfortable» à la vue des wagons-citernes qui sillonnent son quartier.

Il témoigne de la manière dont est né le CVFL.

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Son malaise est d’autant plus fondé étant donné que le chemin de fer du CN ceinture le quartier Limoilou et longe plusieurs écoles, notamment l’école primaire Saint-Paul-Apôtre, le Cégep Limoilou ainsi que le Centre de formation professionnelle de Limoilou. Or, cette ligne ferroviaire sert, entre autres, à l’acheminement de jet fuel à destination des aéroports de Montréal et de Toronto.

Limoilou
Le chemin de fer du CN ceinture le quartier Limoilou. Crédit: CN et Olivier Clavet/L’Exemplaire.

Bien qu’il soit inquiet du transport de telles marchandises, M. Robidas rappelle qu’il n’est pas contre le transport de matières dangereuses par voie ferroviaire. «On est contre l’incompétence», rétorque-t-il. Tout ce qu’il souhaite, c’est que les principaux acteurs concernés par la sécurité du transport ferroviaire «se parlent». Son comité veut ainsi «agir à titre de partenaire», affirme-t-il.

L’instigateur du CVFL souligne l’écoute de la Ville de Québec et sa promptitude à intervenir dans le dossier. Il explique par ailleurs que la Ville a depuis révisé tous ses plans d’urgence de sorte que ce soit le SPCI qui prenne le contrôle des opérations dans le cas d’un déraillement de train sur le territoire de la ville.

Il n’y a pas que les plans d’urgence de la ville qui ont été revus. Depuis, les plans d’urgence des édifices d’enseignement de la Commission scolaire de la capitale situés aux abords de la ligne de chemin de fer ont tous été modifiés en tenant compte des dangers que pose le transport ferroviaire. 

«Avant, le plan d’urgence se limitait au feu et on sortait. C’était tout», raconte M. Robidas, «maintenant, il y a un plan directeur qui sera adapté en fonction de la nature du danger qui se présente».

Selon le père de famille, les actions du CVFL ont véritablement fait une différence, car elles auraient permis la mise sur pied d’un comité de coordination pour la région de Québec où les différents acteurs assurant la sécurité des citoyens en matière de transport ferroviaire siègent. «Ils se rencontrent dorénavant plusieurs fois par année», souligne M. Robidas. «C’est ce que nos actions ont permis de réaliser», ajoute-t-il fièrement.

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