Depuis que des villes comme San Francisco et Seattle ont haussé le salaire minimum à 15$ de l’heure, de plus en plus de mouvements citoyens font pression pour qu’une telle hausse soit appliquée au Québec. Pourtant, plusieurs entrepreneurs expriment des inquiétudes. C’est particulièrement le cas dans la restauration, une industrie très présente dans la Ville de Québec.
Des acteurs de l’industrie de la restauration dans la ville de Québec sont inquiets d’une hausse rapide du salaire minimum à 15$ de l’heure. Dans une économie québécoise où il y avait 235 075 petites entreprises en date de décembre 2015 selon les données du Ministère fédéral de l’innovation des sciences et du développement économique et dans un secteur où la concurrence est forte, des restaurateurs ne craignent de devoir faire des sacrifices en cas d’une hausse rapide du salaire minimum.
Directeur général au Bureau de poste situé sur la rue Saint-Joseph dans la Basse-Ville de Québec et qui offre des menus abordables à 5$ plus taxe, Jason Jodoin est de ceux qui sont sceptiques par rapport à une telle hausse : « Si il y a une augmentation du salaire minimum à 15$ de l’heure ça se pourrait que je doive faire certains sacrifices. Nos prix sont déjà très bas et on paye bien nos employés, mais à 15$ de l’heure, il va peut-être falloir recalculer nos prix et nos finances. ». Il n’est pas le seul puisque des employés et des gérants d’établissements de restauration rencontrés dans le secteur du Nouvo St-Roch ont eu des propos similaires.
D’ailleurs, l’Association des restaurateurs du Québec (ARQ) a effectué un sondage auprès de 272 propriétaires de restaurants. Celui-ci demandait aux répondants « Quelles mesures devriez-vous prendre pour compenser la hausse des coûts de main-d’œuvre causée par un minimum fixé à 15$ de l’heure ». Ceux-ci ont répondu en grande majorité qu’ils devraient augmenter le prix du menu et diminuer les heures des employés.
François Meunier, vice-président aux affaires publiques et gouvernementales de l’ARQ, présente des craintes similaires à celles des propriétaires interrogés par son association.
« Présentement la marge bénéficiaire, le profit qu’il reste pour un restaurant avec service au Québec c’est de 2,7 %. Quand vous avez un million en chiffre d’affaire, il vous reste 27 000 dollars à la fin », a-t-il ajouté.
Le Conseil du patronat du Québec a émis récemment un « Avis sur l’impact de l’augmentation accélérée du salaire minimum ». L’organisation s’est penchée sur l’impact d’une telle hausse dans les secteurs du commerce au détail et de la restauration. Il affirme qu’elle aura un impact sur le produit intérieur brut de la restauration que sera réduit de manière rapide. Selon le document basé sur les recherches de la firme d’analyse économique Daméco, l’augmentation de la masse salariale aurait pour effet d’augmenter de 2 % la masse salariale de l’industrie. Se référant aussi aux travaux de l’économiste Pierre Fortin sur le sujet, le Conseil du patronat croit que cette masse salariale pourrait orchestrer de nombreuses mises à pied. Des données de Statistiques Canada ont d’ailleurs montré la fragilité de cette industrie en se basant sur la variation de l’emploi.
Une question polarisante
Les organisations impliquées dans la Campagne 5-10-15 militent pour un salaire minimum à 15$ de l’heure. Ils sont loin de partager ces avis. Soutien de cette campagne, le Collectif pour un Québec sans pauvreté a mené des recherches concernant le niveau d’emploi qu’engendrerait un salaire minimum à 15$ de l’heure. Se basant sur les conclusions de l’institut de la statistique du Québec qui a analysé le niveau d’emploi durant les années 2000, le Collectif sans pauvreté conclut qu’une augmentation significative du salaire minimum n’orchestrerait pas de baisse significative de l’emploi. Le Collectif pour un Québec sans pauvreté s’est aussi basée sur une étude du Centre Canadien sur les politiques alternatives (CCPA). Celui-ci a analysé les bénéfices potentiels d’un salaire minimum à 15$ de l’heure en Colombie Britannique. Bien que l’étude ne néglige pas qu’une augmentation du salaire minimum engendrerait des pertes d’emplois, le résultat des recherches du CCPA se veulent pourtant peu alarmistes puisque le taux d’emploi ne diminuerait que de 1%.
François Meunier de l’ARQ a affirmé que ces données étaient trop généralisées pour tracer un portrait précis des conséquences d’une hausse rapide du salaire minimum dans les petites entreprises œuvrant en restauration et que les habitudes de consommation dans l’ouest du Canada ne sont pas les mêmes qu’ici : « Le Québec, surtout la ville de Québec, est un marché distinct du reste du Canada. On retrouve beaucoup plus de restaurants à service ici qu’ailleurs », a-t-il indiqué.
Groupe d’éducation populaire engagé dans la lutte pour une meilleure justice sociale, le Carrefour d’animation et de participation à un monde ouvert est largement impliquée dans la campagne. Son coordonnateur, Yves Carrier, pense que la hausse du salaire minimum serait bénéfique pour l’entrepreneur qui agrandira son marché.
François Meunier présente des divergences avec ces affirmations. Selon lui, les habitudes de consommation n’augmenteront pas nécessairement vu que la restauration n’est pas un service essentiel même s’il reconnait que les gens iront moins au restaurant s’ils ont moins d’argent dans les poches. Le marché de la restauration à Québec a cependant certaines particularités en tant que ville où les restaurants à service sont particulièrement présents.
Des craintes trop chiffrées et alarmistes?
Sylvie Morel est économiste et professeure au Département des relations industrielles de l’Université Laval. La professeure estime que plusieurs études se sont trop concentrées sur l’aspect quantitatif des conséquences possibles d’un salaire minimum à 15$ de l’heure.
« On ne prend pas assez en compte les éléments qualitatifs. Le salaire est un indicatif très important de la qualité de l’emploi. Un entrepreneur qui regarde ses coûts c’est normal, il est orientée vers ses propres affaires à lui à l’intérieur de son entreprise, mais il y a plus que ça. ». Selon Sylvie Morel, il faut regarder un ensemble de facteurs concernant la hausse des salaires qui dépassent une simple question de chiffre :« Il faut aller au-delà d’une vision de l’entreprise immédiate, quand on examine la détermination de l’emploi, la personne qui est à la fois un salarié, un client et un payeur de taxes, il faut une vision qui permet de comprendre l’ensemble de ces choses. Tout ça, c’est pas mal plus compliqué que de calculer des chiffres liés aux coûts et bénéfices potentiels d’une entreprises par rapport à une hausse des salaires. »
La question de la hausse du salaire minimum a souvent été débattue à travers l’histoire rappelle l’économiste. « Plusieurs débats ont eu lieu sur cette question. Ça été une mesure souvent envisagé pour contrer la pauvreté. On l’oublie souvent aussi, mais historiquement, les employeurs ont débattu du salaire minimum pour réguler la concurrence. ». Les législations sur le salaire minimum auraient aussi permis de rationnaliser les conditions de travail. « Il y avait des employeurs qui allaient au-delà des analyses quantitatives liées aux coûts et bénéfices de leur entreprise et pensaient davantage de manière globale », raconte-t-elle. Il faut que les entrepreneurs évitent d’être trop pessimistes et d’aller aux scénarios les plus dommageable selon leur point vue, explique Sylvie Morel.
Pour l’instant, les restaurateurs rencontrés tentent de faire avec la situation actuelle de l’économie puisque malgré une mobilisation, le gouvernement n’a pas annoncé une hausse rapide à court terme du salaire minimum à 15$ de l’heure.
« L’augmentation de salaire, c’est comme l’augmentation du taux de l’inflation. On fait avec. Personnellement, j’offre une augmentation de salaire à mes employés qui le méritent », affirme Jason Jodoin, directeur général du Bureau de poste.