Les animateurs des radios parlées de la région de Québec ont été la cible de plusieurs critiques provenant d’acteurs publics ou non à la suite des attentats au Centre Culturel Islamique de Québec. On leur reproche les propos qualifiés de racistes, d’homophobes ou de misogynes tenus sur les ondes. Pour Étienne Lanthier (nom fictif), porte-parole de la Coalition Sortons les radio-poubelles, ce phénomène est bien réel. Il soutient que le cheval de bataille pour les gens ciblés par ces propos diffamatoires diffusés à la radio demeure de les faire cesser parce que les recours sont complexes et ardus.

D’entrée de jeu, mentionnons que M. Lanthier a exigé qu’on préserve son anonymat pour des raisons de sécurité personnelle. Il se remémore les représailles subies par des personnalités publiques qui ont critiqué sévèrement les radios parlées de Québec. Les cas de Pierre Jobin ou de Jean-François Jacob, dont le logement a été vandalisé en 2013, en sont des exemples.

Lanthier affirme que la difficulté repose dans la capacité des plaignants à faire la démonstration du préjudice. Il faut que la personne ou le groupe lésé puisse démontrer au Tribunal qu’un tort a été subi à la suite des propos la ou les concernant.

Il apporte en exemple la cause opposant les chauffeurs de taxi de Montréal à Métromédia. Les chauffeurs de taxi de Montréal demandaient une compensation car ils jugeaient avoir été la cible de propos diffamatoires de la part d’André Arthur, alors employé de Métromédia. Or, la Cour suprême du Canada a rejeté la demande, en soutenant que bien que les propos aient été racistes et empreints de mépris, ils n’étaient pas diffamatoires.

En fait, pour Lanthier, les organismes régulateurs de la radio « n’ont pas de dents » :

De minces recours

Le rapport intitulé « L’information à Québec, un enjeu capital » produit par Dominique Payette, journaliste et professeure à l’Université Laval, insiste aussi sur le manque de recours dont disposent les individus et les groupes qui considèrent que leurs droits sont floués publiquement.

Au Québec, le Conseil de Presse gère les plaintes du public en lien avec le contenu journalistique médiatisé. Il s’agit un tribunal d’honneur qui n’a aucune portée coercitive. Pour madame Payette, le rôle du Conseil de Presse est clair:

« Le Conseil de Presse représente la première instance, le premier organisme susceptible de rendre ces médias imputables de leurs contenus, mis à part les tribunaux ordinaires ».

Le conseil peut reconnaître la légitimité d’une plainte et émettre des blâmes condamnant le média et les animateurs impliqués, sans toutefois imposer de sanctions formelles. Le rapport de madame Payette recommande que les pouvoirs légaux du Conseil de Presse soient revus : « il sera nécessaire d’outiller le Conseil de presse pour que des amendes soient imposées aux contrevenants pour qui l’honneur n’est pas une valeur de base ».  Pour madame Payette, « les seules mesures efficaces jusqu’ici pour empêcher — ou même seulement contenir — les dérapages et les débordements sont les punitions assorties de conséquences financières. »

De son côté, le Conseil canadien des normes de radiotélévision (CCNR) est l’organisme fédéral responsable du contenu de la radiodiffusion privée et de la gestion des plaintes du public. Madame Payette souligne que « la complaisance des décisions rendues par cet organisme d’autorégulation atteint un niveau insoupçonné́. »

Elle cite à titre d’exemples une décision rendue par le CCNR en juin 2015. Le Comité a rejeté une plainte portant sur un segment entier de l’émission Dupont le matin animé par Stephane Dupont et ses collaborateurs. La plainte reprochait des propos jugés sexistes tenus par l’animateur, notamment des phrases comme :

« Quand les filles se sont mis à faire des pipes, y ont pris le contrôle. » – Stéphane Dupont, 16 janvier 2015

La discussion initiée dans l’émission Dupont le matin était alors orientée sur les changements sociaux en lien avec le rôle des sexes dans la société. « Bien que les termes utilisés par les animateurs aient été de mauvais goût, le Comité décideur est d’avis que leurs propos ne constituent pas des commentaires abusifs ou indûment discriminatoires fondés sur le sexe », tranche le rapport décisionnel du CCNR.

À ce sujet, la professeure Payette dénonce «la misogynie évidente du propos lui-même », alors que le CCNR ne rappelle qu’il ne se fait pas «ni un censeur, ni un arbitre du bon goût », mais qu’il est « garant de la liberté d’expression ».

Paroles criminelles

Le meilleur moyen de contrer les propos jugés diffamatoires ou discriminatoires des radios parlées est, selon madame Payette, de poursuivre ces stations de radio devant les tribunaux ordinaires. Lorsqu’il y a des conséquences financières en jeu, « les radios bougent », écrit madame Payette dans son rapport.

Par contre, les poursuites en instance judiciaire « coûtent cher » et « répugnent aussi à un grand nombre de personnes ciblées parce qu’elles prolongent la situation, et donnent encore plus d’impact et de retentissement à ces insultes qu’on souhaiterait faire cesser rapidement et mettre derrière soi. » Selon elle, il faut « beaucoup de courage » et de ressources pour affronter un tel processus qui est souvent hautement médiatisé. Ce qui fut notamment le cas de Sophie Chiasson au tournant des années 2000.

Chiasson c. Fillion

La poursuite de l’animatrice et personnalité publique Sophie Chiasson contre l’animateur radio Jean-François Fillion est l’une des causes les plus médiatisées en lien avec des propos tenus sur les ondes radiophoniques de Québec.

Le traitement de la plainte de madame Chiasson aura duré huit ans. D’autres jugements ont également été rendus contre Jean-François Fillion, Genex Communications et Patrice Demers, totalisant un somme supérieure à 1 million de dollars. Entre autres, une somme de 593 000 $ a dû être versée à L’ADISQ, Solange Drouin, Lyette Bouchard et Jacques K. Primeau par Genex, Patrice Demers et Jean-François Fillion pour propos diffamatoires.

En ce qui à trait à la diffamation, selon le rapport Payette, « tous les recours existent dans ce domaine […] qu’il s’agisse de la diffamation contre une collectivité, ou une personne morale, comme un groupe communautaire ». Ces poursuites « exigent, dans tous les cas, la preuve d’un dommage subi » à un groupe ou à un individu clairement identifiable. Cette preuve est « complexe », selon madame Payette, qui insiste sur la nécessité de mieux soutenir collectivement ces « démarches individuelles ».

La création d’associations de « conseillers juridiques et de représentants locaux sensibles à l’impact sur le climat social de ces agressions verbales répétées » serait, pour elle, un bon moyen de contrer efficacement « les agressions verbales » perpétrées sur les ondes radiophoniques de Québec.