Le discours majoritaire met en garde contre la menace que peut représenter le financement privé dans les universités. Les entreprises donatrices réfléchissent en effet en termes d’investissement et cette privatisation peut causer du tort à la recherche. Seulement majoritairement, l’incursion du privé dans la recherche n’atteint pas l’indépendance de l’établissement, de la recherche ou du corps universitaire.

Une étude de l’Institut Mallet, un groupe qui prône la culture philanthropique, souligne que le discours majoritaire consiste à dire qu’il y a passage de la charité à un certain « philanthrocapitalisme ». Déjà en 2009, l’Actualité expliquait que ces nouveaux philanthropes veulent désormais des résultats.

Pour François Bowen, vice-doyen aux études supérieures et à la recherche de la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, les dons sont intéressés, mais pas orientés. À titre d’exemple, il rappelle qu’en 2002, la chaîne de pharmacies Jean Coutu avait donné 12,5 millions de dollars à la faculté de pharmacie de l’Université de Montréal. En retour, explique François Bowen, le groupe québécois a seulement demandé que le bâtiment porte son nom. « Habituellement, ceux qui font un don à l’Université veulent voir leur nom quelque part. C’est sûr que les entreprises donnent pour avoir de la visibilité, pour leur image de marque », reconnaît le vice-doyen.

De plus, le docteur n’exclut pas le risque de manipulation, mais considère qu’il est minime. Le don de la Banque TD en est selon lui une illustration. Il affirme que le groupe financier n’a fait aucune tentative d’orientation en donnant un million de dollars en 2014 à HEC, à Polytechnique et à l’Université de Montréal.

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Risque de corruption

En mars 2012, l’entreprise Enbridge s’est engagée à verser 2,25 millions sur dix ans au nouveau centre de recherche sur le développement durable de l’école de commerce de l’Université de Calgary en Alberta. Seule contrepartie visible pour l’instant : le fait que ce centre porte le nom du constructeur de pipeline.

Seulement, CBC/Radio-Canada a révélé au début du mois de novembre 2015 que le Centre avait cédé à plusieurs demandes de la firme. « Les courriels témoignent qu’Enbridge voulait contrôler les nominations au conseil d’administration, tout comme l’embauche des employés et l’octroi de prix aux étudiants. L’entreprise souhaitait aussi bénéficier de rencontres privilégiées entre ses cadres, ses clients et le corps professoral de l’École de commerce », dévoile notamment CBC/Radio-Canada.

Lors de la conférence « Sortir de l’extractivisme » organisée par le collectif Osez Douter et le mouvement Élan Global, le docteur en philosophie Alain Deneault a déclaré que « les universités sont trop liées à des lobbies. (…) Les entreprises financement ce qu’elles veulent voir produit ». Selon le chercheur, cette ingérence amène à se questionner sur la présence d’une certaine corruption au sein du milieu universitaire.

Une menace à nuancer

Pour Yves Bourget, le PDG de la Fondation de l’Université Laval, le financement privé n’est pas une menace. Son mandat en dépend même, car 80 % des fonds amassés viennent de corporations. Les philanthropes particuliers contribuent à hauteur de 15 %. Si la Fondation espère inverser cette tendance, afin que les dons proviennent plus de particuliers que d’entreprises, c’est pour « se modéliser plus sur les universités canadiennes-anglaises ou américaines où le sentiment d’appartenance des étudiants se traduit de façon plus systématique vers la philanthropie », précise le PDG. En expliquant le fonctionnement de la fondation, il démontre que l’argent donné n’entache aucunement l’indépendance de l’université et des universitaires.

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En 2012 dans le Devoir, le scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion mettait en garde contre le discours récurrent de la grande place du financement privé et de la mauvaise influence qui en découle pour la recherche. Il rappelle que dans les faits qu’une grande part du financement à la recherche est couverte par le secteur public. L’homme à la tête du Fonds de recherche du Québec a par contre reconnu en septembre 2015 sur La Presse+ que le financement a diminué, qu’il soit public ou privé, quel que soit le domaine scientifique.

De même, pour le vice-doyen de l’Université de Montréal, qui estime que le financement privé ou les fonds philanthropiques n’entravent pas l’indépendance. Il insiste pour différencier les dons et les commandites. Ces dernières peuvent entraîner des « problèmes » selon le vice-doyen. Ainsi, il explique que les fonds privés ou les fonds philanthropiques sont inoffensifs « parce que, le plus souvent, ces donateurs demandent aux universités de gérer ces fonds. Il n’y a pas d’attentes de résultats ».

Les raisons d’un attrait pour le privé

Si la popularité de la philanthropie et du mécénat fait s’accroître une certaine méfiance, la progression du financement privé vient contrebalancer le fait que le montant octroyé par le domaine public stagne depuis quelques années, et ce, malgré l’inflation.

« Le financement public étant ce qu’il est, il y a de moins en moins d’argent disponible dans les budgets pour créer des programmes de bourses ou de financement de recherche. Alors que dans l’entreprise privée, il y a des secteurs où il y a de l’argent », explique François Bowen pour justifier ce qui est vu comme étant une privatisation de la science, notamment sur l’Agence Science-Presse.

À l’origine, les États-Unis

Selon le New York Times, la science devient une entreprise privée. Les laboratoires ferment, notamment dans le secteur de la recherche fondamentale, mais la philanthropie ne cesse de progresser notamment grâce à une poignée de personnes fortunées qui prennent des risques que les gouvernements ne prennent plus.

Une conférence de travail de juin 2015 sur l’impact sociétal des fondations subventionnaires du Canada, qui a eu lieu à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), a mis en lumière le fait que le secteur canadien des fondations est encore relativement petit comparé à celui des États-Unis.
Parmi la quantité innombrable d’exemples de financements privés octroyés à la recherche,  le cofondateur de Microsoft Paul G. Allen a investi 500 millions dans l’Institut des sciences du cerveau.

La Fondation de l'Université Laval a été créée en 1966 et elle peut recevoir de l'argent par tous les donateurs possibles. Elle a pour mission se soutenir financièrement l'UL et gère plus de 700 fonds et chaires. Photo : Marine Caleb / L'EXEMPLAIRE
La Fondation de l’Université Laval a été créée en 1966 et elle peut recevoir de l’argent par tous les donateurs possibles. Elle a pour mission se soutenir financièrement l’UL et gère plus de 700 fonds et chaires. Photo : Marine Caleb / L’EXEMPLAIRE
Au Québec et à l’Université Laval

Au Québec en 2009 selon l’Actualité, le premier donateur était importance est le Mouvement Desjardins avec 80 millions octroyés en dons, commandites et bourses d’études aux Universités québécoises en 2008. Il était suivi par Hydro Québec, avec 25,9 millions donnés chaque année en dons et commandites.

De plus, les fortunes familiales, les entreprises et les fondations sont plus nombreuses que jamais. Au Québec, il y avait 15 986 fondations en 2010. Parmi elle, la Fondation McConnell, qui finance à Montréal l’université anglophone McGill, l’Institut neurologique, l’Hôpital Royal Victoria et l’Hôpital Général de Montréal.

À l’Université Laval, parmi les quelques derniers grands dons en date, celui de 500 000 dollars du Groupe Banque TD pour la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation et pour la Faculté des sciences de l’éducation. Mais aussi celui du même montant promis en novembre 2015, par la Fondation La Capitale groupe financier d’ici 2020. Cela permettra notamment de créer de nouvelles bourses dans les domaines parfois délaissés des lettres et des sciences humaines et sociales. Ce n’est pas la première fois que la Fondation donne à l’Université. Elle a voulu donner aux secteurs des sciences humaines et sociales, car il y un grand nombre d’étudiants.