Bien que les femmes représentent aujourd’hui plus de la moitié des membres du Barreau du Québec, l’avancement des avocates au sein du milieu judiciaire demeure un défi de tous les jours. Alors que certaines inégalités persistent, des étudiantes de la Faculté de droit de l’Université Laval s’inquiètent notamment de la pénurie de modèles féminins dans le milieu.

 Le comité Question de genre, né en janvier dernier de l’initiative de quatre étudiantes en droit de l’Université Laval, offre une plateforme afin de discuter des enjeux et préjugés fondés sur le genre. L’organisation étudiante, qui tente de sensibiliser les jeunes universitaires à la réalité de certains stéréotypes sexuels qui persistent dans plusieurs milieux, se questionne notamment quant à la place de la femme dans le domaine judiciaire. Le manque de modèles féminins dans le milieu est l’un des problèmes soulevé par le comité, les avocates qui obtiennent de hauts postes étant plutôt rares ou, du moins, souvent dans l’ombre. «Comment je vais devoir faire ma place ? Et pourquoi est-ce que j’aurais à faire ma place plus qu’une homme ? C’est le genre de questions que l’on se pose, en tant que future juriste», explique Charlotte Reid, cofondatrice du comité.

«Aujourd’hui, la discrimination n’est plus directe, c’est une discrimination systémique. Ça devient de plus en plus difficile de voir où elle se trouve», explique Marion Racine, cofondatrice de Question de genre. Petit tour de table avec Charlotte Reid et Émilie Lacasse, membres à l’origine de l’initiative étudiante.

Alors qu’en 2014, le Barreau du Québec comportait pour la première fois plus de femmes que d’hommes – les femmes représentaient alors 50,4% des membres, selon le Barreau-Mètre 2015 –, l’accès aux études et l’embauche au sein des cabinets ne semblent plus être problématiques. «L’accès aux études, aucun problèmes. La preuve, nous sommes majoritaires dans les facultés de droit. Les fille sortent du cégep avec de bons dossiers alors elles sont tout de suite acceptées, la côte R n’ayant pas de sexe», explique Me Claire Brassard, associée et avocate spécialisée en droit du travail.

Le problème, selon la juriste, est plutôt en aval de l’entrée dans les cabinets : les femmes avocates ont de la difficulté à obtenir des promotions. Par exemple, «les femmes ne représentent que 18% des associées, ce qui est un important problème», mentionne-t-elle.

Il est donc encore difficile pour les avocates de grimper dans l’échelle salariale, ces dernières étant régulièrement confrontées à de nombreux défis et stéréotypes une fois embauchées dans les différents cabinets de la région.

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Optimiste, Claire Brassard évoque toutefois le fait que certaines femmes assez féministes soient aujourd’hui à la tête de grands bureaux. Selon l’avocate, il est important que les jeunes dîplomées en droit s’accrochent à ce genre de modèle. «Elles doivent s’accrocher à une senior féministe qui a à coeur la promotion des femmes au sein de son cabinet», explique-t-elle.

 La difficulté de concilier vie familiale et vie professionnelle

En raison du modèle de performance autour duquel se construisent les cabinets, les avocates qui pratiquent au privé semblent avoir de la difficulté à conjuguer la vie familiale et la vie professionnelle, explique Claire Brassard. «Les cabinets ont comme modèle que ce sont des hommes qui y travaillent de très longues heures et qui n’assurent aucune responsabilités familiales. C’est le portrait typique, qui tend à disparaître mais qui est encore dominant», ajoute-t-elle.

Ce phénomène assez répandu pousserait ainsi plusieurs jeunes femmes à quitter les cabinets privés au bout de quelques années de pratique. Louise Langevin, professeure à la Faculté de droit de l’Université Laval, explique le phénomène.

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Ainsi, plusieurs femmes craignent de ne jamais pouvoir fonder de famille dans un environnement de travail où l’objectif de performance, notamment calculé en terme d’heures, continue de triompher. «C’est un phénomène réel, qui a été analysé. On a des avocates qui développent une grande expertise, qui sont extrêmement brillantes… il faut créer les dispositions pour faire en sorte de les garder», déplore l’associée et avocate Claire Brassard.

Les membres de Question de genre, en regard de ces réalités et phénomènes documentés, se questionnent quant à la réalité du milieu professionnel au sein duquel elles oeuvreront dans quelques années.

«Oui, la profession d’avocat est une profession de prestige et axée sur la performance, mais est-ce que ça rend pour autant la conciliation travail famille impossible ? Comment la réalité biologique de la femme – le fait qu’elle soit enceinte – est pris en compte dans les cabinets privés ? C’est le genre de question qui me stresse un peu», avoue Charlotte Reid, cofondatrice du Comité.

De nombreuses femmes quittent les cabinets après quelques années de pratique. Une étude réalisée en 2005 par la firme de consultants Catalyst révèle que de nombreuses femmes seraient restées en pratique privée si elles avaient senti une ouverture de la part de leur employeur leur permettant de concilier leur vie professionnelle et leurs objectifs personnels. © Crédit photo : Barreau du Québec.
De nombreuses femmes quittent les cabinets après quelques années de pratique. Une étude réalisée en 2005 par la firme de consultants Catalyst révèle que de nombreuses femmes seraient restées en pratique privée si elles avaient senti une ouverture de la part de leur employeur leur permettant de concilier leur vie professionnelle et leurs objectifs personnels. © Crédit photo : Barreau du Québec.
Le projet Justicia

Le Barreau du Québec, en partenariat avec plusieurs cabinets de la région, a lancé en 2011 le projet de recherche Justicia, toujours en cours, pour «la rétention et la promotion des femmes en pratique privée», explique Me Fannie Pelletier, conseillère à l’équité au Barreau du Québec.

«Parce que l’avenir de la profession se conjugue au féminin», déclare-t-elle. En effet, en raison de la forte présence féminine dans les Facultés de droit, les femmes représentent aujourd’hui jusqu’à 65% des membres finissants de l’École du Barreau. Justicia est un projet de recherche qui vise ainsi à adapter la pratique du droit et son milieu de travail aux besoins particuliers des femmes.

«Je me suis engagé dans le projet Justicia parce que je crois à la promotion de la diversité et de l’égalité au sein de la profession juridique», déclare pour sa part Me Martin Sheehan, associé chez Fasken Martineau Dumoulin.

Dans tous les cas, la loi du nombre finira par triompher, selon la professeure et chercheuse Louise Langevin. «Les cabinets ne peuvent pas se passer de plus de 50% de la main d’oeuvre dans le domaine. Ils doivent être capables d’aller chercher les meilleures ressources, peu importe les caractéristiques personnelles», mentionne-t-elle.

De nombreuses juristes sont finalement assez optimistes face à ce projet de recherche. «Il y a de belles éclaircies qui s’annoncent», évoque Me Brassard. Grâce à des projets comme Justicia, «il y a des moyens qui sont explorés pour retenir les jeunes femmes et qui font gage de succès», ajoute-t-elle.

Ainsi, bien que l’avancement des femmes au sein du milieu juridique soit un enjeu toujours actuel et que plusieurs défis demeurent, des recherches sont en branle afin de refaçonner une profession qui, de plus en plus, tend à se féminiser.