Les approches biopsychosociales (dites alternatives) en santé mentale connaissent une hausse de demandes à Québec. Pourtant, elles demeurent minoritaires dans le réseau au moment où le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, vient de dévoiler le nouveau plan d’action en santé mentale 2015-2025 du gouvernement provincial, qui prévoit injecter 70 millions de dollars dans le secteur.

« Il y a une très forte demande. Mais il demeure que les pratiques alternatives sont toutefois minoritaires dans l’ensemble du réseau. Et souvent, les gens ne connaissent pas l’existence de ces pratiques là » déclare Anne-Marie Boucher du Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec.

L’approche biopsychologique, qui ne considère pas exclusivement la maladie mentale comme un déséquilibre biologique, approche plutôt l’être humain de manière «élargie». La maladie mentale, selon cette perspective, est donc le produit d’interactions entre des facteurs à la fois biologiques et psychosociaux, explique Anne-Marie Boucher.

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Patricia Bougie, responsable de l’organisme PECH, identifie quant à elle une «poche d’air au niveau des troubles de personnalité, des troubles identitaires.» En effet, ces troubles relèvent de la santé mentale puisqu’ils sont dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux.

Elle souligne le fait que l’on ne parle pas tant de ces troubles identitaires, mais plutôt de troubles de santé mentale d’un autre type, telle la schizophrénie. «Ce sont pourtant ces premiers troubles qui coûtent cher, qui font la plaque tournante de l’hôpital, de la rue, du centre de détention.»

«C’est sûr qu’au niveau alternatif, il faut proposer davantage de choses à ces gens qui ont un problème comportemental afin qu’ils raccrochent un sens à leur vie», explique-t-elle.

Une situation de manque

Les compressions constantes, notamment dans le secteur de la santé et des services sociaux, affectent l’offre de services et en restreignent l’accès, soutient Anne-Marie Boucher.

«On déplore le coût élevé des ressources alternatives. Mais vous savez, les médicaments, ça coûte très cher aussi. Et ne donner que des médicaments, c’est très coûteux à moyen et long terme», explique Bernadette Dallaire, professeure à l’École de service social de l’Université Laval.

Les interventions thérapeutique et relationnelle, qui vont de pair avec la prévention en santé mentale, ont effectivement un coût, mais peuvent coûter beaucoup moins cher à long terme, ajoute la sociologue. «La notion de coût doit toujours être considérée en convention avec la notion de temps», souligne-t-elle.

Mme Dallaire parle actuellement d’un «système coincé». Elle illustre cette problématique avec l’exemple des consultations en psychologie qui, «à moins d’avoir une assurance privée, coûtent assez cher quand on les prend en dehors du réseau public.» La professeure souligne également la longueur des listes d’attente lorsque les gens font appel au réseau public.

Sans pour autant nier son importance, l’offre d’approches alternatives ne dépendrait tout de même pas du seul facteur économique, rappelle madame Bougie.

Selon elle, «certains organismes seraient plus frileux que d’autres à se tourner vers les approches alternatives à cause de la gestion de risque. En effet, l’alternatif suppose aussi des fois de laisser la personne seule pour qu’elle réfléchisse à son comportement.»

PECH applique des approches alternatives basées sur les forces. Il s’agit de reprogrammer la personne en fonction des pertes et des gains qui sont liés à son comportement, indique Mme Bougie. «Le but est de responsabiliser la personne au lieu de la prendre en charge», explique-t-elle.

La responsable de PECH aborde également la question de l’alternative jusque dans la question des logements sociaux.

L’intérêt suscité par les approches alternatives est d’autant plus manifeste que, selon Mme Bougie, d’autres organismes aux approches plus traditionnelles n’ont pas de liste d’attente.

Elle aborde également l’un des problèmes de ces approches plus traditionnelles, soit la place de l’intervenant dans la vie de ces personnes souffrant de santé mentale. «Ce qui arrive quand on n’est pas alternatif, c’est que l’on crée de la co-dépendance, explique-t-elle. La seule personne dans leur vie, c’est l’intervenant, qui n’arrive pas à se désengager parce qu’il n’a rien d’autre à proposer.»

Combiner la prise de médicaments et les approches alternatives

L’approche à privilégier en santé mentale est une combinaison entre la médication et les approches biopsychosociales, selon plusieurs professionnels du réseau public de la santé. Même si les approches alternatives se sont historiquement construites en opposition à la psychiatrie traditionnelle, une volonté des acteurs médicaux à les concevoir plutôt en terme de complémentarité se développe.

«Évidemment, il y aura toujours des débats sur le rôle des médicaments. Certains analystes ont une position radicale et proscrivent totalement la prise de médicaments, mentionnant que ces derniers font partie du complexe capitaliste industriel, de l’industrie pharmacologique… À l’inverse, certains défendent le rôle absolument essentiel et dominant que doivent avoir les médicaments en santé mentale», souligne tout de même Mme Dallaire.

L’important, selon la chercheuse, est plutôt de favoriser une utilisation équilibrée de la médication, en combinaison avec des approches davantage relationnelles. Il y a donc une position mitoyenne favorable, un équilibre à trouver entre les positions extrêmes.

La notion de choix est aussi très importante, rappelle Anne-Marie Boucher. En effet, «les personnes doivent avoir accès à toutes les informations par rapport à ce qui est offert comme traitement», ajoute-t-elle. Pour les organismes qui offrent ces méthodes alternatives, il est donc essentiel que les patients puissent décider de manière éclairée s’ils veulent prendre ou non des médicaments.