La contestation judiciaire de la loi sur la laïcité de l’état devant la Cour supérieure du Québec a déjà vu intervenir une quinzaine de témoins. Nombre d’opposants à la loi, comme France-Isabelle Langlois, font valoir que derrière la question du voile islamique se pose surtout le problème de définition d’un signe religieux.

Cette législation interdit le port de signes religieux, entre autres, aux juges, aux policiers, aux procureurs, aux gardiens de prison et aux enseignants dans le cadre de leurs fonctions. Toutefois, France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone, explique que le débat se polarise surtout autour de l’islam et du voile islamique. Elle considère que plusieurs événements tragiques associés à l’islam ont fait du port du voile le symbole du radicalisme et de l’asservissement des femmes musulmanes.

La directrice déclare qu’Amnistie travaille avec des coalitions représentant des communautés juives et sikhs qui subissent également les conséquences de la loi. Néanmoins, elle estime que les groupes en faveur de la loi 21 orientent leurs arguments principaux qu’autour du voile musulman. Pour elle, cela démontre que le voile est, en réalité, la cible centrale visée par cette loi.

« Ça devient un secret de polichinelle », déclare France-Isabelle Langlois au sujet du voile.

Mme Langlois souligne que la fédération autonome de l’enseignement, qui représente le tiers du personnel enseignant du Québec, plaide pour une définition claire et concrète de ce qu’est un signe ostentatoire. France-Isabelle Langlois estime que la ligne entre un signe religieux et un signe culturel, ou même esthétique, n’est pas évidente à tracer. Elle évoque en guise d’exemple le port de la barbe chez les hommes. Selon des pratiques religieuses (entre autres chez les juifs hassidiques, les chrétiens orthodoxes et les musulmans), il arrive que l’homme porte la barbe pour des convictions religieuses. Dès lors, dans le cadre de la loi, est-ce que la barbe doit être interdite à tous les hommes si elle est un signe ostentatoire, demande Mme Langlois.

« Ça ramène au plus facile : le voile musulman qui est une évidence, et le turban sikh aussi. » – France-Isabelle Langlois

Pour elle, un réel problème se pose au moment d’interpréter et d’appliquer la loi. Elle juge que le manque de définition claire de ce qu’est un signe ostentatoire engendre un problème dans la mise en œuvre de cette loi, principalement dans le milieu scolaire. Est-ce que la Kipa, le Bindi hindou, et des pendentifs ou des vêtements arborant une croix, une main de Fatima, une étoile de David ou un mauvais œil sont des signes ostentatoires, se demande-t-elle ? L’interprétation devient complètement aléatoire, lance la directrice.

Une définition restreinte

Boris Dolin, rabbin au sein de la congrégation Dorshei Emet, est lui aussi opposé à la loi 21, parce qu’il estime qu’elle minimise la définition de tous les symboles religieux et culturels. Selon lui, la signification des symboles religieux et culturels est différente pour chaque personne qui les porte et la loi 21 n’offre qu’une seule définition étroite de ce qu’est un signe ostentatoire.

« Que le gouvernement définisse ce que chaque symbole représente pour toi et dire que c’est pour ça qu’il est interdit, c’est complètement injuste. » – Boris Dolin

Pour lui, sa kippa n’est pas qu’un signe religieux. Elle est aussi un marqueur culturel qui lui permet d’affirmer avec fierté qu’il fait partie de la communauté juive de Montréal.

Le rabbin estime que cette loi affecte toute la société québécoise et nuit à l’image du Québec sur la scène internationale. Il explique que certaines communautés sont plus ciblées que d’autres et que cette loi vient davantage nuire à des personnes qui désirent affirmer leurs identités religieuses et culturelles librement.

En 2011, l’Enquête nationale auprès des ménages a réalisé un recensement de la population afin d’établir un profil des différentes identités religieuses existant au Québec. La prochaine enquête de cette envergure est attendue pour 2021. Les données recueillies en 2011 démontraient que 12% de la population québécoise ne revendiquait aucune appartenance religieuse, soit près de moitié moins que dans le reste du Canada. Du 88% restant de la population québécoise, 82% déclaraient être de confession chrétienne. Le dernier 5% se divise entre Musulmans, Juifs, Bouddhistes, Hindous, Sikhs, Spiritualité autochtone et autres religions.

Des problèmes de société

Hanadi Saad est présidente de Justice Femme, un organisme à but non lucratif qui œuvre à défendre et à promouvoir les droits des femmes. Saad, de son côté, juge que la loi 21 est en violation directe du principe de libre choix des femmes à s’habiller comme elles le souhaitent. Selon elle, cette violation mettrait le système de démocratie québécois en danger. Son organisation est favorable à la laïcité, mais contre la loi 21, qui ne permettra pas de garantir la neutralité dans la prise de décisions au sein de la fonction publique et dans le domaine de l’enseignement.

« Qui a dit que le prof qui ne porte pas de signe religieux est neutre et inclusif ? Ce n’est pas le signe qui fait de toi une personne neutre ou non. » – Hanadi Saad

Sans des modalités d’application fixes, la loi 21 peut donner libre recours à des formes de discrimination à l’embauche, souligne-t-elle. Pour Hanadi Saad, la clause grand-père, clause sous laquelle les employés de l’État portant déjà un signe religieux bénéficient d’un droit acquis, est un cadeau empoisonné : ce droit acquis n’est que partiel, puisque ces employés ne peuvent garder leur symbole que s’ils gardent la même fonction et le même poste pour le reste de leur carrière. La clause grand-père vient alors supprimer toutes les opportunités d’avancement de carrière ou de réorientation dans la fonction publique pour les personnes affichant leur religion ou leur culture. 

Selon elle, la loi va à l’encontre de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. Adoptée unanimement par l’Assemblée nationale du Québec en juin 1975, Hanadi Saad rappelle que cette Charte a précédé l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés.

« La Charte québécoise faisait la beauté du Québec et le plaçait comme un exemple à suivre en termes de droit humains, avant l’adoption de la loi 21. » – Hanadi Saad