En dépit de l’adoption de la loi 2 — Loi resserrant l’encadrement du cannabis — qui a fait passer de 18 à 21 ans l’âge légal pour consommer et qui encadre sérieusement la vente de produits comestibles à base de cannabis, l’ouverture récent de deux nouvelles succursales à Québec de la Société québécoise du cannabis (SQDC) illustre la popularité grandissante de la marijuana. Explications des récents développements concernant la pratique, mais aussi des prochains défis auxquels feront face les acteurs concernés.
Sanctionné le 1er novembre 2019, le projet de loi 2 présenté par M. Lionel Carmant, Ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, visait à resserrer l’encadrement actuel du cannabis et venait modifier la loi 157 — Loi encadrant le cannabis adoptée l’an dernier.
À partir du 1er janvier 2020, l’âge légal minimum requis pour acheter et posséder du cannabis sera haussé à 21 ans. Il sera donc désormais interdit aux jeunes adultes entre 18 et 21 ans d’accéder aux locaux ou au site Internet de la Société québécoise du cannabis (SQDC). De plus, à partir de cette date, les produits comestibles à base de cannabis seront aussi offerts sur les tablettes de la SQDC, mais ne devront pas être attrayant pour les mineurs.
Serge Brochu, professeur à l’École de criminologie de l’Université de Montréal, est en désaccord avec la récente augmentation de l’âge légal, par le gouvernement de la CAQ, tout comme la majorité des intervenants en santé publique qui se sont exprimés publiquement. Le professeur explique que plus du tiers des 18-21 ans consommaient du cannabis avant la légalisation et que les plus récentes statistiques démontrent qu’environ la même proportion de jeunes adultes consomme à ce jour. Il est donc d’avis que ces jeunes adultes continueront à consommer, de manière légale ou illégale, comme ils le faisaient déjà il y a tout juste un an.
Selon M. Brochu, ces consommateurs se tourneront vers le marché noir pour se procurer leurs substances et seront privés de l’accès à des produits de qualité, exempt d’engrais toxiques et de pesticides, ou encore des produits à faible teneur en THC et plus forte teneur en CBD, comme on peut retrouver à la SQDC.
Par le fait même, M. Brochu précise que ces jeunes consommateurs auront aussi accès à des drogues plus dépendogènes, puisque le revendeur de drogue du marché noir propose toutes sortes de produits et n’a pas reçue la formation en prévention et en réduction des risques qu’ont reçue les employés de la SQDC. Par exemple, il affirme qu’il y a un risque nettement plus élevé de consommer du fentanyl par mégarde. De plus, M. Brochu souligne qu’une relation de simili amitié peut se tisser entre le client et le revendeur, laquelle risque de se poursuivre même lorsque le client aura atteint l’âge légal pour consommer légalement.
M. Brochu est toutefois conscient que le resserrement de la règlementation part d’une bonne intention de la part du gouvernement caquiste. Les risques de psychoses chez les consommateurs sont effectivement existants, mais ils sont minimes explique-t-il : alors que le risque est de 1 à 3% sans consommation de cannabis, il augmente à 1,3 à 4,2% avec consommation. À cet effet, M. Brochu rappelle que la précocité de la consommation (amplifiée avant 16 ans), la fréquence de consommation et les risques génétiques sont les trois éléments qui augmentent les risques de psychoses.
Enfin, M. Brochu est d’avis que la clef devrait plutôt être la prévention que la néoprohibition proposée par le gouvernement.
«Actuellement, quelqu’un de 18 ans est assez mature, semble-t-il, pour se procurer une arme, pour consommer de l’alcool qui a des effets bien plus délétères que le cannabis, alors pourquoi hausser l’âge légal à 21 ans pour le cannabis?»
– Serge Brochu, professeur à l’École de criminologie de l’Université de Montréal
https://www.youtube.com/watch?time_continue=28&v=-MxEFhZHdko&feature=emb_title
La nouvelle publicité du Ministère de la Santé et des Services sociaux fait part des changements apportés à la Loi encadrant le cannabis. (Crédit vidéo : MSSS)
Établissements d’enseignement visés par la loi
La loi étend également à tous les établissements d’enseignement collégial ou universitaire l’interdiction pour la SQDC d’exploiter un point de vente de cannabis à moins de 250 mètres d’un établissement d’enseignement. Auparavant, seules les écoles primaires et secondaires étaient citées dans la Loi encadrant le cannabis. Les succursales de Rimouski et de Trois-Rivières se retrouvent donc susceptibles de se retrouver dans l’illégalité.
Le gouvernement affirme qu’il effectuera des vérifications d’usage prochainement, afin de voir si elles sont problématiques. La loi précise que la distance doit être supérieure à 250 mètres en fonction du trajet le plus court sur la voie publique à partir des limites du terrain où se situe l’établissement en question. S’il est déterminé que les succursales contreviennent à la loi, elles changeront d’emplacement, bien que le déménagement pourrait prendre quelques années. En effet, l’amendement de la loi prévoit que les succursales auront jusqu’à l’échéance du bail pour se conformer aux nouvelles dispositions : les baux des deux points de vente sont tous deux valides jusqu’en 2023.
Quant à elle, la succursale de Sainte-Foy, à Québec, se situe dans un rayon inférieur à celui prévu par la loi, notamment du Cégep de Sainte-Foy. À l’ouverture de la succursale en 2018, Régis Labeaume, le maire de la Ville de Québec, avait d’ailleurs estimé que la SQDC avait fait un choix « malhabile » quant à l’emplacement du commerce, qui est également à proximité de l’Université Laval et du Cégep Champlain St. Lawrence. La SQDC précise que le commerce sera déplacé pour se conformer à la loi, son bail arrivant à échéance en 2022.
Carte des succursales la SQDC dans la région de Québec se situant à proximité de trois établissements d’enseignement. Voir Succursales de la SQDC dans la région de Québec en plein écran.
En dépit du resserrement de la loi, trois succursales ont récemment vu le jour à la fin du mois de novembre. Deux nouvelles succursales ont ouvert dans la Ville de Québec, à Beauport et à Les Saules, le 25 novembre dernier. Le lendemain, c’était au tour de la Ville de Grande-Rivière en Gaspésie d’inaugurer son commerce. Elles auront toutes les trois les mêmes heures d’ouverture que les autres emplacements de la SQDC, soit de 10 h à 21 h les jours de la semaine et de 10 h à 17 h les fins de semaine.
Cannabis comestible : un couteau à double tranchant
À compter du 1er janvier 2020, les succursales de la SQDC vendront également des produits comestibles à base de cannabis. Dans le reste du Canada, ces produits seront disponibles dès 16 décembre 2019.
Selon Fabrice Giguère, porte-parole de la SQDC, cette volonté de repousser la date de mise en vente de ces produits permettra aux producteurs de cannabis comestible de s’adapter au Règlement déterminant d’autres catégories de cannabis qui peuvent être vendues par la Société québécoise du cannabis adopté par le gouvernement québécois. En effet, l’article 4 interdit la vente d’un produit de cannabis comestible qui soit « une friandise, une confiserie, un dessert, du chocolat ou tout autre produit attrayant pour les mineurs. »
Selon M. Brochu, le règlement québécois est beaucoup plus strict que dans les autres provinces : « le gouvernement fédéral soutient qu’il ne faut pas que ce soit attrayant pour les enfants, mais la clause québécoise va encore plus loin. En termes de produits, l’offre va être très limitée. »
À l’approche de la mise en vente prochaine de produits comestibles à base de cannabis, Christian Bazinet, secrétaire général du Conseil québécois sur le cannabis comestible, soulève deux enjeux majeurs concernant sa transformation alimentaire. D’abord, il souligne que les réactions des cannabinoïdes et les réactions mal connues des consommateurs pour les transformations envisagées demeurent inconnues :
« Il n’y a pas d’études scientifiques probantes et valides qui ont été produites, car le cannabis, à la base, est une substance illégale. Par exemple, on ne connaît pas les réactions quand on cuit les cannabinoïdes. Scientifiquement et cliniquement, on est dans les balbutiements. »
– Chrisitan Bazinet, secrétaire général au Conseil québécois sur le cannabis comestible, une association mise en place par les acteurs de l’industrie
Ensuite, il mentionne que les entreprises de transformation alimentaire sont défavorisées au détriment des gros producteurs de marijuana qui œuvrent déjà dans le cannabis médicinal et récréatif. Ceux-ci n’auront qu’à amender leurs licences délivrées par Santé Canada : « Quand vient le temps de faire du cannabis comestible, les gros producteurs de cannabis ne savent pas comment procéder. De leur côté, les transformateurs alimentaires ne pouvaient pas se procurer de licence avant le 17 octobre. Donc, les producteurs de cannabis, ayant acheté des usines de transformation alimentaire, ont commencé la production avec une sérieuse longueur d’avance. »
Selon M. Boudreau, professeur de criminologie à l’Université St Thomas, le gouvernement devra réglementer de manière stricte la fabrication et la vente de produits à base de cannabis comestible, en plus d’informer la population des éventuels effets secondaires liés à l’abus de sa consommation.
De son côté, le criminologue Serge Brochu est en faveur de la vente de cannabis comestible, puisque les gens peuvent s’en procurer sur le marché illicite. Il ajoute que le gouvernement fédéral a appris des erreurs de nos voisins du sud, notamment des États de Washington et du Colorado. En 2014, ces deux États ont légalisé la vente du cannabis à des fins récréatives : on pouvait s’y procurer des bonbons au cannabis ressemblant à des bonbons ordinaires, placés dans des paquets transparents et non refermables. Ces États ont donc dû faire face à plusieurs problèmes d’hospitalisations de jeunes qui ignoraient ce qu’ils mangeaient. Au Canada, les paquets seront opaques, les bonbons emballés en doses individuelles et en sachets difficiles à ouvrir par des enfants.