La discussion au sujet des différences de salaire entre les différentes sortes de personnel dans les restaurants est loin d’être nouvelle. Au Québec, elle a été relancée il y a peu, juste après que des mouvements en faveur de l’égalité des salaires du personnel de restauration surgissent aux États-Unis. En octobre dernier, l’abolition du pourboire dans les restaurants détenus par Danny Meyer a relancé le débat même à Québec.

Les cuisiniers dénoncent les inégalités de salaire avec les serveurs.  Le personnel des cuisines, qui n’a pas accès aux pourboires, milite pour un vent de changement. « Je pense que la cuisine à une importance qui n’est pas reconnue de manière salariale », explique Raphaël G. Théberge, chef de partie au Laurie Raphaël.

Le partage de pourboires : une solution unanimement acceptée ?

La hausse des salaires ou des prestations de service est discutée, mais cette situation affecterait la rentabilité de l’entreprise. La solution préconisée est donc le partage des pourboires selon François Meunier de l’ARQ. Celui-ci avance que 25 % des restaurants au Québec ont recours à ce genre de pratique. Il cite à titre d’exemple les restaurants Pacini et Montréal Plaza. À Québec, le restaurant Chez Boulay-bistrot Boréal offre du pourboire aux cuisiniers, selon le chef de partie au Laurie Raphaël et ancien employé du restaurant bistronomique.

Pour plusieurs cuisiniers à Québec, imposer aux serveurs de partager le pourboire qu’ils reçoivent serait une bonne alternative. Bruno Stifani, cuisinier au restaurant Le Batifol à Lac-Beauport, croit que si 1% du pourboire des serveurs était séparé avec l’ensemble des cuisiniers d’un restaurant, la différence serait énorme au niveau de la reconnaissance de leur travail.

«Recevoir du tip, pour le cuisinier, c’est valorisant, ça lui donne encore plus envie de performer dans ce qu’il fait.» – Anthony Couture-Lacroix, chef cuisinier au Batifol

La mise en place unilatérale par l’employeur du partage de pourboire est initialement prohibée à l’article 50 de la Loi sur les normes du travail. La jurisprudence est également claire sur la question : conformément à l’arrêt Edmond contre le restaurant Mikes, la mise en place d’une politique de partage est illégale en l’absence de consentement des employés. Pour toutes ces raisons, le vice-président de l’ARQ plaide la modification de cette disposition.

La seule possibilité est la signature des employés à la Convention sur le partage des pourboires instaurée par la Commission des normes du travail. Il faut réunir 51 % des voix pour que le partage entre en vigueur dans l’établissement. Néanmoins, même ces solutions sont loin de faire l’unanimité au sein d’une équipe de restauration.

À l’image de l’équipe du restaurant Le Batifol, les employés ne s’entendent pas sur cette question. Les serveurs ne souhaitent pas partager davantage le pourboire qu’ils reçoivent, alors que les cuisiniers voudraient en recevoir un certain pourcentage. Voici ce qu’en pense Anthony Couture-Lacroix, chef cuisinier au restaurant Le Batifol.

 

Pour Raphaël G. Théberge, outre la question de la Convention de partage de pourboires, une réorganisation du travail d’équipe pourrait favoriser l’équité entre les salaires.

La baisse progressive du salaire des serveurs

Les serveurs des restaurants de la capitale de la Belle-Province ne veulent pas sacrifier leurs salaires, car ceux-ci sont en diminution. Les chiffres relevés par le Guide des salaires selon les professions au Québec sont à cet égard significatifs. En moyenne, tout établissements confondus, entre 2008 et 2013, les serveurs gagnaient 14,54 $ de l’heure contre 13 $ pour les cuisiniers. De son côté, le vice-président de l’ARQ explique que le personnel des cuisines gagne en moyenne entre 16 et 18 dollars de l’heure tandis que le personnel en salle fait 22 à 24 $ de l’heure.

La croissance annuelle moyenne des salaires a atteint 1,3 % pour les cuisiniers tandis ce qu’une baisse de – 2,5 % a été constatée pour les serveurs. Avec cette baisse, Marie-Ève Bédard, serveuse et assistante-gérante au Batifol, croit que les serveurs ne devraient pas partager davantage les pourboires :

« Nous on partage déjà 4% de nos pourboires avec les suiteurs et les barmaids, si en plus il faut qu’on en donne aux cuisiniers, je trouve que ça fait trop. Je suis pour une meilleure répartition du pourboire entre le staff, mais pas au détriment de notre pourboire.» – Marie-Ève Bédard, assistante-gérante et serveuse

Moins de cuisiniers à Québec : conséquence des iniquités salariales ?

Pour François Meunier de l’ARQ, la diminution du nombre de cuisiniers due à la rémunération est un irritant. « La question de la rémunération doit faire partie de l’équation ». Les faibles salaires poussent les cuisiniers à changer de profession ou se tourner vers la cuisine de collectivité.

À titre d’exemple, après des études au sein d’écoles hôtelières, seulement 8 % des diplômés intègrent des restaurants. Les autres iraient travailler dans des institutions tels que des hôpitaux ou les salaires sont supérieurs en plus de bénéficier d’avantages sociaux. D’autres changent de profession ou ouvrent leur propre restaurant. Emmanuel Côté, serveur au Batifol, a été témoin de ces réorientations de métier au restaurant et amène la problématique de la reconnaissance du métier de cuisinier.

 

Citant les statistiques du Conseil canadien des ressources humaines en tourisme, le vice-président de l’ARQ prédit même que d’ici 2030, il manquera 35 000 personnes pour combler les postes dans la restauration au Québec.