Les instagrameurs, les youtubers et autres hyperactifs du numérique, que l’on embrasse généralement sous le nom d’influenceurs, peuvent ébranler les certitudes et changer les habitudes de consommation, dont celles du web. On s’interroge sur leurs effets, surtout chez les jeunes de 18 à 24 ans et ce, dans plusieurs sphères de la vie : prises de décision diverses, multiples achats, choix de restaurants et de destinations voyage, tendances beauté, mode et coiffure… Cependant, tout porte à croire que ces vedettes du web seraient trop souvent de mauvaises influences sur la santé physique et mentale des individus qui suivent leurs discours.

Le New York Times qualifiait de « nouveaux poètes d’Instagram », les professionnels de la santé mentale ayant une présence de plus en plus accrue sur les réseaux sociaux. Le phénomène des « influenceurs du mieux-être » prend de l’ampleur en Amérique du Nord : psychologues, thérapeutes, coachs de vie et autres intervenants sont maintenant également actifs sur diverses plateformes sociales ainsi que dans une panoplie de podcasts et de blogues.

Le terme « mésinfluenceur » sera considéré comme quelqu’un usant de son influence afin de pousser quelqu’un au mal ou à mal faire. Autrement dit, il s’applique aux personnes qui encouragent d’autres personnes à agir négativement en jouant de l’influence dont elles disposent.

 

 

Depuis quelques années, le psychologue Paul Simard diffuse des capsules vidéo de vulgarisation liées à la psychologie sur sa chaine YouTube. En octobre 2017, il a démarré #PsychOctober, qui consiste en la diffusion d’une vidéo par jour tout au long du mois d’octobre. Il souhaitait ainsi rendre la psychologie plus accessible à la population.

 

Le psychologue Paul Simard fut un des premiers professionnels de la santé mentale actif sur les réseaux sociaux. (Crédit photo : Paul Simard/YouTube)

 

Un terme fallacieux

Le psychologue Paul Simard note que le terme « influenceur » semble un néologisme bien imparfait qui ne reflète pas la réalité des créateurs web. Il propose plutôt de se demander ce qu’est une influence? Serait-ce une question de charisme, de pertinence ou alors de crédibilité des propos?

À cet égard, en 2018, une étude du magazine international Campaign destiné aux acteurs du milieu de la publicité, a montré que l’authenticité et l’honnêteté sont les facteurs-clés chez les internautes avant de  décider de suivre, ou non, un influenceur. L’influence provient donc essentiellement de la confiance, de la crédibilité et de l’impartialité des contenus diffusés.

Monsieur Simard rappelle que l’être humain est extrêmement sensible à l’influence d’autrui. Cependant, notre caractère influençable ne définit pas pour autant n’importe quelle personne qui diffuse des contenus en ligne, comme des influenceurs. D’autant plus, que ce ne sera pas forcément l’intention du créateur de contenus. En ce sens, il rappelle que c’est l’auditoire qui attribue une étiquette au diffuseur en ligne.

Il relève par ailleurs qu’il semble se dégager une tendance vers des profils de personnalités extroverties. Dans la construction de leur identité, les adolescents peuvent être à la recherche de contre-modèle de leurs parents, ce qui est tout à fait normal, car ces enfants veulent être plus qu’une simple extension de leur parent.

« Assurément que certaines personnes peuvent être influencées par mon contenu web et les règles de déontologie de mon ordre sont là pour encadrer ma pratique. Par exemple, je ne peux pas faire de la sollicitation ni faire de la vente de produit et service qui ne sont pas associés à la psychologie. Vous ne retrouverez donc pas de publicités ajoutées sur mes vidéos.» — Paul Simard.

Le psychologue rappelle que notre nature influençable est étroitement liée aux notions de biais cognitifs, ou plus communément appelées, des erreurs de raisonnement qui vont jouer sur le traitement que l’on fera d’une information. Le biais de confirmation en est un exemple : toute personne sera plus encline à croire une information qui va dans le sens de sa pensée et, à l’inverse, sera portée à réfuter une information qui ira à l’encontre de ce qu’elle pense. Ainsi, sur les plans de la santé mentale, nutritionnelle ou physique, nos biais cognitifs existant influenceront à leur tour les personnes auxquelles nous accordons de la crédibilité et nos décisions, au détriment d’autres.

 

Une mésinfluence sur le plan de la santé

Dans la plupart des cas, les internautes consultent des comptes de personnes qui ne sont pas des professionnels, de la santé, de l’activité physique ou autre, et peuvent développer des habitudes de vie qui ne sont pas saines, notamment par rapport à la perte de poids, à l’exercice ou à la nutrition.

Sophie Desroches, professeure à l’École de nutrition et chercheuse à l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels, s’intéresse particulièrement à la mauvaise influence des influenceurs en ce qui a trait à la nutrition. Une de ses dernières études, menée conjointement avec des chercheuses de l’Université de l’Alberta, dévoile que d’importants écarts existent entre la fiabilité des dires des professionnels de la santé et les autres influenceurs non formés sur la question. 69 % de ces derniers publieraient des cures miracles et à des solutions rapides, contre 8 % du côté des professionnels de la santé.

Les publications Instagram des professionnels de la santé ne sont pas pour autant fiables, prévient la chercheure. En effet, le format des publications sur Instagram n’est pas propice aux explications et à la contextualisation, toutes deux essentielles à la prise de décisions éclairées en nutrition.

Madame Desroches a également signé une analyse, de pair avec Audrée-Anne Dumas, consacrée aux liens entre les médias sociaux, le contrôle du poids et l’image corporelle. Les chercheures démontrent clairement que la fréquentation des médias sociaux exacerbe l’insatisfaction par rapport à son poids et son image corporelle.

 

L’alimentation occupe une place signifiante des photographies partagées sur Instagram. (Crédit photo : iStock)

 

L’alimentation sur Instagram

Camille Trudelle est maitre en communication de la santé de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Elle y a analysé une cinquantaine de publications de placement de produits alimentaires sur la plateforme Instagram. Selon son analyse, le profil type de l’utilisateur de cette plateforme intéressé par l’alimentation est une jeune femme avec un niveau de scolarité élevé.

Or, le problème souligné par Mme Trudelle est celui des influenceurs : ils ne font pas toujours mention lorsqu’ils sont commandités. Dans seulement 24 % des cas, les publications de nature publicitaire mentionnaient qu’il y avait un cachet derrière celles-ci.

Madame Trudelle observe donc qu’il manque nettement de transparence lorsqu’il s’agit de publicités alimentaires. Elle remarque également qu’Instagram influence ses usagers en matière de normes et de manières de faire et que les gages de confiance sont établis, mais peuvent varier d’une personne à l’autre. Les compagnies feront donc majoritairement appel à des gens ayant déjà un important bassin d’abonnés, avec lesquels un lien de confiance existe souvent déjà, observe Mme Trudelle.

Le Centre de recherche sur la communication et la santé (ComSanté) de l’UQAM se penche notamment sur l’impact des réseaux sociaux dans notre alimentation. À cet égard, la chercheuse Monique Caron-Bouchard constate une tendance chez les jeunes à se mettre en scène avec la nourriture déjà préparée, alors que seulement 14 % d’entre eux se photographient pendant la préparation ou la cuisson des aliments. De plus, elle note que les repas sont souvent présentés dans de la vaisselle non réutilisable. De l’alcool est également présent sur plusieurs photographies, accentuant en quelque sorte l’image de plaisir en groupe et de regroupement autour d’un repas.

« C’est la société spectacle où tout doit être un évènement. Les jeunes cherchent à vivre une expérience hors du commun lorsqu’ils mangent. De ce fait, ils montrent davantage la consommation que l’alimentation, sous-entend cette dernière. » – Madame Caron-Bouchard.

Les mots-clics associés à ce genre de publications sont liés à la santé et une bonne hygiène de vie, ce qui est problématique selon Mme Trudelle. L’apparence physique et la mise en forme dominent de loin les mentions de ces publications.

Dans son mémoire présenté en avril 2018, Camille Trudelle synthétisait ce que la recherche sait de ce phénomène. On y apprend qu’une équipe de chercheurs basés aux États-Unis ont déjà démontré que les photographies alimentaires diffusées sur la plateforme Instagram font partie des six catégories les plus populaires. La sous-catégorie « thé/café » se retrouve en tête, suivie du chocolat et des « pains et céréales ». Une équipe suédoise a montré que la diffusion de photos alimentaires repose sur deux objectifs : le premier se concentre sur l’aspect esthétique des aliments et du « fait maison », alors que le second présente les aliments comme faisant partie d’un mode de vie.

Les résultats obtenus par Madame Trudelle démontrent la préoccupation grandissante de manger sainement, l’industrie alimentaire développant un marché du « sain », sans sucre, sans sel, sans gras, sans gluten… La notion de plaisir est écartée, laissant place à une culture de l’alimentation dite « médicalisée », qui précise le nombre de repas qui doit être mangé par jour, la portion idéale, les aliments spécifiques à notre mode de vie, etc. Dans la société moderne, le rapport à l’alimentation a changé; manger devient de moins en moins un acte social, mais plutôt une pratique individuelle, conclut Camille Trudelle.

 

Et la santé mentale dans tout ça?

Environ 1 personne sur 5 connaîtra un épisode relié à sa santé mentale dans sa vie selon The National Institute of Mental Health (NIMH). Pourtant, seulement 42% de ces personnes auront reçu un traitement psychologique au cours de leur vie. Ainsi, des internautes pourront être tentés de se tourner vers les influenceurs du mieux-être, pouvant être rejoints rapidement sur des plateformes très accessibles et offrant du contenu entièrement gratuit.

À noter que les publications, les vidéos et les podcasts sur les plateformes sociales ne devraient jamais remplacer une vraie consultation et une thérapie en personne, puisque celle-ci requiert nécessairement de l’interaction et une rétroaction, rappelle M. Simard.

 

Quelques chaînes inspirantes

À cet effet, M. Simard renvoie à la chaîne Youtube Le roi des rats qui démarque divers mésinfluenceurs. La chaîne Hygiène mentale, quant à elle, éduque les gens à l’esprit critique. Pour M. Simard, ce type de chaîne a une réelle portée de qualité. Il en va de même pour la chaine de Mr Sam, qui propose des capsules sur la pensée critique et le fact checking.

 

Laïna Benjamin, coach relationnel certifié et bachelière en psychologie, a fondé PsychoLaïgy afin de partager aux internautes ses connaissances sur la psychologie. (Crédit photo : Laïna Benjamin/Instagram)

 

Laïna Benjamin est coach relationnel certifiée et bachelière en psychologie à l’Université McGill. Elle a fondé PsychoLaïgy, une plateforme qui regroupe principalement un site internet, une page Facebook et un compte Instagram. Le projet est né de son désir de faire partager les connaissances acquises au fil de ses études en psychologie.

De son côté, la thérapeute californienne Lisa Olivera est l’une des pionnières parmi les influenceurs du mieux-être. Originaire des États-Unis, elle a créé son compte en novembre 2017 alors qu’elle démarrait sa pratique privée. Aujourd’hui, elle rejoint 308 000 abonnés sur Instagram.

 

La thérapeute Lisa Olivera partage depuis plusieurs années ses réflexions sur ses plateformes, dont Instagram. (Crédit photo : Lisa Olivera/Instagram)

 

Ce type de contenu mieux-être vise donc à démystifier, vulgariser et normaliser la psychologie, ainsi qu’à inciter les gens à poursuivre leur démarche et à consulter dans la vraie vie. Ailleurs, dès 2018, certains influenceurs ont commencé à s’ouvrir sur des sujets tels que la santé mentale, l’anorexie ou les complexes corporels. C’est alors que les hashtags #bodypositive ou #nofilter sont nés.

Aux États-Unis, l’American Psychological Association a indiqué qu’elle élabore présentement des directives officielles concernant l’usage des réseaux sociaux par des psychologues. L’évolution du dossier, pour ce qui est des juridictions canadiennes et québécoises, est donc à suivre de près.