On les croise souvent à l’entrée des soirées étudiantes et sur le chemin de l’université, dans leurs voitures blanches et rouges. Ils font partie de la vie universitaire, mais pourtant on ne connait pas grand-chose de leur rôle. Discrets, les agents de sécurité de l’Université Laval ont pourtant beaucoup à faire, comme en cette soirée de fin octobre durant laquelle nous les avons accompagnés dans leurs interventions .

Il est 21 h 30 lorsque débute le travail des agents de nuit, chargés de la sécurité à l’Université Laval. Pas moins de quatre partys d’Halloween ont lieu sur le campus, ce soir du 24 octobre, sans compter les clients du Pub Universitaire qui, lui, a son propre service de sécurité. Une quinzaine d’agents du SSP (Service de sécurité et de prévention) ont donc été mobilisés en prévision de la soirée, épaulés par une autre quinzaine d’agents d’une entreprise extérieure, appelés en renfort vu les effectifs étudiants attendus ce soir. Plus de 2 000 personnes sont attendues. Il y a donc de vrais risques de débordements.

 

La soirée commence par un rapide tour de contrôle sur le lieux de chacun des évènements. Martin Curodeau, superviseur aux opérations du SSP, vérifie que ses collègues sont bien installés sur leur pavillon et donne les dernières consignes spécifiques à la soirée. Tout est encore calme, les organisateurs peaufinent les derniers préparatifs et seuls quelques étudiants pressés de participer aux festivés patientent déjà pour entrer.

Martin Curodeau, qui travaille depuis 30 ans dans le domaine de la sécurité, reprend son véhicule de fonction, en direction du pavillon Ernest-Lemieux où se trouvent les locaux de la SSP, pour sa troisième réunion quotidienne à 23 h. « Nous avons trois préoccupations ce soir », explique-t-il sur le chemin. « La capacité des salles, qui ne doit pas être dépassée, la présence de mineurs et les gens qui boivent trop d’alcool ». Car le plus grand « fléau » de ces soirées étudiantes est « la consommation de stupéfiants et d’alcool », explique-t-il.

22 h 30. Un petit tour par « la centrale » où trois agents répondent aux appels téléphoniques tout en surveillant les images filmées par les caméras de surveillance sur les nombreux écrans de télévisions qui se tiennent devant eux. Un travail titanesque, surtout lors de soirées chargées comme celle-ci. « On répond vraiment à des appels très différents », raconte l’un des agents. « Cela va de la demande d’informations à la perte de clés, en passant par un arrêt cardiaque ou encore un problème à la machine à péage. »

 

 

Quelques minutes plus tard, Martin Curodeau est rejoint dans son bureau par quatre collègues pour débriefer de la journée passée. Un cinquième arrive et dépose sur la table des pistolets en plastique, une fausse mitraillette et une imitation de machette qui correspondent à la récolte de la soirée : les armes factices sont interdites sur le campus, même pour des soirées d’Halloween. Entre quelques échanges d’anecdotes comiques sur la journée, leur supérieur leur fait part des dossiers qu’il a eu à traiter aujourd’hui, avant de rappeler la procédure pour expulser une personne saoule. « C’est aussi important de rire entre collègues, de souffler pendant cette réunion », souligne M. Curodeau. Il ajoute qu’au cours de leurs interventions passées « certains agents ont été confrontés à des tentatives de suicides, à des accidents de la route, et des moments comme ceux-là permettent de relâcher la pression ». Lorsque la petite équipe se sépare, il est 23 h 30 et les soirées étudiantes sont bien commencées.

Le pic de travail des agents : aux alentours de minuit.

Premier arrêt, le pavillon Comtois où près de 1 800 personnes ont dit être intéressées sur Facebook par le party de la Barak, organisé par le Salon des communications, alors que la salle ne peut accueillir que 400 personnes. La sécurité est donc concentrée sur ce bâtiment. M. Curodeau vérifie auprès de son équipe que tout se passe correctement. La file d’attente est longue mais tout semble bien se dérouler. Pourtant, le calme est de courte durée : le superviseur aux opérations est appelé à la sortie du Pub Universitaire. Deux de ses collègues ont mis dehors un jeune homme déguisé, mais celui-ci refuse de partir et s’amuse de la situation.

À son tour, le superviseur aux opérations tente d’un ton ferme de convaincre l’étudiant de quitter les lieux. « Si elles [les personnes expulsées] habitent dans les résidences, on les raccompagne », explique M. Curodeau. Mais le jeune homme ne semble pas non plus vouloir lui dire où est-ce qu’il loge, ni même aux deux autres étudiants qui l’accompagnent.

Mais Martin Curodeau ne peut pas s’attarder : il doit se rendre au pavillon Alexandre Vachon où une ambulance a été appelée pour un étudiant trop alcoolisé. Il est presque minuit lorsque le superviseur aux opérations rejoint deux autres membres de son équipe à côté des toilettes du Vachon où l’étudiant rend son alcool. « Plus il y a du monde aux partys, plus les problèmes sont susceptibles de commencer tôt », souligne M. Curodeau.

Mais les trois collègues ne vont pas s’éterniser. Quelques minutes après avoir fini de vomir, l’étudiant se lève pour s’en aller malgré les recommandations des agents. Il ne veut pas attendre l’ambulance et s’en va en leur souhaitant une bonne soirée. Il s’agit d’une attitude plutôt rare mais que M. Curodeau et ses collègues doivent respecter : « on a annulé l’ambulance car on ne peut pas le forcer à partir avec eux. Il ne voulait rien savoir et il était plutôt cohérent dans ses propos, donc on l’a laissé s’en aller ».

Même avec une bonne organisation,  il y a toujours des difficultés à appréhender lors de ce genre de soirées, comme l’explique Martin Curodeau.

Sans perdre de temps, Martin Curodeau retourne à sa voiture, direction le pavillon Desjardins. Il a reçu l’appel d’une des organisatrices de la soirée du Grand Salon au Pollack : deux personnes, une d’entre elles déguisée en sorcier, tentent d’ouvrir des portes fermées au troisième étage. Mais à son arrivée, les deux étudiants ont déjà quitté les lieux.

À l’entrée du pavillon, l’étudiant exclu plus tôt dans la soirée n’a toujours pas bougé. Cette fois, le superviseur aux opérations doit intervenir. « J’ai quatre soirées à gérer avec 2 000 personnes sur le campus, je n’ai pas le temps de m’occuper des gars comme toi. Alors tu rentres chez toi à pied ou en taxi, tu te fais raccompagner, mais tu quittes les lieux sinon c’est la police qui vient te chercher », le prévient-il sans broncher. Mécontent, l’étudiant proteste, mais finit par s’en aller.

« Il doit sûrement nous trouver caves, mais il ne comprend pas les enjeux auxquels nous faisons face actuellement », commente M. Curodeau. Comme l’explique l’un de ses collègues, Jean-Michel Gonthier, chargé de surveillance au pavillon Albitibi-Price ce soir-là, « les étudiants sont plutôt sympathiques » avec eux en général, « mais en fin de soirée, les comportements deviennent plus hostiles. » « On essaie d’avoir une approche bienveillante, on doit s’adapter », conclut-il.

Martin Curodeau, superviseur chargé aux opérations.
Depuis trente ans qu’il travaille dans la sécurité, Martin Curodeau occupe aujourd’hui le poste de superviseur aux opérations à l’Université Laval depuis huit mois. Élise Gilles/Université Laval.

Il faut d’ailleurs savoir que les agents ne sont équipés que d’une paire de menottes et ne sont pas armés. « On n’a pas l’autorité de la police », explique Martin Curodeau. « On utilise la force uniquement en cas de force majeure pour exclure quelqu’un du campus, mais le plus souvent on appelle la police si ça dégénère. »

00h 30. M. Curodeau repart pour une patrouille en voiture sur le campus. Il vérifie notamment que des étudiants ne sont pas couchés sous des arbres ou dans des buissons, trop saouls pour se relever et cachés de la vue des autres étudiants. Il passe également à proximité du pavillon Pouliot où la sécurité a été renforcée : il y a un mois de cela, plusieurs étudiants, lassés d’attendre dans la file pour entrer à une soirée, sont entrés par les fenêtres ouvertes de la cafétéria, en en cassant une au passage. La situation s’est un peu calmée. « Quatre partys en même temps, c’est vraiment beaucoup », juge M. Curodeau. « On ne veut pas limiter les soirées car ça fait partie de la vie étudiante, mais en organiser moins au même moment permettrait de limiter les dégâts, de permettre aux agents de moins courir partout. »

Martin Curodeau dans le sous-sol du pavillon Vachon à 'lUniversité Laval.
C’est dans le sous-sol du pavillon Vachon que les deux étudiants recherchés ont d’abord été aperçus. Élise Gilles/Université Laval.

Vers une heure du matin, alors que Martin Curodeau effectue un contrôle au pavillon Pouliot, il reçoit un message d’un de ses collègues : la centrale a identifié les deux étudiants qui tentaient de s’introduire dans les pièces fermées du Pavillon Pollack, grâce aux caméras de sécurité. Ils ont été aperçus au pavillon Vachon il y a quelques minutes et se dirigent vers Pouliot. Mais les photos des deux étudiants ne chargent pas sur son cellulaire.

Le superviseur aux opérations se lance alors dans une course poursuite selon la description que son collègue lui a fait au téléphone, mais les deux étudiants lui échappent. Quelques minutes plus tard, il finit par en intercepter un. Après avoir été identifié, l’étudiant doit maintenant attendre la police qui se chargera de l’affaire. La soirée se terminera pour les agents de la SSP aux alentours de 3 h du matin, après avoir géré d’autres étudiants alcoolisés et retranscrit toutes leurs interventions dans les fichiers du service de sécurité.