Le milieu des distilleries est en pleine expansion depuis l’assouplissement de la loi sur les distilleries au Québec en 2018. Plusieurs producteurs décident de débuter leur propre projet et les Québécois ont maintenant accès à un grand nombre de spiritueux locaux.  Plusieurs facteurs vont expliquer cette multiplication de distilleries sur le territoire Québécois.

« Au niveau des ventes de spiritueux au Québec, on est entre 4 et 6% d’expansion chaque année. C’est quand même un chiffre énorme au niveau de la SAQ. Les chiffres sont pas mal tous stables excepté les spiritueux québécois » explique Jonathan Chrétien, cofondateur de la Distillerie Stadaconé à Limoilou.

Il y a 5 ans, une seule entreprise au Québec avait le permis permettant de distiller son propre gin explique Geneviève Vézina, coéditrice et corédactrice du magazine culinaire Caribou. Ils étaient donc les seuls sur le marché. Selon celle-ci, il était beaucoup plus difficile auparavant d’obtenir le permis du gouvernement permettant de produire ses propres spiritueux. La réglementation s’est ensuite assouplie à l’été 2018, donnant ainsi la possibilité aux producteurs de créer leur propre produit distillé personnalisé et de vendre la production sur place.

« Au niveau légal, c’est beaucoup plus facile d’ouvrir une distillerie. C’est pour cette raison que beaucoup de gens qui n’ont pas d’expérience dans le domaine vont se lancer dans un tel projet », exprime Jonathan Chrétien de la Distillerie Stadaconé.

Les produits locaux attirent d’ailleurs les Québécois qui sont plus tentés d’acheter un produit de la province que celui provenant d’ailleurs, ajoute Vézina, et ce pour plusieurs raisons Tout d’abord, cela fait rouler l’économie du Québec : en achetant une bouteille d’alcool produit au Québec, c’est de l’argent qui reste sur le territoire. De plus, cela met en valeur les produits québécois dits boréaux et cela met en valeur le savoir-faire du Québec. Il y a une grande variété de produits déjà présents sur le marché explique-t-elle.

« Un avantage de boire local, c’est aussi de goûter au terroir de sa région », exprime madame Vézina.

Selon Maurice Doyon, directeur du département d’économie agroalimentaire et des sciences de la consommation à l’Université Laval, les consommateurs sont de plus en plus curieux et conscients de leurs pratiques d’alimentation au Québec, notamment en raison de la hausse du revenu en général. Selon ses travaux, la part de l’alimentation dans le budget reste faible pour la majorité des gens, soit environ 12% du budget total.

« Le local compte alors pour beaucoup, mais la qualité et la disponibilité des produits également. Il y a une fierté à boire un alcool local qui capture souvent des caractéristiques régionales et qui sont souvent de très haute qualité », remarque Maurice Doyon.

En effet, chaque distillerie propose des produits personnalisés. Chaque spiritueux se diffère des autres par ses aromates et les techniques utilisées lors de sa production. Par exemple, la Distillerie du Fjord offre un gin nommé Km12 élaboré à partir des aromates du Lac-Saint-Jean. De son côté, « La Distillerie secrète en Gaspésie distille elle-même leur alcool ce qui donne une qualité encore plus élevée parce qu’ils distillent de base leur produit », explique la coéditrice et corédactrice du magazine Caribou.

« J’ai l’impression que toutes les régions ont décidé d’aromatiser leur gin avec des aromates que les producteurs trouvaient dans leur coin de pays », ajoute Geneviève Vézina.

De cette façon, comme l’exprime cette dernière, chaque québécois peut se retrouver dans un gin.

L’exemple de la Distillerie Stadaconé

La Distillerie Stadaconé située à Limoilou est partie de l’idée de réaliser un rêve. Les trois fondateurs, Jean-Pierre Allard, Alexandre Thomas et Jonathan Chrétien, ont débuté le projet il y a un an :la distillerie, qui a ouvert en juin 2019, cherche à faire vivre une expérience à ses visiteurs, notamment en leur proposant de visiter les installations de la distillerie et de participer à d’autres activités.

Le gin Bleu, le gin Rouge et le gin Noir de la Distillerie Stadaconé comportent des arômes québécois visant différents types de clientèles. (Crédit photo : Anne-Frédérique Tremblay)

La visite commence avec un jeu d’évasion qui embarque les visiteurs dans une situation réelle historique du Québec présentant la rencontre de Jacques Cartier avec le village de Stadaconé.Elle se poursuit ensuite par une dégustation de leurs trois variétés de gins.  « On a vraiment maximisé notre coin dégustation, on a fait un bar en forme de bateau pour vraiment avoir une expérience derrière les dégustations à la distillerie. De plus en plus de monde vont tenter de créer une expérience et on voulait être les premiers à le faire », explique Jonathan Chrétien, cofondateur de la distillerie.

 

Se lancer dans un tel projet nécessite toutefois beaucoup d’énergie et il faut être prêt à faire face aux imprévus, ajoute Jonathan Chrétien. Ainsi, le montant à débourser pour construire la distillerie a doublé par rapport au budget de départ en raison des travaux. De plus, puisque les processus légaux du projet étaient déjà entamés, il leur était difficile de retourner en arrière. Les trois propriétaires ont donc dû poser de nouvelles actions pour compenser cet imprévu.

« Ça a vraiment été un défi et un moment critique où le chantier commençait à 6h du matin et finissait à minuit le soir, 7 jours sur 7. Physiquement on était tous exténués. En plus, nous avions le stress de ne pas pouvoir partir le projet », se souvient le cofondateur.

 Un mouvement comparable à celui des microbrasseries?

Selon Jonathan Chrétien de Stadaconé, le mouvement d’expansion des microbrasseries et le mouvement actuel des distilleries au Québec se ressemblent. Toutefois, il pense que ce ne sera pas pareil puisqu’il existe trop de différences au niveau légal.  Tout d’abord, l’obtention de l’autorisation de production d’un spiritueux requiert beaucoup d’étapes pour qu’il soit accepté en comparaison avec la bière. L’acceptation d’un gin par la SAQ peut prendre de 3 à 4 mois. « Au niveau légal, agencer la nourriture avec une distillerie ce n’est pas possible. C’est deux permis trop différents », ajoute le cofondateur. Cela peut restreindre le nombre de modèles d’affaires possible à exploiter.

Selon celui-ci, la plupart du temps les microbrasseries détiennent un restaurant leur permettant d’avoir deux modèles d’affaires : si un des marchés est en difficulté, les propriétaires peuvent s’appuyer sur l’autre modèle. Pour la Distillerie Stadaconé, les propriétaires ont cherché à s’aider avec le modèle d’affaires du jeu d’évasion qui peut attirer une certaine clientèle.

L’avenir des distilleries

Geneviève Vézina, coéditrice et corédactrice du magazine Caribou pense que le marché des spiritueux locaux va finir par saturer et qu’il est déjà possible de le percevoir.  « La plupart n’offrent pas juste du gin, la plupart offrent d’autres produits. Alors je pense qu’ils n’auront pas le choix d’offrir d’autres types de spiritueux pour varier un peu leur offre », explique-t-elle. Celle-ci pense d’ailleurs qu’il sera difficile pour les nouvelles distilleries de rester sur le marché puisqu’il sera difficile de rajouter tous les nouveaux gins québécois sur les tablettes de la SAQ.

La préparation d’un présentoir des bouteilles de gin de la Distillerie Stadaconé pour des démonstrations. (Crédit photo : Anne-Frédérique Tremblay)

Pour ce qui en est de la région de Québec, Jonathan Chrétien pense qu’il reste encore de place sur le marché pour de nouveaux produits. Selon lui, les gens ne sont pas encore habitués à la présence de spiritueux québécois. « Souvent les gens ont l’idée que le marché est saturé et qu’il y en a beaucoup. Oui il y en a beaucoup, parce que toutes les distilleries québécoises sont sur le marché, mais il reste des possibilités. », exprime-t-il.