Depuis plus d’un an, la pandémie de la Covid-19 met en lumière les problèmes récurrents du système de santé au Québec. Du manque de matériel aux temps supplémentaire obligatoire (TSO) pour les infirmières, la crise sanitaire vient ajouter un engorgement jamais vu dans les hôpitaux. Clémence Dallaire, professeure en sciences infirmières à l’Université Laval, affirme que le système de santé est surchargé et qu’un retour à la normale des opérations n’est pas attendu de sitôt.

Professeure spécialisée dans l’organisation et la gestion des soins infirmiers, Clémence Dallaire explique que le problème du manque de mains d’œuvre est au centre de la crise du système de santé, pandémie ou pas. Il y a toujours eu des postes de service à combler, affirme-t-elle, même avant la crise sanitaire. Les temps supplémentaires obligatoires (TSO), soit des prolongations de quart de travail sans préavis, ont donc toujours été présents. Selon elle, plusieurs infirmières choisissent alors de travailler à temps partiel, parce que la rigidité des conventions collectives rend difficile les options de modification d’horaire.

« Faire du temps supplémentaire est inévitable en tant qu’infirmière au Québec, alors les filles préfèrent être à temps partiel et combler leurs heures avec des TSO, que d’être à temps plein et de s’ajouter des heures en plus. » – Clémence Dallaire

Avec la pandémie de la Covid-19, le manque de personnel à temps plein devient plus flagrant, incitant le gouvernement à recourir à des décrets ministériels pour combler les trous. Madame Dallaire affirme que, en plus de la pression psychologique qui accompagne la pandémie pour les travailleuses du milieu de la santé, des horaires très chargés s’y ajoutent, ce qui épuise physiquement et mentalement le personnel.

« Il y a des mères de famille qui ont des enfants et des responsabilités hors de leur travail. Faire des doubles tout le temps, c’est pas facile. » – Clémence Dallaire

Aussi, la professeure ajoute que la pandémie a également forcé une réassignation importante des infirmières. Suivant l’ordre d’ancienneté, de nouvelles infirmières spécialisées dans un département ont été rapidement formées et assignées à un autre département, explique-t-elle. Elle affirme que ces infirmières sortent d’un « créneau de pratique extrême étroit » et le déplacement dans un nouveau département doit être très difficile pour elles. Cette situation, ainsi que la surutilisation des infirmières en temps de pandémie, peuvent expliquer pourquoi des infirmières auraient quitté le secteur public pour se tourner vers des agences, estime la spécialiste.  

Les enjeux centraux

Pour Frédéricke Séguin, infirmière aux soins intensifs à la Cité-de-la-Santé à Laval, la Covid a contribué à montrer à tout le monde de « façon exponentielle » le problème de déséquilibre du système de la santé. Elle affirme que, dans la région du Grand Montréal, le système est arrivé au bout de ce qu’il est capable d’offrir, puisqu’il n’y a pas assez de personnel qualifié pour le nombre de patients. Selon elle, les établissements sont vétustes en raison des coupures budgétaires qu’a connu le secteur de la santé au cours des dernières années.

« Avec la Covid, on réalise que les hôpitaux sont en piteux état. Il a fallu réaménager les départements pour isoler la zone rouge [de l’hôpital] », affirme Frédéricke Séguin (Photo de courtoisie : Frédéricke Séguin)

« Ce qu’on déplore c’est que les quotas déterminés par le gouvernement sont dangereux. Avec six ou sept patients par infirmière, il y a des risques que tu sois absente pour une situation et que le patient en paie le prix. » – Frédéricke Séguin

L’infirmière annonce qu’un soutien psychologique est maintenant offert par l’hôpital, pour soutenir le personnel. Toutefois, du côté gouvernemental elle ne perçoit pas d’intervention positive. Elle explique que c’est justement la raison pour laquelle les infirmières de l’hôpital de Laval ont lancé une pétition, le 13 février 2021, demandant à ne pas payer leur permis de pratique à l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ). Pour Frédéricke Séguin, l’objectif est d’inciter une réaction de la part du gouvernement afin de faire « bouger les choses » puisque ça fait un an que les infirmières du Québec travaillent sans convention collective.

« C’est pas qu’on veut pas payer, c’est pas juste une question d’argent. C’est tout simplement qu’on veut un geste de reconnaissance et de gratitude concret de la part du gouvernement. » – Frédéricke Séguin

Aucune réponse publique de l’OIIQ n’a été faite à cette pétition qui a récolté plus de 86 000 signatures. Comme plusieurs autres infirmières, Madame Séguin s’est résignée et a payé son permis avant la date limite du 15 mars 2021, sans quoi elle n’aurait pas eu le droit de pratiquer légalement.

Le délestage, dans ce cas-ci l’action de congédier un employé d’un département moins achalandé en raison de la Covid, est une des répercussions courantes de la pandémie, selon Clémence Dallaire. C’est le cas de Justine (prénom fictif), une infirmière qui a travaillé au département de pédiatrie à l’hôpital Sainte-Justine à Montréal pendant trois ans avant d’être délestée et, ensuite, assignée au CHSLD Idola-Saint-Jean. Puisqu’il y avait un fort manque de personnel dans ce centre d’hébergement de soins de longue durée, la jeune infirmière s’est retrouvée seule responsable de la gestion d’un étage de 26 résidents positifs à la Covid-19. Elle raconte que sa situation ne sort pas du lot ce qui illustre le manque de main d’œuvre qualifiée que connaît le système.

Un système de santé moins engorgé à Rimouski

Pour Lydia Méthot, infirmière à l’hôpital Mont-Joli à Rimouski, la situation dans les régions est moins problématique que celle des régions métropolitaines. Elle affirme que le manque de matériel n’est pas un problème dans son hôpital qui connaissait même des surplus qui devaient être jetés avant le début de la pandémie. Pour pallier le manque de personnel, elle explique que les régions font principalement affaire avec des agences de soins, soit des agences privées qui engagent des infirmières à la grandeur de la province et qui les assignent à des postes en régions pour combler les manquent.

Toutefois, ayant travaillé avec des préposés aux bénéficiaires qui sortaient du programme de formation intensif JeContribue, mis en place par le gouvernement l’été dernier, Lydia Méthot s’interroge sur le niveau de cette formation de trois mois. Celle-ci a permis de former plus de 6000 préposés pour prêter main forte au système. Selon l’infirmière, c’est un « casse-tête » travailler avec ses personnes nouvellement embauchées. Elle critique la rapidité de cette formation :

« C’est une main d’œuvre bien vaillante, mais ça ne prend pas trois mois pour être un bon travailleur de la santé. » – Lydia Méthot