Une étude publiée par le Directeur général des élections du Québec (DGEQ) en 2012 fait un constat « lourd et profond » de la participation politique des 18-35 ans au Québec : le taux de participation a chuté d’environ 35 % en quelques décennies. Pourtant, sur le terrain, Frédérique St-Jean, militante au Parti québécois, incarne la tendance inverse. La femme de 25 ans croit qu’il existe une place importante pour les jeunes en politique et qu’il n’en revient qu’à eux de la saisir.

Militante depuis la grève étudiante de 2012, l’actuelle candidate à la présidence du Comité nationale des jeunes du Parti Québécois (CNJPQ) estime que sa génération est politisée, mais qu’elle exerce sa participation de façon différente. « On est engagé, dans le sens où nous sommes intéressés, mais on n’est pas politisé avec la dynamique partisane, ça nous intéresse moins. On choisit un peu plus des causes, plus que d’adhérer à une ligne de parti qui ne te convient pas parfaitement », croit-elle.

Le mouvement étudiant de 2012 est un bel exemple, selon elle. « En 2012, ce n’était pas pour 1500 $ de plus par année de frais de scolarité, c’était parce qu’on voulait un mouvement social vers un projet de société. Il faut donner espoir que la politique, ça peut être ça », affirme Frédérique St-Jean.

 

La délégation de la CLASSE passe au viaduc Berri, à Montréal, lors de la manifestation étudiante du 22 mai 2012.
Crédit photo : Justin Ling

 

La situation actuelle au Canada

Selon l’étude du Directeur général des élections du Québec (DGEQ), il est difficile de faire un constat clair de la situation québécoise considérant que « très peu de textes scientifiques ont été écrits à propos de scrutin québécois durant la période de temps de 1990 à 2005. »

Le rapport illustre la participation électorale des 18-35 ans aux élections fédérales de 1965 à celle de 2004.

Pourcentage de votes des 18-35 ans lors des élections fédérales de 1965 à 2004

Données : Étude, La diminution de la participation
électorale des jeunes Québécois, DGEQ, 2012

 

Toutefois, d’après des données d’Élections Canada, la dernière élection fédérale de 2015 semble trahir la tendance des dernières décennies. Comme l’illustre la carte ci-dessous, basée sur les données d’Élections Canada, le taux de participation des 18-24 ans a augmenté considérablement partout au Canada.

Données : Élections Canada

Pour Marc-André Bodet, professeur au département de science politique à l’Université Laval, il est vrai que les jeunes sont moins actifs au Québec et au Canada. Par contre, il affirme qu’ils votent davantage que dans bien d’autres démocraties.

La tendance à long terme est néanmoins préoccupante selon l’expert. « Chaque cohorte semble être moins active que la cohorte précédente, même en vieillissant. Ce qui fait que les 18-30 ans d’aujourd’hui sont moins actifs que les baby-boomers au même âge et ça c’est inquiétant. »

Marc-André Bodet, professeur de science politique à l’Université Laval.
Crédit photo : Frédérick Durand

 

Ailleurs dans le monde

Le phénomène est-il mondial, quels sont les pays qui réussissent le mieux ? Marc-André Bodet répond à la question :

 

 

Des causes variées

L’expert en études électorales explique le phénomène par quelques théories bien étudiées dans la littérature scientifique. D’abord, plusieurs études ont démontré que les jeunes d’aujourd’hui seraient plus individualistes que par le passé. « L’idée d’un projet de société national ou régional aurait un peu disparu. C’est une thèse que je trouve un peu pessimiste et qui noircit le tableau par rapport aux plus jeunes, mais elle est clairement dans la littérature », évalue Marc-André Bodet.

La seconde théorie serait que les jeunes sont davantage intéressés à se mobiliser sur des causes spécifiques comme l’environnement ou le féminisme. Par contre, ça demeure très ponctuel, confirme l’expert de l’Université Laval.

 

 

De son côté, Frédérique St-Jean témoigne qu’il existe aussi un cynisme des jeunes envers la politique. « Il y a une frustration qui est présente », croit-elle. Un argument partagé par Simon Telles, président de l’Union étudiante du Québec (UEQ) en 2017-2018.

À la suite de nombreuses rencontres lors de son année à la tête de l’UEQ, en 2017-18, il relate aussi un fort cynisme face à la politique. « La façon que la politique s’est faite dans les dernières années, ça décourage beaucoup de gens. Les partis doivent laisser les idéaux de côté, parfois, pour travailler ensemble », souligne-t-il.

Pour Simon Telles, le constat semble tout de même plus sombre. « Il y a un manque d’intérêt certainement, un manque d’éducation politique aussi. Je pense que les gens sont pris par leur routine », dit-il en témoignant que lorsqu’on sort du milieu associatif des campus universitaires, la majorité des étudiants sont « déconnectés par rapport à ce qui se passe. »

Des solutions toujours envisageables 

Si la tendance se maintient, le système démocratique dans sa forme actuelle pourrait être en danger, avance Marc-André Bodet.

« À mesure que les partis perdent leurs membres, ça devient des organisations qui sont moins représentatives d’une population plus large, de moins en moins en santé puis, ils perdent une légitimité qui est super importante. »

-Marc-André Bodet

 

Ramener les jeunes en politique, c’est l’un des combats que Frédérique St-Jean veut mener à la barre du CNJPQ. Elle croit que pour attirer les jeunes vers les partis, il faut discuter d’enjeux et de dossiers qui les intéressent et que ces derniers soient aussi portés par des gens de leur génération. À ses yeux, plusieurs dossiers sont primordiaux pour rejoindre les jeunes électeurs :

  • La rémunération des stages
  • La santé mentale des étudiantes et étudiants
  • De meilleures conditions de salaires en entrant dans le milieu de travail
  • L’environnement

« Je pense qu’au-delà de ça, il faut que la politique devienne plus qu’une question d’administration, tant que ça va rester une question d’administration, je pense que ça ne nous intéressera pas. »

-Frédérique St-Jean

Fort de ses implications étudiantes, Simon Telles mise aussi sur une meilleure éducation politique et d’implication, une solution à long terme, dit-il. « C’est de rapidement inculquer des valeurs d’engagement et d’implication aux jeunes du primaire. Ça va les suivre », croit-il.

Marc-André Bodet croit pour sa part que les partis doivent remobiliser les jeunes, mais d’une façon innovante. « Mon impression, c’est que pour le faire, il ne faut plus demander aux jeunes d’aller poser des pancartes, de faire des appels », avance Marc-André Bodet. Il parle plutôt de militantisme d’expertise. Une participation basée sur les connaissances et les forces de chacun, explique-t-il, « où ils peuvent apporter aux partis politiques une expertise propre à leur identité. »