Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de sans-domiciles fixes assoupis sous les porches des édifices de Québec que l’itinérance n’est pas une réalité locale préoccupante. À Québec, des individus de tous âges n’ont que pour seul refuge les organismes communautaires de la ville. Bien que leur précarité soit moins exposée qu’à Montréal, les sans-abris de la Vieille-Capitale peuvent compter sur plus de 200 lits de dernier recours situés dans de nombreux organismes communautaires. Portrait d’une itinérance aux multiples visages et des organismes qui en font leur mission première.

Surtout concentrées dans le quartier Saint-Roch, en Basse-Ville, les ressources d’hébergement d’urgence ou à plus long terme sont destinées à toute personne dont les besoins de base sont susceptibles de ne pas être comblés. La carte ci-dessous illustre la localisation et la vocation de ces organismes.



Des profils variés 

Thomas Fréchette est intervenant et agent de liaison à l’Hôtellerie pour hommes de l’Armée du Salut à Québec, un refuge offrant plus de 58 lits. Depuis six ans, l’intervenant côtoie étroitement le quotidien des itinérants. Pour lui, il n’existe pas de portrait-type lié à l’éventualité de se retrouver dans la rue.

Il n’existe aucune procédure pour le moment pour recenser les itinérants dans la ville de Québec. Les dernières données datent de 1996-1997. Ces données révèlent que, pendant une période de 12 mois, 11 295 personnes ont fréquenté une ressource pour personne en situation d’itinérance et que 3 589 personnes ont été sans domicile fixe.

Le rapport « L’itinérance au Québec : premier portrait » produit par le ministère de la Santé et des Services sociaux en 2014 indique le taux d’occupation des lits d’urgence et de transition au Québec, mais aussi plus spécifiquement dans la région de la Capitale-Nationale. Le rapport expose également les caractéristiques démographiques de base (âge et sexe) des gens qui ont fréquenté ces ressources au cours des 12 derniers mois. Par contre, aucun dénombrement officiel n’a été réalisé.

À Québec, les personnes ayant eu recours à de l’hébergement d’urgence et à de l’hébergement de transition sont plus fréquemment des hommes âgés de 45 à 55 ans.

Le gouvernement de Justin Trudeau a annoncé en janvier 2016 son intention de procéder à un dénombrement biennal des itinérants. En ce sens, un dénombrement pan-canadien a été réalisé en avril 2016. Aucune donnée n’a toutefois été recueillie pour le Québec.

Des adolescents et la rue

Marie-Soleil Bruyère est directrice adjointe au Squat Basse-Ville. 24 heures sur 24, sept jours sur sept, le Squat accueille « avec beaucoup d’amour » ajoute-t-elle, des adolescents de 12 à 17 ans en fugue, en situation d’itinérance ou d’errance. L’an dernier, 91 adolescents ont eu recours aux divers services offerts par l’équipe de l’organisme aux locaux colorés.

Le Squat Basse-Ville possède aussi 17 logements supervisés destinés à favoriser l’autonomie et l’indépendance de jeunes entre 18 et 25 ans. Pour Marie-Soleil Bruyère, l’ignorance de la population face aux réalités vécues par ces jeunes en difficulté leur est nocive. Selon la directrice adjointe, la méconnaissance du phénomène des jeunes de la rue par la population de Québec contribue à leur stigmatisation.

Elle défie tout citoyen qui entretient des préjugés envers ces jeunes de venir passer un peu de temps avec eux afin de prendre connaissance de leur cheminement et des difficultés auxquelles ils sont confrontés. Selon elle, cette rencontre permettrait de briser les idées préconçues qui sont véhiculées dans la société et de mieux comprendre les besoins de ces jeunes.

Changements sociaux  

Martin Payeur est directeur de la Maison Revivre. Il y agit en tant qu’intervenant depuis maintenant 25 ans. L’organisme fonctionne essentiellement par les dons de la communauté et l’implication de ses bénévoles.

Le directeur soutient que la plupart des résidents souffrent de problèmes de santé mentale, ce qu’il n’observait pas au début de sa carrière d’aidant. Pour lui, il apparaît clair que la société québécoise bénéficierait d’un investissement massif dans la recherche, le traitement et la prévention de la maladie mentale. « La désinstitutionalisation a alimenté le fléau de la maladie mentale dans la rue », ajoute-t-il.

Selon lui, le Québec devrait considérer la maladie mentale comme un enjeu de santé primordial. Cela permettrait de diminuer la détresse psychologique de plusieurs individus et de préserver l’autonomie des personnes qui en sont atteintes.

De gauche à droite : Benoit, résident et chef cuisinier à temps plein à la Maison Revivre, accompagné de Martin Payeur, directeur général. (Crédit photo : Samuel Lessard )

Avec le sourire, il ajoute qu’un autre changement notable est l’ouverture d’esprit des sans-abris envers les homosexuels. Il y a de cela un quart de siècle, un résident qui se déclarait homosexuel se voyait rejeté et intimidé par les autres. Aujourd’hui, il constate que l’orientation sexuelle n’est plus un handicap social pour celui qui réside dans la rue.

Des résultats concrets 

Les organismes communautaires, en partenariat avec le réseau public, ont su créer une offre de services qui donne des résultats positifs, comme en témoigne l’intervenant Thomas Fréchette.

Tous les organismes susmentionnés qui viennent en aide aux sans-abris à Québec sont associés au Regroupement pour l’aide aux itinérants et itinérantes de Québec (RAIIQ). Comme mentionné dans le Rapport sur l’itinérance publié par le gouvernement du Québec en 2008, les organismes communautaires « demeurent une grande richesse » dont « il est important de reconnaître l’apport ». Sans les 200 lits d’urgence détenus par ces organismes, plusieurs sans-abris de Québec n’auraient pour seul lit que le bitume.