Accepter de vieillir peut être difficile pour certains aînés qui voient leurs capacités physiques s’altérer. Parfois, cela peut même aller jusqu’à affecter leur état de santé mentale. En effet, une étude datant de 2004 réalisée par cinq spécialistes estimait qu’entre 20 et 25% des plus de 65 ans étaient atteints de problèmes de santé mentale. L’Exemplaire a interrogé une experte, une infirmière et deux personnes âgées sur les causes et symptômes de dépression chez les aînés, puis sur les solutions pour éviter la dépression.

« On imagine les personnes âgées tristes parce qu’elles sont vieilles, malades et en perte d’autonomie », pose d’emblée Bernadette Dallaire, professeure titulaire à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval et également codirectrice de l’Institut sur le vieillissement et la participation sociale des aînés. « En réalité, ce n’est pas le cas de la majorité des aînés ». Selon ses recherches, 80% des personnes âgées sont en bon état de santé mentale et même plus sereines que les personnes plus jeunes : « elles ont rencontré les défis de la vie, elles ont fait ce qu’elles voulaient faire, elles sont bien avec ce qu’elles ont accompli », décrit-elle au téléphone.

Une enquête de l’Institut de la statistique du Québec réalisée en 2012 vient confirmer ses propos : les personnes âgées de 45 à 64 ans sont plus nombreuses à avoir vécu un épisode dépressif au cours de leur vie que les 65 ans et plus (14% contre 8%). En revanche, de nouveaux facteurs de dépression apparaissent avec l’âge. En voici une explication en vidéo :

En centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD), « la santé mentale est surveillée au même titre que les dégradations de santé physique », souligne Kremena Stefanovska, infirmière clinicienne à l’Hôpital général de Québec. Elle travaille auprès des aînés depuis 13 ans maintenant. Très occupée, elle accepte une entrevue pendant sa pause déjeuner. Au deuxième étage de l’hôpital, elle s’active, elle parle à ses collègues et dépasse les aînés qui avancent bien moins vite qu’elle. Beaucoup sont en fauteuil roulant et peinent à se déplacer, certains jouent, d’autres discutent ou regardent la télévision dans la salle de jeux.

« Les aînés qui sont ici sont en perte d’autonomie et ont besoin de soins de longue durée. La plupart de nos résidents sont des personnes âgées avec des maladies chroniques et des démences. » Elle assure que les cas de dépression majeure sont rares, elle n’en voit se déclarer qu’« une fois par année même pas, pour les 64 résidents de mes étages ». Dans ces situations, les équipes doivent réagir vite. « On fait de la surveillance si on sait qu’une personne a des antécédents de dépression, on s’ajuste, on ajuste les médicaments, on surveille les signes et les symptômes. »

Situé dans l’arrondissement de La Cité–Limoilou, l’Hôpital général de Québec accueille les personnes âgées en perte d’autonomie.

Parmi ces signaux, on trouve notamment une tendance à s’isoler, une perte d’appétit ou des changements dans les habitudes de sommeil. « On est capable de réagir en ces moments-là et on travaille en équipe avec le médecin et les pharmaciens. On a des équipes en santé mentale aussi. Les cas où il y a des antécédents dépressifs sont suivis par un psychiatre tous les 6 mois ou chaque année pour voir s’il n’y a pas de rechute. Si besoin, notre médecin traitant peut appeler les psychiatres et ajuster les médicaments. » Ce système d’information sur les soins de longue durée est très utile : le personnel soignant a accès en temps réel à des renseignements qui facilitent le dépistage des problèmes et permet de planifier des soins plus adaptés.

Des équipes à l’écoute des aînés

Même si Kremena Stefanovska regrette manquer de temps, elle et ses équipes se rendent disponibles pour les patients : « Quand les idées deviennent noires, il faut les appuyer et être présent. Nous, on est sur place pour les écouter, les rassurer mais on a aussi plusieurs intervenants, dont un de soin spirituel qui permet d’apaiser les résidents « en soulageant leurs esprits ». Si on voit que la santé décline et qu’ils ont de la misère à s’adapter ou à accepter cela, on peut faire intervenir la personne. »

De son côté, Bernadette Dallaire, professeure à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval, appuie le fait que les CHSLD sont particuliers : « Ils sont à l’extrême de la perte d’autonomie et de l’espérance de vie : c’est le bout de ligne pour les aînés. Ils y vivent généralement entre 6 mois et 2 ans », contextualise-t-elle. Or, la perte d’autonomie a un gros impact sur la santé mentale.

« Parfois, ils entrent en détresse psychologique quand ils réalisent qu’ils sont en perte d’autonomie plus importante. Mais avec les années, les pertes cognitives et la démence augmentent en même temps que leur perte d’autonomie : ils ne réalisent plus spécialement qu’ils vont vivre ici jusqu’à la fin de leurs jours », raconte Kremena Stefanovska.

kremena stefanovska
« La plupart de nos patients sont stables en santé physique et aussi en santé mentale », soutient Kremena Stefanovska.

Le lien entre santé physique et mentale est très fort et peut former un cercle vicieux : plus la personne a du mal physiquement, plus elle va avoir des douleurs et des pensées noires qui vont faire qu’elle ne va plus sortir marcher, qu’elle va moins manger. Elle aura moins d’énergie et de volonté.

Mais pour réduire les risques d’isolement et encourager les aînés à rester actifs malgré le vieillissement, il existe plusieurs solutions :

Faire des activités

Certaines douleurs chroniques arrivant avec la vieillesse peuvent être difficiles à accepter. « Les petits bobos se sentent un peu, les douleurs sont plus fréquentes dans toutes sortes de petites affaires. C’est normal mais ça me dérange un peu, surtout l’arthrite dans mes doigts. Mais j’essaie de faire tout pareil. », témoigne Jacquelin Duchesne, un Chicoutimien de « 75 ans accomplis », encore en pleine forme.

Pour lui, la vieillesse se joue aussi dans la tête. Il ne se considère pas lui-même comme une personne âgée : « Je vois des gens qui ont le même âge qui sont beaucoup plus en difficulté que moi. Certains se disent « J’suis vieux, j’abandonne », c’est pas de même là. Moi, je me considère chanceux et pas vieillard encore », rigole-t-il.

En effet, sans en avoir l’air : entre la chasse, la pêche d’hiver et d’été, motoneige, chalet, Jacquelin et Katharina, sa femme, s’occupent bien. Pour lui, il n’était pas question de se laisser aller après sa retraite prise il y a cinq ans. « Il ne faut pas rester à rien faire, on ne travaille plus donc il faut faire d’autres choses. Je me dis que quand j’ai un projet, je le commence et je le finis. »

Jacquelin Duchesne et Katharina Dittrich voyagent beaucoup, « en Europe surtout ! Les deux dernières années, on est allé en Islande, en Belgique et en Allemagne », explique Jacquelin. Crédit : Louis-Charles Perreault

Cette mentalité, tous les aînés ne l’ont pas. « Le plus difficile, c’est quand les personnes âgées arrêtent de manger, on appelle ça le « syndrome de glissement ». Elles sont moins présentes jusqu’au point où elles arrêtent complètement de manger. Et on ne peut pas aller par force comme dans le temps quand on voit que la personne ne veut plus. », témoigne Kremena Stefanovska, infirmière spécialisée.

Choisir de rester chez soi…

« Quand l’état de santé se dégrade et que l’aîné devient moins mobile, il y a des risques amplifiés d’isolement. Or, l’isolement social a un impact très négatif sur la santé mentale », résume Bernadette Dallaire.

Rester chez soi est une option valable car cela permet de garder ses cercles proches : voisins, amis, activités et association. « Des personnes âgées y tiennent beaucoup, parfois contre l’avis de leurs proches. Il existe alors différentes stratégies : utiliser leurs ressources financières mais aussi leur réseau et les services publics pour rester le plus longtemps possible chez eux. Cela demande beaucoup d’énergie mais c’est un choix compréhensible », soutient Bernadette Dallaire. Comme 90% des plus de 65 ans, Jacquelin préfère cette option : « Je vis dans ma maison et je n’ai pas encore pensé au fait d’aller en résidence, pour le moment ça va très bien. Si je paralyse des deux jambes et des deux bras, on pensera à changer d’endroit », ajoute-t-il en riant.

…ou de déménager en résidence

Pour Renée Fournier, 83 ans, la situation est différente. Elle a quitté la maison dans laquelle elle vivait avec son mari depuis 42 ans : « On avait décidé d’aller en résidence car je voyais que mon mari était malade et je n’avais plus la force d’entretenir la maison, le terrain. Mon mari voulait lui rester à la maison mais il tombait et je n’avais pas la force de le relever. Toujours appeler les enfants ou l’ambulance, c’est compliqué. »

Renée Fournier, 83 ans
Renée Fournier a accepté le fait de vieillir. « Ce que je n’accepte pas, c’est la souffrance, ce que je veux, c’est que mon mari ne souffre pas. On voudrait être là 24h par jour mais on ne peut pas. » Crédit : Lucie Bédet

Bernadette Dallaire affirme que les résidences pour personnes âgées sont intéressantes dans le sens où elles sont pratiques « avec un nombre important de services ». Mais ce côté pratique a un coût : entre 1200 et 4000$ par mois environ, en fonction des services inclus. « La décision d’aller en résidence est liée aux capacités financières et au soutien financier que la famille peut apporter », précise-t-elle.

Résidence pour aînés
Le pavillon de Renée est très récent. « C’est ça que je voulais car notre maison était au goût du jour. Ici c’est très éclairé, ça va bien », explique Renée Fournier. Crédit : Lucie Bédet

Les hébergements à loyer modique (HLM) ou coopératives sont une autre solution à explorer. Bernadette Dallaire présente leurs caractéristiques : « Le loyer coûte moins cher mais là il y a des listes d’attente. Ce n’est pas sûr que la personne ait une place rapidement, or, les personnes âgées ne peuvent pas souvent attendre des années pour changer d’endroit. »

Pour Madame Fournier, l’état de santé de son mari se dégradant, elle a dû le placer en centre d’accueil. Cette séparation a été un déchirement pour elle. Elle vit aujourd’hui à Lévis, dans un 3 1/2 d’une résidence pour aînés très confortable. « Je suis en forme et je me plais ici, j’ai tout ce qu’il me faut, le ménage et les repas sont fournis, il y a la pharmacie, la salle de cinéma, la salle où on fait la gym et beaucoup d’activités comme les mosaïques, la couture, la chorale, le bingo. Je conduis encore, je fais mes commissions et je visite mon mari tous les jours », déclare-t-elle en faisant visiter les espaces communs de la résidence.

 

Son mari et les résidents des centres d’accueil ont eux aussi la possibilité de participer à des activités. « Nos résidents peuvent déprimer à cause de l’ennui donc on propose des loisirs s’ils n’ont pas grand chose à faire, précise Kremena Stefanovska, il y a la musique dimanche en après-midi, bingo le jeudi. Il y a eu la cabane à sucre la semaine passée. » L’établissement propose également quelques sorties au restaurant, au centre d’achat et même à l’Île d’Orléans quand c’est la période des pommes.

Maintenir le lien social
Ces activités servent avant tout à maintenir un lien social : entre aînés, avec les infirmiers, avec les familles. « Il faut rompre l’isolement car il a des impacts sur la santé physique et mentale, sur l’espérance de vie, sur la consommation de médicaments, l’utilisation des services et beaucoup d’autres choses. Un aîné qui est isolé a plus de risques d’être malade de toute sorte de façon », souligne Bernadette Dallaire, codirectrice de l’Institut sur le vieillissement et la participation sociale des aînés.

L’aider à participer, dans les mesures de ses capacités, est donc un élément de protection. Cela ne veut pas nécessairement dire que les aînés doivent s’impliquer de manière extrême mais bien sortir, agir selon leurs capacités et leurs choix. Selon Madame Dallaire, « Il s’agit de garder un contact avec son environnement, sa communauté, avec sa société. »

La famille comme proche-aidant

La famille est pour cela un élément moteur. « Mes filles, c’est de l’or en barre, je leur dis souvent que je les aime. Elles m’appellent tous les jours, elles et mes petits-enfants m’ont aidée avec la vente de la maison… », confie Renée. Les proches-aidants sont alors indispensables quand le vieillissement devient handicapant physiquement ou mentalement.

« La vie passe vite mais j’ai toujours été heureuse avec mon mari, je vois pas pourquoi je ne serais pas heureuse le restant de ma vie. C’est sûr, on est tous pareil, on ne veut pas souffrir. Tout ce que je demande au bon dieu là c’est de nous donner la force de vieillir comme il faut. », raconte Renée Fournier.
« La vie passe vite mais j’ai toujours été heureuse avec mon mari, je vois pas pourquoi je ne serais pas heureuse le restant de ma vie. C’est sûr, on est tous pareils, on ne veut pas souffrir. Tout ce que je demande au bon dieu là c’est de nous donner la force de vieillir comme il faut », raconte Renée Fournier. Crédit : Lucie Bédet

Selon l’Institut canadien d’information sur la santé, 93% des personnes de 65 ans et plus ont communiqué avec leur famille au cours du dernier mois. Ce pourcentage diminue à 82% dans le cas des amis. Par ailleurs, 80% des aînés vivant seuls sont aidés par leur famille.

« Certains aînés peuvent nous dire que leur famille ne vient pas les voir, que ça fait longtemps qu’ils ne sont pas venus. On peut intervenir, on peut contacter la famille et dire « Votre père ou votre mère est vraiment triste parce qu’elle ne vous a pas vu depuis plusieurs semaines ». On a normalement une bonne collaboration de la famille », raconte Kremena Stefanovska.

Renée a la chance d’être très entourée : « Moi je me trouve bien, c’est sûr que si mon mari était avec moi, ça irait davantage mais mes filles viennent parfois manger. La famille trouve ça plus dur de rendre visite à mon mari, de voir leur grand-père comme ça. »

Rendre l’aménagement du territoire accessible

Renée est encore très autonome, elle conduit, n’a pas de difficulté à marcher ni à monter les marches. Mais pour d’autres, la tâche n’est pas si facile. Renée raconte que sur les 161 chambres, « beaucoup de résidents ont des marchettes, des cannes ou des fauteuils ». Pour ne pas isoler ces personnes et favoriser la participation sociale des aînés, Bernadette Dallaire considère que l’aménagement des résidences, au même titre que celui des  municipalités, doit être repensé.

« Il faut éviter la mort sociale des personnes âgées. Tout d’abord, lutter contre l’âgisme, faire en sorte que le fait de vieillir ne diminue pas notre valeur comme citoyen, faire en sorte qu’il y ait des ressources financières gouvernementales ou non pour que les personnes âgées puissent continuer de vivre chez elles, peu importe leur état », propose Bernadette Dallaire.

Les temps pour traverser aux feux de signalisation sont souvent jugés trop courts pour les personnes âgées. Crédit : PXhere

Pour cela, il serait nécessaire de développer les services à domicile, d’agir sur les solidarités sociales et sur les ressources communautaires, de favoriser le bénévolat par les plus de 65 ans.

Un autre levier pour remédier à l’isolement des aînés est l’aménagement des villes. « Marcher sur le trottoir l’hiver sans risquer de se casser une jambe, pouvoir prendre les transports en commun, mettre des feux de circulation plus longs pour que les personnes âgées aient le temps de traverser, installer des bancs entre les feux de circulation… Toutes ces mesures très triviales vont aider les personnes à continuer à sortir, à voir du monde, à magasiner, à faire des activités ».

Maintenir une vie active serait la meilleure façon de remédier au problème de santé mentale et physique. « Ça ne les empêchera pas de vieillir mais ils vont mieux vieillir », conclut Bernadette Dallaire.