– Entrevue – Jean-François Bélanger est correspondant à l’étranger pour Radio-Canada. Même s’il n’a pas officiellement le titre de journaliste de guerre, il a couvert de nombreux conflits aux quatre coins du monde. Il est désormais rattaché au bureau de Paris et couvre actuellement le dossier de l’Ukraine.

Comment se passe la préparation avant de partir en mission ?

Cela fait 20 ans que je fais ce métier et il a beaucoup évolué. Avant, quand j’allais en Bosnie, je n’avais aucune préparation. On s’échangeait des informations entre collègues, on apprenait un peu sur le tas. Je dirais qu’il y a eu un gros changement au sein de Radio-Canada à partir de 2003. Je pense que c’était lié à la deuxième guerre du Golfe. C’est à ce moment-là qu’ils ont pris connaissance de façon générale des cours et formations spécifiques pour les terrains hostiles. À partir de là, il y a eu beaucoup d’incidents qui se sont produits. Je pense que Radio-Canada a pris connaissance de la responsabilité qu’ils avaient et ils se sont mis à systématiser tout cela. Je pense aussi que pour des questions d’assurance, ils ont instauré une formation obligatoire pour tous les journalistes appelés à se rendre sur des lieux où leur sécurité est menacée. J’ai fait partie de la première vague des personnes formées, en 2003. Depuis, on le refait tous les deux ou trois ans.

Que pensez-vous de ces préparations ? Vous sont-elles efficaces sur le terrain ?

Oui, je pense que même si j’avais beaucoup d’expérience, j’ai appris beaucoup de choses lors de cette formation. Je dirais que c’est encore plus utile pour une personne sans expérience, qui n’a jamais été sur des terrains difficiles. Cette formation est bonne, parce qu’elle donne de bons réflexes. Sur les questions de premiers soins aussi, c’est toujours utile d’être capable d’intervenir en cas de besoin. Surtout lorsqu’on est dans des pays en guerre, on ne peut pas appeler le 911 et espérer que l’ambulance arrive ! Si on est blessé, ce sont les collègues qui se chargent de nous ramener vers l’hôpital le plus proche, s’il y en a un, et s’assurer qu’on survive jusque-là. La chose la plus importante c’est d’apprendre les règles élémentaires de prudence pour éviter de se mettre dans la merde ou en situation de vulnérabilité.

Pourtant, beaucoup de journalistes se font enlever aujourd’hui…

Oui, c’est vrai. En Irak dans le passé, en Syrie actuellement. Généralement, ce sont des personnes seules. Des pigistes solitaires avec peu d’expérience, peu de moyens et qui sont peu sensibilisés à ce genre de chose. On remarque que ce sont souvent des Français qui se font enlever ! Chacun a son explication là-dessus. Il parait que le gouvernement français paye les rançons. Alors peut-être que ces citoyens sont devenus une cible à cause de cela. Peu de Britanniques se font enlever, car ils se déplacent très rarement seuls. On apprend qu’il faut éviter la routine, éviter d’être prévisible et apprendre à se méfier de tout le monde pour devenir une cible moins facile.

Travailler auprès de l’armée vous rassure-t-il ?

Oui et non, parce qu’on est conscient de tous les risques. On dit toujours « les imbéciles sont heureux ». C’est toujours un souci lorsque nous sommes conscients des risques. On doit toujours rester aux aguets, et c’est vrai que ça fait partie du métier. Lorsque j’étais à Gaza, il fallait qu’on se préoccupe de former nos employés locaux. La formation ne sert pas si on ne la transmet pas à toute l’équipe. Par exemple, il fallait expliquer aux chauffeurs les règles de base: ne jamais prendre le même chemin pour aller à l’hôtel, les rendez-vous n’étaient jamais à la même heure. La sécurité était la même pour tout le monde. C’est un souci constant, on ne peut se permettre de baisser la garde un instant.

Jusqu’où iriez-vous pour avoir une information ?

Chaque fois, on essaie d’évaluer le niveau de risque que représente tel ou tel reportage. Savoir si le jeu en vaut la chandelle. À Gaza, on voulait faire un reportage sur les tunnels que creusent les Palestiniens. Un reportage intéressant, sauf qu’on savait que ces tunnels étaient la cible de l’armée israélienne. On a donc décidé d’attendre, et on a fait ce reportage après le cessez-le-feu. On avait un degré de risque moindre, mais un sujet toujours aussi intéressant. On se dit à chaque fois: est-ce que ce reportage en vaut vraiment la peine ? Est-ce qu’on a besoin d’être aussi proche du danger ? Récemment en Ukraine, il y a eu des bombardements autour de l’aéroport. Des journalistes se sont approchés des combats. Ça tirait de partout, ils ont juste couru pour se mettre à l’abri. Tout ce qu’ils avaient, c’est une image qui bouge sans arrêt et où on entend les coups de feu. C’est presque inexploitable. Alors que quelques fois, un journaliste un peu plus intelligent va aller plus loin. Il montera sur le toit d’un immeuble en retrait, il filmera à une distance sécuritaire. Il aura de bonnes images avec moins de risques.

Ces dernières années ont été très meurtrières pour les journalistes. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

C’est toujours un drame, surtout quand ce sont des gens qu’on connait. J’ai perdu des personnes que je connaissais en Syrie et en Lybie comme Marie Colvin, journaliste britannique morte en Syrie. Aussi le journaliste de France 2, Gilles Jacquier, que j’avais croisé sur le terrain en Syrie. C’est sûr que ça nous oblige à réfléchir, mais en même temps nous essayons d’être prudents, d’appliquer toujours les mêmes règles. La règle que je me fixe, c’est de toujours m’écouter, toujours écouter tout le monde dans l’équipe. Ne jamais forcer personne à aller au-delà de ses limites. Après, il faut aussi croire en sa bonne étoile.

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