Alors que le gouvernement chinois redouble d’efforts pour censurer les médias et particulièrement Internet, les journalistes doivent en faire autant pour aller à contre-courant. Tandis que le pays consacre de considérables ressources techniques, financières et humaines afin de développer des outils de censure, certains blogueurs tentent tant bien que mal de couvrir l’actualité… celle qui n’est pas proposée par l’État.

 Dans son rapport 2018, Reporters sans frontières souligne que le président Xi Jinping est parvenu à imposer un modèle de société qui repose sur la censure et la surveillance des opposants et des journalistes. Mais comment les blogueurs dissidents échappent-ils à la censure chinoise? Quelles sanctions risquent-ils? Et qu’en est-il des journalistes étrangers?

Pour Nicolas Saucier, chargé de cours au Département d’information et de communication de l’Université Laval, il est clair que les nouvelles technologies facilitent le contrôle de l’information par le gouvernement. Et paradoxalement elles peuvent même aider les journalistes et les blogueurs à contourner les mesures de censure.

Contourner la censure

De nombreux moyens afin de contourner la censure existent. Ceci se traduit dans réelle course à l’innovation, à savoir quels médias survivront le plus longtemps avant que la cyberpolice de la République populaire de Chine ne sévisse, et ne punisse ceux qui souhaitent dénoncer les problèmes de société, user de leur liberté d’expression et changer un tant soit peu la société chinoise.

Plusieurs applications ont vu le jour pour disparaître presque aussitôt, en raison des censeurs chinois. Ces plateformes, conçues pour livrer des informations aux citoyens, partager des nouvelles et exprimer des idées, ne sont pas à l’abri de l’État chinois. Celui-ci investit d’ailleurs des sommes d’argent considérables dans la veille et dans le contrôle de ses informations, affirme Nicolas Saucier. L’argent sert notamment à financer une escouade de cyberpolice, qui joue le rôle de censeurs. L’État est même aidé par de nombreux bénévoles partageant les mêmes valeurs et idéologies extrêmes que le régime au pouvoir, ajoute N. Saucier.

Par exemple, l’application WeChat, compte plus de 900 millions d’utilisateurs et est l’un des moyens les plus utilisés par la population chinoise. Alors que les réseaux sociaux Facebook et Twitter sont bloqués en Chine, WeChat est devenu le réseau social privilégié pour les blogueurs dissidents. 94% des utilisateurs de WeChat utilisent la plateforme quotidiennement, moyennant l’usage à 10 fois par jour. Les autorités chinoises travaillent sans cesse pour s’assurer du respect des règles, n’hésitant pas à fermer les comptes de ceux et celles qui n’y obéissent pas. En aucun cas des sujets de discussion à caractère politique prônant des idées d’opposition au régime communiste en place ne sont tolérés. En raison du nombre important de comptes créés, et du fait que quiconque peut posséder plus d’un profil WeChat, il est plus difficile pour les autorités de s’assurer du respect total de ces mesures. C’est ce qui a poussé Qiao Mu, cet ex-professeur et responsable de la prestigieuse Université des langues étrangères de Pékin, à créer plus d’une douzaine de comptes depuis 2012. Il explique que lorsqu’un article est bloqué, il le copie tout simplement sur un autre compte.

« J’aime mon pays et je veux le changer. Et si je veux toucher la majorité de la population chinoise, je dois faire avec la censure et écrire en chinois » explique Qiao Mu, responsable de l’Université des langues étrangères de Pékin : dans une interview donnée à l’AFP.

Des sanctions pour décourager la dissidence

La censure de la Chine contrevient pourtant à l’Article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui vise à protéger la liberté d’expression. Et pour ceux qui tentent de jouir de ce droit, il y a des risques de sanctions qui briment d’autres droits humains. Selon Nicolas Saucier ces sanctions peuvent être de différents ordres : amendes, arrestations sous différents motifs (la stabilité sociale et la sécurité nationale, entre autres). Par ailleurs, dans bien des cas, les blogueurs peuvent également faire l’objet de fausses accusations.

Depuis 2013, la cyberpolice chinoise reconnaît la propagation de rumeurs comme étant un crime. Il est donc désormais légal d’arrêter un internaute sous prétexte qu’il propage des rumeurs en ligne. Ces mesures ne touchent pas uniquement le contenu public, mais également les conversations privées.

« If you spread rumors or false information that you haven’t verified in a public space, that is illegal.»

Ding Renren, représentant de la cyberpolice chinoise

Bo Zhao, pointe dans son étude Digitalization and democracy in China : the new Hunger Games, la violation du droit à la vie privée par l’État en ligne. Celui-ci y a recours afin d’imposer des limites à la liberté d’expression des internautes pro-démocratie. Le Human Rights Watch mentionne dans son rapport annuel de 2017, l’arrestation du modérateur d’un groupe de discussion sur le site WeChat. Liu Pengfei a été arrêté par la police pour avoir discuté d’enjeux sociaux et politiques en ligne.

Pour les journalistes étrangers, la situation est différente. La pire sanction qui puisse les toucher est l’expulsion du pays par les autorités chinoises. Dans de très rares cas, ils peuvent être arrêtés. Ce fut entre autres le cas de Nathan VanderKlippe, journaliste au Globe and Mail, le 23 août 2017. Ce jour-là, il publie les détails de son arrestation en temps réel sur Twitter.

« J’étais détenu pour plus de trois heures à XinJiang ce soir. Les autorités ont saisi mon ordinateur et écrit seulement une note de saisie à la main. » : traduction libre

– Nathan VanderKlippe (@nvanderklippe) 23 août 2017

« Mon ordinateur est maintenant avec le ministère chinois de la Sécurité de l’État, qui m’a dit que les règles normales sur les saisies ne s’appliquent pas à moi. » : traduction libre

– Nathan VanderKlippe (@nvanderklippe) 23 août 2017

« Bon, j’ai des bonnes nouvelles. Mon ordinateur était apparemment saisi pour ma ‘’sécurité’’. Et il n’y a apparemment pas de ministère de la Sécurité de l’État à Kashgar » : traduction libre

– Nathan VanderKlippe (@nvanderklippe) 23 août 2017

David contre Goliath

Le gouvernement chinois et les journalistes se sont lancés dans une course aux armements technologiques. Mais même si les deux partis peuvent bénéficier des nouvelles technologies de l’information pour atteindre leurs buts respectifs, les individus sont désavantagés face au pouvoir de l’État. Il n’a pas seulement de considérables ressources financières, il a aussi des ressources humaines qui sont prêtes à faire de la surveillance bénévole. Considérant les moyens de l’État chinois, il est très difficile d’envisager la possibilité d’une concurrence égalitaire. Contourner la censure est une chose, mais modifier les croyances profondément ancrées chez une population en est une autre.

Photo : Vincent Bergeron