Plusieurs instructeurs et instructrices d’autodéfense de la ville de Québec remarquent une augmentation des inscriptions de femmes dans leurs cours d’autodéfense. À défaut de voir la société changer plus rapidement, les femmes prennent leur sécurité en main. Cet engouement serait le résultat d’une prise de conscience collective.

 

Marie-Ève Duchesne, instructrice d’autodéfense féministe, estime que les mouvements comme #MoiAussi participent à briser l’isolement des victimes et à « mettre au grand jour des situations ». Alain Frenette, instructeur-chef d’Autodéfense Québec, croit que les vagues de dénonciations publiques sur les réseaux sociaux ont participé à amener les femmes vers l’autodéfense. Selon lui, cette visibilité aide à vaincre la peur et l’isolement des victimes : « Les gens maintenant, et particulièrement les femmes, sont moins gênées de dire qu’ils ont été victimes d’agressions ».

 

Le mouvement #MoiAussi a été lancé en octobre 2017 par l’actrice Alyssa Milano dans le but d’encourager les victimes d’agressions et de harcèlement sexuels à dénoncer leurs agresseurs.

 

La popularité actuelle des cours d’autodéfense pourrait également être le résultat d’une démystification de cette discipline, propose Marie-Ève Duchesne. Cette démystification de l’autodéfense serait encouragée, encore une fois, par le partage d’informations sur les réseaux sociaux, affirme l’instructrice. À Québec, il existe une grande variété d’approches et de techniques pour ceux et celles souhaitant être plus aptes à se défendre.

Que ce soit dans leur quotidien, le soir, dans leurs rapports intimes ou en vue d’un voyage, les participant-e-s veulent se sentir plus en sécurité. Certains et certaines ont été victime d’agressions, les agressions s’étendent en un large éventail d’expériences.

 


« Au secondaire, ça me complexait de savoir que je n’étais pas aussi forte que les gars », raconte Manon-Laure P. Anée, élève à l’Académie d’Arts Martiaux du Québec (Crédit: Valérie Marcoux et Charles Ouellet).

 

L’autodéfense pacifiste


Benoit Lortie est sensei depuis 35 ans. Passionné des arts martiaux, il s’est intéressé à l’autodéfense, car il y avait beaucoup de demandes dans ce domaine. Ses techniques pacifistes intéressent une clientèle qui refuse de recourir à la violence pour répondre aux agressions. « Les techniques que j’enseigne, c’est des techniques de non-violence. C’est des techniques de contrôle articulaire », explique le sensei. « Il faut absolument contrôler l’individu qui vous agresse pour le neutraliser jusqu’à ce que les secours arrivent », ajoute-t-il.


« Une personne qui est démolie par une agression, c’est extrêmement complexe à reprendre le pouvoir de sa vie. […] Elle ne va plus prendre de marche, elle va faire l’épicerie en taxi, le taxi doit être à la porte… la personne n’est plus capable de gérer sa vie », explique Benoit Lortie. (Crédit : Valérie Marcoux et Charles Ouellet).

 

Au Heiseikan Dojo, Benoit Lortie propose deux types de cours d’autodéfense : un mixte et un pour femmes. Les cours pour femmes seulement sont des formations sur mesure pour une clientèle référée principalement par des organismes gouvernementaux, tel le régime d’Indemnisation des Victimes d’Actes Criminels (IVAC). Dans les cours d’autodéfense mixtes, on retrouve environ autant d’hommes que de femmes.

 

L’autodéfense féministe

 

Marie-Ève Duchesne est porte-parole du comité populaire Saint-Jean Baptiste, militante féministe et instructrice d’autodéfense féministe depuis 2014. Avec sa collègue, elle donne des cours sur demande pour divers organismes qui viennent en aide aux femmes de Québec et de la province, comme les Centres d’Aide et de Lutte contre les Agressions à Caractère Sexuel (CALACS). Les cours sont offerts exclusivement aux femmes ou à toute personne s’identifiant comme telle. Selon Marie-Ève Duchesne, la non-mixité offre certains avantages : « cela nous donne l’espace pour nommer les choses […] il y a des choses que je ne dirai pas s’il y a des hommes dans la pièce ».

La démarche des instructrices incorpore des programmes d’interventions telles ESPACE et du Wendo simplifié. Elle rappelle que l’autodéfense est une discipline physique, mais aussi psychologique. Une partie de ses cours est utilisée à déconstruire les stéréotypes nuisibles à la confiance des femmes. « C’est une belle démarche collective, un cadeau qu’on se donne », affirme l’instructrice.


« On brise certains stéréotypes au niveau de c’est quoi se défendre comme femme. C’est tout un exercice de réappropriation personnelle, de reprise de pouvoir dans sa vie », affirme Marie-Ève Duchesne. (Crédit: Valérie Marcoux et Charles Ouellet).

 

L’autodéfense en situations réelles

 

Alain Frenette a donné des cours d’autodéfense aux résidentes de l’Université Laval. Il fut sollicité suite à l’intrusion d’un homme dans le pavillon Alphonse-Marie Parent en octobre 2016. Comme les autres instructeurs et instructrices rencontré-e-s, lui aussi travaille sur demande avec les organismes pour femmes de la région en plus de donner des cours sur une base régulière.

Il confirme que les inscriptions de femmes ont augmenté dans ses cours réguliers. À titre d’exemple, l’instructeur qui ne prend habituellement pas plus de 24 élèves par session en a actuellement 32. Malgré cela, il a tout de même dû en refuser. Entre 90 et 95% de sa clientèle est constituée de femmes. « Les hommes ont un gros problème d’ego. Parce que les hommes savent se battre. Ils viennent au monde et ils savent tout ça » ironise-t-il.

Après avoir passé sa première ceinture noire, Alain Frenette ne se sentait toujours pas capable de se défendre dans  un contexte d’agression. C’est ainsi qu’il a commencé son parcours dans l’autodéfense. « L’autodéfense et les arts martiaux sont deux mondes complètement différents », souligne l’instructeur.

 


« À mon avis, l’autodéfense, il faut que ça soit extrêmement simple, rapide, efficace et applicable rapidement », partage Alain Frenette. L’instructeur préfère enseigner des principes plutôt que des techniques. (Crédit: Valérie Marcoux et Charles Ouellet).