Des chercheurs et dentistes-conseils émettent des critiques et des recommandations concernant la pratique actuelle des dentistes dans le traitement des caries. Notamment, les volets de la prévention et des traitements plus personnalisés seraient à prioriser dans la pratique des dentistes, selon Mme Cathia Bergeron, la doyenne de la faculté de médecine dentaire de l’Université Laval.

Des professeurs en médecine dentaire de l’Université Laval ont mis sur pied des conférences et des formations pour promouvoir une approche médicale plutôt que chirurgicale dans le traitement des caries dentaires. Le tout signifie moins d’interventions drastiques et davantage de traitements visant à rétablir la santé des dents.

Notamment, la doyenne de la faculté de médecine dentaire, Cathia Bergeron, fait des conférences dans le but de sensibiliser les dentistes-praticiens aux interventions moins invasives. Promulguer un traitement approprié et personnalisé à chaque individu est visé plutôt que d’universaliser le traitement de la carie, peu importe l’environnement buccal de chacun.

Selon l’Ordre des dentistes du Québec, la carie dentaire constitue un problème de santé important, très onéreux, touchant l’ensemble de la population et toujours très présent chez les Québécois.

La reminéralisation par le fluorure

Le Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) propose la fluoration de l’eau comme moyen de prévention de la carie dentaire, ce qui consiste à augmenter volontairement la concentration de fluorures dans l’eau de consommation. Mais les dentistes peuvent appliquer ce concept à leur pratique.

Christian Fortin, dentiste-conseil au Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Chaudière-Appalaches, explique que la carie dentaire est la lésion qui résulte d’un déséquilibre dans le processus carieux. La première phase de ce processus est la déminéralisation des dents qui peut se faire au travers d’un émail sain. Quand aucune perforation de l’émail n’est présente, ces caries peuvent être réparées sans plombage avec des techniques moins invasives.

La déminéralisation des dents peut se faire au travers de l'émail. Les caries peuvent donc naître dans la dentine. Image: Journal de l'ordre des dentistes du Québec
La déminéralisation des dents peut se faire au travers de l’émail. Les caries peuvent donc naître dans la dentine.
Image: Journal de l’ordre des dentistes du Québec

Selon le dentiste, 60% des caries sans cavité peuvent être traitées avec une technique nommée la reminéralisation. Cette pratique ne requiert pas d’intervention chirurgicale; c’est l’utilisation de fluor topique, de vernis fluoré et de  rince-bouche  fluoré.

C’est une voie à prioriser, d’après Christian Fortin, car l’implantation de plombages dentaires est plus dispendieuse, plus invasive et augmente le risque de développer d’autres caries dentaires.

«Le risque que des caries surviennent est six fois plus élevé autour des plombages. Mettre un plombage devrait donc toujours  être le dernier choix.» – Christian Fortin

La technique de reminéralisation des dents à l’aide du fluorure est connue depuis plus de six ans dans la région de Québec. Les dentistes-conseils en santé publique expriment la possibilité que les coûts des interventions puissent avoir un impact sur le choix des traitements par les dentistes.

« Dans la pratique des dentistes du privé, c’est certain qu’il y a beaucoup de dentistes qui ont tendance à être interventionnistes », explique Élise Bertrand, dentiste-conseil au CISSS des Laurentides et ancienne chargée de cours à l’Université Laval.

« La façon dont ils vont fonctionner, c’est qu’ils font le même traitement pour tout le monde, » ajoute-elle, ce qui a des conséquences qui pourraient être évitées en ayant recours  à la technique de reminéralisation des dents :  « plus on intervient sur les dents, en faisant des plombages par exemple, ça va être à refaire après tous les cinq à dix ans : toute la vie, la personne va avoir un plombage, alors qu’au départ, si la carie n’est pas grosse, on pourrait la reminéraliser et la personne aurait jamais de plombage dans sa bouche ».

« Les actions préventives sont à privilégier parce que ça permet finalement de faire moins de traitements à la personne » ajoute madame Bertrand, qui est également présidente de l’Association des dentistes en santé publique.

Pour cette dentiste-conseil, plusieurs facteurs sont à prendre en compte pour expliquer cette propension à l’intervention de la part de ses confrères. Le facteur prix, entre autres, peut en être expliquer cette tendance.

« Les obturations rapportent plus d’argent aux dentistes que de faire des applications de fluoreux ».  Élise Bertrand.

Madame Bertrand n’en fait toutefois qu’un facteur d’explication parmi d’autres :

« [l’argent] est une possibilité, mais la majorité des dentistes, je ne pense pas qu’ils ne vont être influencés tant que ça par le prix. C’est plus une question de croyance : ils ne veulent pas laisser une carie aller. Un dentiste qui voit une carie dans une bouche, il va la réparer. »

 

Le dentiste Christian Fortin compare l’implantation de plombages inutiles aux erreurs dans le domaine médical :

«Il y a deux types d’erreurs médicales : mal faire ce qui est médicalement requis et très bien faire quelque chose qui n’est pas médicalement requis.»

La prévention chez les enfants

La carie dentaire chez les enfants est une problématique particulièrement importante et visée par les programmes de santé publique. La  carie  dentaire  est  la principale  maladie  infantile  chronique d’après  les  Centers  for  Disease  Control.  42% des enfants de la maternelle ont déjà souffert de carie dentaire.

Les soins dentaires préventifs et thérapeutiques devraient donc être accessibles à toutes les familles de Québec. Des mesures préventives pour les nourrissons et les jeunes enfants peuvent influencer la santé buccale d’un individu pour toute sa vie.

Le Comité de la pédiatrie communautaire certifie que le processus carieux peut être  contrôlé  grâce  à  «la  promotion  d’une  bonne  alimentation,  l’amélioration  du régime alimentaire, la fluoration de l’eau, l’utilisation accrue de fluor topique et de scellants dentaires et l’utilisation de dentifrice fluoré».

La carie de la petite enfance cause de nombreuses interventions buccodentaires, ce qui représente d’ailleurs la principale intervention chez les enfants d’âge préscolaire. Le Comité de pédiatrie communautaire déplore les risques reliés à l’anesthésie générale que nécessitent ces interventions.

Les compressions en prévention de la santé

Les dentistes en santé publique sont responsables des volets du diagnostic, de la prévention et du contrôle des affections bucco-dentaires, ainsi que de la promotion de la santé bucco-dentaire collective. Ce sont donc ces professionnels qui mettent sur pied des programmes populationnels de prévention, en axant leurs efforts pour les populations vulnérables socio-économiquement.

Élise Bertrand, affirme que si les efforts en prévention de la santé diminuent, les demandes en traitements curatifs augmenteront inévitablement. Il en découlera alors une augmentation des coûts pour le traitement de la carie dentaire pour le gouvernement.

Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, désire imposer une réduction d’au moins 35% des effectifs  de dentistes œuvrant en santé publique afin d’ajouter des soins de première ligne.

Catherine Chagnon, agente d’information au Centre universitaire intégré de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale, confirme que des compressions budgétaires provinciales de 2,5 millions en santé publique ont été appliquées par le gouvernement libéral.

Dans la Capitale-Nationale, quatre dentistes-conseils travaillent présentement à mi-temps. Selon Mme Chagnon, deux de ces dentistes-conseils partent à la retraite ce printemps et ne seront pas remplacés en vertu du moratoire ministériel sur les remplacements à long terme.

La présidente de l’Association des dentistes de santé publique précise que les effets de la prévention et de la promotion de la santé sont observables à long terme.

Les objectifs du ministre Barrette de réduire l’attente des patients en augmentant les soins de première ligne seront de courte durée, selon Mme Bertrand, car dans le futur, le nombre de patients souffrants de problèmes dentaires augmentera immanquablement.