Francine Charbonneau, la ministre responsable des Aînés, a obtenu satisfaction lorsque les députés de l’Assemblée nationale ont adopté à majorité, le 8 février dernier, le principe du projet de loi 115 visant à contrer la maltraitance envers les personnes aînées. Toutefois, Monsieur Pierre Blain, directeur général du Regroupement provincial des comités des usagers (RPCU). dénonce le fait qu’aucune mesure pour contrer la maltraitance institutionnalisée n’apparaît dans la forme actuelle du projet de loi.

Pour monsieur Blain, la maltraitance institutionnelle est la forme la plus grave de maltraitance envers les aînés puisqu’elle est généralisée. Les mauvais traitements sont administrés à l’ensemble de la communauté des résidents d’un centre de soins. Il mentionne aussi que les résidents n’ont aucun recours lorsqu’ils sont victimes de ce type de maltraitance, puisque l’organisation qui devrait recevoir la plainte est elle-même responsable du problème.

Comme l’explique M. Pierre Blain, « La maltraitance institutionnelle, c’est quand on voit les pratiques de l’établissement et qu’on constate que ces pratiques-là sont plus faites en fonction de l’administration et des employés que des [patients] comme tels. » À titre d’exemple, M. Blain expose, dans l’extrait sonore suivant, la réalité des heures de lever dans les institutions.

Pour le directeur du RPCU, peu importe la forme, la maltraitance envers les aînés n’est pas une préoccupation actuelle dans les établissements de santé au Québec. Les différents acteurs du réseau de la santé n’auraient pas mis en place des mesures pour corriger l’une ou l’autre de ces formes de maltraitance.

Les mesures législatives du projet de loi telles que la levée du secret professionnel pour faciliter la dénonciation et l’installation de caméras personnelles dans les chambres des résidents viseraient surtout à contrer la maltraitance individuelle.

Une source de maltraitance reconnue

Les groupes d’experts en recherche sur la maltraitance des personnes âgées distinguent deux types de maltraitance, soit la maltraitance individuelle et la maltraitance institutionnelle. Les experts considèrent qu’il est question de maltraitance individuelle lorsque la maltraitance est perpétrée par un membre du corps médical, un proche d’un individu ou un petit groupe d’individus proches de la victime. Ces actes de maltraitance sont commis délibérément et relèvent de la responsabilité individuelle des fautifs impliqués.

La maltraitance institutionnelle découle de l’organisation et de sa façon de prodiguer les soins aux aînés. Ces pratiques s’inscrivent dans des contraintes institutionnelles précises. En novembre dernier, un ancien préposé aux bénéficiaires a révélé des témoignages de professionnels de la santé dénonçant des pratiques jugées aberrantes dans les Centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD). Par exemple, ces témoignages font état de l’existence de quotas de couches et de la règle de la « couche pleine à 80 % pour être changée » dans certains CHSLD.

La maltraitance institutionnelle est un concept non seulement reconnu par le RPCU, mais également par un bon nombre d’organismes et de personnes. Par exemple, la bâtonnière du Barreau du Québec, Me Claudia Prémont, a mentionné lors du dépôt de ses commentaires en commission parlementaire que : « Les mesures de prévention prévues au projet de loi nous paraissent insuffisantes pour contrer la maltraitance organisationnelle, pourtant identifiée comme une importante source de maltraitance des personnes vulnérables ».

Le député Amir Khadir de Québec solidaire a souligné, lors de l’adoption du principe du projet de loi, l’urgence de mettre en place des mesures législatives pour contrer la maltraitance institutionnelle. Pour lui, « on ne peut pas parler de maltraitance des aînés sans reconnaître le soubassement, les facteurs structurels et systémiques qu’il y a derrière cette maltraitance. Il y a des responsabilités individuelles, certes, il faut les combattre et il ne faut pas les négliger, mais il y a une maltraitance systémique qui vient de l’absence des ressources, qui vient des politiques d’austérité, qui vient du fait qu’on a enlevé les moyens entre les mains des soignants d’offrir les meilleurs soins aux soignés.»

M. Blain croit aussi que le vrai succès de la lutte contre la maltraitance envers les personnes aînées ne repose pas sur un politique de dénonciation obligatoire, mais sur la mise en place d’une organisation qui est sensible aux besoins de ses usagers. Selon monsieur Blain, la solution repose dans le fait de travailler en amont, c’est-à-dire de mettre en place les conditions nécessaires pour éviter qu’une personne aînée ne soit victime de maltraitance.

Une réalité connue dans la Vieille-Capitale

Madame Nancy Lachance, conseillère cadre en travail social au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de la Capitale-Nationale, décrit la prise en charge de la maltraitance selon 3 grands axes:

Mme Lachance évoque le sérieux avec lequel les situations de maltraitance individuelle sont traitées au sein du CIUSSS. Elle mentionne que des formations sont données aux employés en exercice autant en CHSLD que dans les services de maintien à domicile afin qu’ils puissent reconnaitre les signes.

Mme Lachance se dit consciente du phénomène de maltraitance institutionnelle, mais elle le qualifie plutôt de « maltraitance organisationnelle » . Elle soutient qu’afin de contrer cette forme de maltraitance, beaucoup de formations aux employés sont données et des efforts soutenus sont mis en place. La conseillère explique, dans la vidéo suivante, que le CIUSSS de la Capitale-Nationale est « très sensible » aux phénomènes de maltraitance organisationnelle comme à celui de la maltraitance individuelle.

Après l’adoption de son principe le 8 février dernier, le projet de loi 115 de la ministre Charbonneau entamera, sous sa forme actuelle, la quatrième étape du processus législatif québécois, soit l’étude détaillée en commission.