Avec la crise des revenus publicitaires que subissent les médias, la couverture internationale décline dans les médias québécois. Pour éviter qu’elle disparaisse, le Fonds québécois en journalisme international est né, mais reste encore aujourd’hui, qu’une bouée de sauvetage dans l’écosystème médiatique.
Les médias québécois ont de moins en moins de budgets pour couvrir l’actualité internationale. « Les médias doivent faire des économies pour survivre. Dans une logique de rentabilité, les sujets internationaux ne sont plus la priorité puisque cela coûte cher d’envoyer des journalistes sur le terrain », déplore le journaliste de L’actualité Mathieu Carbasse.
Pour favoriser la couverture internationale, le Fonds québécois en journalisme international (FQJI) apporte une aide financière aux journalistes qui souhaitent réaliser des reportages à l’international. « C’est un problème de fonds et un problème conjoncturel, explique l’un des fondateurs du FQJI, Jean-Frédéric Légaré-Tremblay. Avec la crise des médias qui fait fondre les revenus, cela devient encore plus difficile de faire de l’international puisque c’est une information qui est très dispendieuse. »
Pour la journaliste Brigitte Noël, la société se heurte à un paradoxe de l’actualité internationale aujourd’hui. « La mondialisation fait en sorte que les enjeux internationaux ont de plus en plus d’impacts sur notre quotidien, mais en même temps, nous avons de moins en moins de moyens pour approfondir ces histoires-là », précise-t-elle.
Pour résoudre cette problématique, le FQJI souhaite augmenter la couverture de l’actualité internationale d’un point de vue québécois. « Il y a une très faible couverture des enjeux internationaux et une très faible couverture des enjeux internationaux par des journalistes québécois », souligne Jean-Frédéric Légaré-Tremblay. Pour lui, le regard québécois sur le reste du monde est extrêmement important et c’est pourquoi le FQJI paie les dépenses reliées aux voyages des boursiers.
Les lauréats
Le FQJI a dévoilé les quatre premiers récipiendaires qui pourront partir à l’international pour réaliser un reportage au Kirghizistan, au Rwanda, en Égypte et en Colombie.
Depuis plusieurs années, la journaliste du Journal de Montréal Brigitte Noël souhaite réaliser un reportage d’enquête au Kirghizistan. Connaissant la difficulté de faire du journalisme international, elle n’a jamais osé proposer son reportage au média qui l’a récemment embauchée. « C’est un sujet qui me hante depuis des années et que j’ai toujours voulu couvrir, confie-t-elle. Le budget des médias étant ce qu’ils sont en ce moment, cela n’a pas été possible de le proposer jusqu’à maintenant. » Fière récipiendaire de la bourse du FQJI, elle passera une semaine au Kirghizistan pour réaliser un reportage. Elle espère que son projet permettra d’intéresser et d’initier le lectorat aux enjeux de l’Asie Centrale.
Mathieu Carbasse, aussi gagnant de la bourse du FQJI, est extrêmement heureux de pouvoir partir à l’étranger pour écrire un reportage au Rwanda. Bien qu’il ait réalisé plusieurs reportages à l’international comme pigiste et comme salarié, il était très difficile pour son média actuel d’envoyer un journaliste à l’international. « La bourse rend possible un reportage qui n’était pas possible, affirme-t-il. Grâce à cette bourse, le reportage voie le jour et l’impact est énorme, car les lecteurs vont pouvoir lire sur le Rwanda. »
Et les pigistes dans tout ça?
Connaissant la difficulté des piges à l’international, certains croient que ce genre de fonds devraient aider davantage les journalistes indépendants. Le journaliste Valérian Mazataud qui est très impliqué dans l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ) est de cet avis. Puisque les bourses ne paient pas les salaires, et qu’il faut avoir un accord de publication avec un média pour postuler à la bourse, il croit que les pigistes sont désavantagés. « Je trouve qu’il devrait avoir une procédure à mettre en place pour faciliter les pigistes pour un reportage à l’étranger, car c’est très compliqué pour un journaliste indépendant de persuader un média pour un reportage à l’international quand celui-ci peut envoyer un de ses salariés », déplore-t-il.
Il salue toutefois cette initiative et trouve que celle-ci permet d’ouvrir la porte à des journalistes indépendants qui n’ont pas la possibilité de s’autofinancer. « C’est une très bonne initiative, mais je pense que celle-ci se confronte à des inégalités dans l’écosystème médiatique », précise-t-il.
Bien conscient de cette réalité, Jean-Frédéric Légaré-Tremblay indique que ce fonds permet toutefois de donner la chance à tous de partir à l’étranger. « Notre fonds ne réduit pas le problème de la chute progressive des tarifs de la pige, mais il permet aux journalistes indépendants de faire des voyages à l’étranger, ce qui pour plusieurs était presque impossible », affirme-t-il.
Bien qu’il soit sensible aux difficultés du journalisme indépendant, Jean-Frédéric Légaré-Tremblay tient à préciser que la première mission du FQJI est de promouvoir l’information internationale, et ce, dans toutes ses formes.
« L’information internationale a toujours été le parent pauvre et continue à s’appauvrir. Nous nous sommes dit que c’est un problème que l’on doit pallier, souligne-t-il. Que ce soit un reporter à La Presse ou un journaliste indépendant qui veut collaborer à Ricochet, les deux ont des arguments légitimes pour dire qu’ils n’ont pas les moyens pour faire des reportages à l’étranger. »
Un modèle d’affaire en péril
Le FQJI ne réglera pas le problème du manque crucial d’information internationale dans les médias québécois, croit Jean-Frédéric Légaré-Tremblay. Pour lui, les médias doivent trouver un modèle d’affaire qui va leur permettre d’assurer des revenus autonomes pour ainsi créer un budget dédié à l’information internationale. « Tant que le modèle d’affaire des médias ne sera pas redressé à l’interne pour pallier le problème d’érosion des revenus, les médias seront forcés d’aller chercher de l’aide ailleurs », déplore-t-il. Même constat pour le journaliste Mathieu Carbasse. « Je pense que si nous trouvons un modèle d’affaires rentable, nous pourrons commencer à réaffecter des budgets pour l’international », explique-t-il.
Actuellement, le FQJI est une sorte de bouée de sauvetage de l’information internationale, mais ne réussira pas à sauver les médias du naufrage, si ceux-ci ne changent pas leur modèle d’affaires. « C’est sur que ce ne sera pas suffisant, précise Mathieu Carbasse. Mais si cela permet de produire plus du contenu à l’international et bien on est sur la bonne voie. »
Le FQJI a récolté 80 000 $, mais ses fondateurs visent encore plus haut. « Plus il y a d’argent pour l’international, peu importe d’où ça vient, tant que ça reste déontologiquement acceptable, nous allons continuer », déclare Jean-Frédéric Légaré-Tremblay.
La crise des revenus publicitaires provoque une décroissance de l’information internationale au Québec. En plus de vouloir réformer le modèle d’affaires des médias, Jean-Frédéric Légaré-Tremblay espère qu’il y aura un réel engouement pour l’information internationale au Québec. « Je souhaiterais que les Québécois et les artisans du milieu médiatiques réalisent davantage que le Québec n’est pas un sanctuaire à l’extérieur du monde, mais qu’ils se sentent concernés par ce qui se passe dans le monde », déclare-t-il.
Ce fonds dédié à l’information internationale redonne espoir à beaucoup de journalistes. Il reste à voir si celui-ci pourra ouvrir l’appétit des Québécois pour les nouvelles internationales.