Les soulèvements et les manifestations qui ont marqué le printemps érable fêtent déjà leur cinquième anniversaire. Malgré cela, certains étudiants vivent encore avec des effets de leur action lors du printemps érable. Que reste-t-il de cet événement dans la mémoire de ses participants et observateurs?

La vidéo interactive suivante donne accès à plusieurs réflexions portant sur le printemps  de 2012.  En naviguant un pavillon de l’université Laval, les différents intervenants vont s’exprimer en répondant aux questions sélectionnées sur ce qu’ils ont pu observer lors du conflit étudiant de 2012.

Un recours collectif contre des abus policiers

Comme plusieurs autres étudiants qui s’estiment lésés par le travail policier lors du conflit étudiant de 2012, Stéphanie Pagé est en processus de recours collectif contre la police de la ville de Gatineau  qui l’aurait maltraitée lors de ses interventions.

Les faits allégués du recours collectif, touchant Stéphanie Pagé et les quelque 150 autres manifestants présents, ont eu lieu le 19 avril 2012 à l’Université du Québec en Outaouais (UQO). Selon Mme Pagé, les entrées étaient bloquées alors que les manifestants tentaient de se rendre à l’intérieur du bâtiment. «Nous sommes finalement entrés par la cafétéria, une porte n’était pas barrée, nous avons un peu traumatisé une dame de la cafétéria. C’est là qu’ils nous ont entourés et arrêtés», raconte-t-elle.

Les manifestants ont ensuite été détenus pendant plus de 13 heures à l’intérieur même de l’UQO sans eau et sans nourriture. Durant cette détention, Mme Pagé affirme avoir subi de la violence psychologique ainsi que des blessures physiques. «Ils nous ont menottés, pas avec les menottes en métal mais celles en plastique, très serrées; j’ai eu des cicatrices sur mes poignets quelques temps après et vue que j’ai une grande gueule, ils m’ont gardée jusqu’à la fin», relate-t-elle.

Ce recours collectif, piloté par l’avocat Denis Poitras,pourrait rapporter environ 23 000 $ par individu s’il est accordé. L’argument principal qui est débattu dans cette procédure judiciaire, selon Mme Pagé, est un manque de préparation de la part des forces policières qui a mené à leur réaction excessive face aux manifestants. «Il y a eu de nombreuses erreurs de gestion de notre arrestation, ils ne savaient pas quoi faire avec nous et ils semblaient nous craindre, craindre ce qui pourrait se passer si un d’entre nous se détachait et tentait quelque chose», témoigne-t-elle.

«J’ai vu un visage de l’État et de la police que peu de gens ont vu par mon implication dans la grève en 2012», réalise Mme Pagé qui affirme avoir perdu une part importante de naïveté durant le conflit. Elle en est ressortie marquée, mais ne regrette pas son militantisme.

Le printemps 2012 a été le théâtre de nombreuses autres contestations de nature judiciaire, voici un outil pour mieux comprendre les enjeux juridiques les plus importants du printemps 2012 :

À Québec en 2012 et en 2015

Selon Christian Picard, étudiant à la maîtrise en science politique, les méthodes employées lors des manifestations dans une autre ville, celle de Québec, en 2012 traduisent une certaine surprise de la part des corps policiers.  «Les policiers étaient habitués à Québec, ville de fonctionnaire, qui faisait des manifestations de fonctionnaires, là tout d’un coup il y avait des milliers de gens dans les rues et ce n’était vraiment plus la même chose», allègue-t-il.

Avec ses partenaires d’études, il s’est intéressé aux interventions policières dans la ville de Québec au printemps 2012 et au printemps 2015 dans le cadre d’un de ses cours de maîtrise. Avec le contexte de soulèvements étudiants qui ont accompagné la campagne de lutte contre l’austérité, des observateurs du milieu ont mentionné que la répression aurait été plus forte en 2015 qu’en 2012. Selon lui, durant le printemps érable, la fréquence et la force des manifestations à Québec a fait en sorte que les policiers ne pensaient pas pouvoir être capables de stopper les manifestations chaque soir.

En 2015, la situation avait changé et M. Picard trace un portrait différent des actions policières.  Lors de ce printemps les forces de l’ordre se sont montrés beaucoup moins tolérantes face aux manifestants. «On peut penser que la perception des policiers envers les manifestants et leur rapport de force étaient différent, c’est pourquoi ils ont voulu frapper un grand coup pour ainsi rendre plus difficile aux militants, la perspectives de manifester à chaque soir», explique-t-il. M. Picard rappelle que les manifestations étaient rapidement déclarées illégales et que l’usage de la force était rapidement déployé pour décourager le mouvement.

Un contrepoids utile pour la société

Le professeur de sociologie André Drainville  ne le cache pas, il croit que la grève de 2012 a eu un impact positif sur la société québécoise. Selon l’auteur de nombreux ouvrages sur les mouvements sociaux, le printemps québécois s’inscrit dans une lignée de continuité avec d’autres «printemps».

L’exemplaire a aussi connu sa période de couverture de la grève

Selon M. Drainville, les impacts du printemps 2012 sur la société sont appréciables mais ne se limitent pas à l’aspect politique de la chose selon. «Les élections sont déclenchées et les libéraux sont battus suite au printemps 2012, le parti québécois ne fait pas grand chose avec le pouvoir étant donné que c’est un parti social-démocrate mais, il abroge la loi 78, c’est une petite victoire», affirme-t-il.

La fameuse loi 78, ou loi spéciale, visait à mettre fin aux moyens de pression des étudiants. Elle menaçait ainsi les étudiants et les associations étudiantes d’amendes salées et restreignait leur droit de manifester, tel que l’explique M. Drainville. Le gouvernement Marois l’a aboli à son arrivé au pouvoir.

Certaines unes démontraient bien l’intensité du conflit à l’université Laval

Le professeur de sociologie croit plutôt que c’est le travail des associations étudiantes qui est à remercier pour ses effets sur le printemps québécois «si on a encore aujourd’hui un système d’éducation qui n’est pas autant une marchandise, c’est grâce à la loi sur le financement des associations étudiantes qui permets aux associations de se structurer et d’avoir un effet sur la société.» Cette loi, adoptée en 1993 permets aux associations d’étudiants et d’élèves de bénéficier du droit de faire cotiser leurs membres à la manière d’un syndicat dans les établissements d’éducation

André Drainville estime que les associations étudiantes sont rendues les seules organisations capables de développer un argumentaire de progrès social dans la société. «Les syndicats ont perdu la capacité à articuler une idée générale dans l’espace public, les associations étudiantes non.»

L’accessibilité à l’éducation est un enjeu qui selon André Drainville est structurant pour une société comme le Québec. «La société Québécoise est si peu éduquée, elle a eu un vrai accès à l’éducation supérieure depuis si peu de temps que de se battre pour l’accessibilité de celle-ci pour tous sera toujours un combat pertinent.»