QUÉBEC – À l’ère du numérique, où l’économie a le dernier mot sur presque tout, le marché de l’art subit des transformations, ces dernières années, qui affectent de nombreux créateurs. Comment les artistes professionnels en art visuel réagissent-ils à cette nouvelle réalité ? La réponse semble presque unanime chez les artistes : en tant que créateur, il ne faut jamais produire en fonction du marché.

C’est donc dans un univers où l’art et les oeuvres sont soumis aux diktats du marché que les artistes évoluent, souvent dans une situation financière précaire. L’artiste-sculpteure Carole Baillargeon, dont le dernier vernissage a eu lieu le 20 novembre à Québec, estime que la culture de la gratuité et le peu de subventions accordées aux artistes rendent leur situation particulièrement difficile depuis quelque temps.

Pourtant, plusieurs de ces êtres passionnés en soif de créer semblent résignés à ne pas tomber dans les pièges du marché. Vouloir vivre de son art ne doit pas être un frein aux aspirations de l’artiste, puisque cela entre en contradiction avec la liberté inhérente à la vraie création, croit le directeur du centre d’art visuel Sporobole, Éric Desmarais.

L’artiste-peintre Sandra Tremblay, pour sa part, estime que toucher les gens par le biais des oeuvres fait partie de son but, en tant qu’artiste. Mais cette volonté de faire écho auprès du public se distingue du désir de vendre.

« Nous devons aller dans le sens de nos valeurs et continuer à nous développer, à creuser, à sonder nos tripes » explique-t-elle. Selon l’artiste-peintre, en voulant vendre à tout prix, on risque d’oublier son essence propre.

Malgré la volonté de plusieurs artistes de se distancer d’un art galvaudé par le marché, les facteurs inhérents à l’ère du numérique les affectent néanmoins.

Difficile de protéger ses oeuvres

La protection du droit d’auteur est un véritable défi dans le contexte du développement numérique. C’est l’avis de Carole Baillargeon, qui estime que les artistes sont mal équipés pour faire face à cette difficulté.

« Une fois que c’est sur le Web, c’est partout. Les gens peuvent facilement télécharger des photos et les utiliser comme publicité sans qu’on le sache, par exemple. Et je n’ai surtout pas les moyens d’aller poursuivre qui que ce soit », renchérit l’artiste.

La réforme de la Loi sur le droit d’auteur par le gouvernement conservateur, en 2012, n’a pas aidé la situation, puisqu’« elle autorise à une vaste échelle les utilisations [d’oeuvres] sans permission et sans compensation » pour les artistes, explique le romancier Claude Vaillancourt. L’auteur ajoute que de toute façon, plusieurs internautes réussissent toujours à contourner les barrières et à se procurer des contenus de manière gratuite sur le Net.

Perte d’authenticité

L’archivage illimité que permet Internet et le répertoire d’oeuvres en ligne accessibles en quelques clics n’aident certainement pas à faire vivre les artistes de leurs productions. Certains consommateurs se satisfont de ce que le Net leur offre, se désintéressant ainsi de l’oeuvre authentique du créateur.

Carole Baillargeon, qui travaille beaucoup avec la matière, estime pourtant que la photo d’une oeuvre ne permet certainement pas de comprendre celle-ci et de la ressentir dans toute sa complexité. 

« Mes oeuvres se veulent une réflexion sur le corps, l’individu et l’identité. Et ces émotions liées au corps, on les sent en étant présent devant l’oeuvre. Devant une image on perd toute la chaleur du matériau, la profondeur de la création », se désole finalement la sculpteure.