D’après plusieurs humoristes québécois tels Charles Fortier et Mathieu Bougie, les spectacles d’humour émergent occupent une place de plus en plus importante dans les soirées de Québec. Plusieurs fois par semaine, bon nombre de ces artistes se retrouvent dans les bars et restaurants de la ville pour tester leur numéro auprès d’un public bienveillant. Les lieux qui accueillent ces spectacles sont eux aussi en pleine expansion. 

Dans le bar La cuisine ludique, situé avenue Myrand, l’ambiance est à l’amusement en cette soirée du 3 décembre 2019. Une vingtaine de personnes sont venues assister à une soirée de courts stand-ups humoristiques : amis des humoristes, membres de leur famille, habitués ou curieux étaient présents. Pendant près d’une heure et demie, ils ont pu écouter six humoristes montés sur la petite scène de ce bar. La chaleur du lieu et la proximité entre les humoristes et le public permet de vivre des moments de complicités. Les membres du public ne se gênent d’aileurs pas pour interagir directement avec l’humoriste sur la scène.

 

Le 28 novembre dernier se tenait la soirée Dans le déni, organisée au Collège Mérici par des étudiants en techniques de tourisme et présentant cinq humoristes de la relève, à Québec. Crédit photo : Jean-François Otis.

 

La cuisine ludique fait partie de ces nouveaux lieux de référence pour les humoristes émergents notamment grâce à ses Soirées Fous Rires – Open mic, lancées il y a deux mois et organisées tous les mardis soirs par le Groupe Cinglé, une entreprise québécoise qui gère artistes et productions humoristiques. Depuis quelques mois, plusieurs bars-restaurants sont récemment apparus dans la liste des établissements à soirées humoristiques. D’après Mathieu Bougie, jeune humoriste de 23 ans qui pratique les stand-ups depuis 2014, Les Voûtes de Napoléon, le Pub Universitaire et le Lio Festa Maguire accueillent des shows d’humour depuis seulement mi-septembre 2019. Charles Fortier, lui aussi humoriste à Québec qui monte sur scène sept à huit fois par mois, a également constaté une hausse du nombre de lieux pour se produire : « Des scènes se montrent de plus en plus ouvertes pour nous laisser des places ici et là », raconte-t-il. « Les quartiers Montcalm et Saint-Roch ont le plus de spectacles, mais il y en a aussi de plus en plus à Sainte-Foy et Limoilou »

Le choix des lieux s’avère être d’une grande importance pour ce genre d’évènements. De La Ninkasi en passant par le Quartier Général ou encore La Piazz, tous ont un point commun : ils offrent un espace restreint avec une petite scène. Cela semble être une stratégie payante selon Mathieu Bougie : « C’est plus facile d’organiser un spectacle réussi dans un endroit plus petit. C’est plus facile à remplir. Mes moins bonnes expériences ont été dans des endroits trop gros, par exemple au bar La Petite Grenouille de Lévis où il n’y avait qu’une quarantaine de personnes alors que le bar peut sûrement contenir au moins 300 personnes. L’ambiance aurait été fantastique si ces quarante personnes s’étaient retrouvées dans un café pouvant en contenir trente. »

Carte des soirées d’humour à Québec.

Car il est parfois difficile de faire venir du monde à ces soirées : le bouche à oreille et les médias sociaux sont les méthodes privilégiées pour attirer la clientèle. Un jeune couple présent à la soirée du 3 décembre à La Cuisine Ludique s’est par exemple fait inviter par un vendeur alors qu’ils achetaient des skis de fond dans une boutique de sport. Le vendeur était lui-même un des organisateurs de l’événement. De son côté, Jean-Philippe Guay, animateur de la Soirée Fous Rires du 3 décembre, insiste sur l’importance des mentions J’aime sur les médias sociaux : « On carbure aux likes, c’est la façon qu’on a de se faire connaître pour avoir la chance d’en faire un métier. » Il invite d’ailleurs les spectateurs à aimer les pages facebook des participants de cette soirée.

Toujours plus de show.

Cette ouverture des bars aux spectacles d’humour augmente le nombre de spectacles proposés au public, ce qui n’est pas pour déplaire aux artistes. « Comme la scène se diversifie à plusieurs endroits, nous pouvons également développer une certaine gamme d’humoristes avec des styles différents, comme des humoristes absurdes, noirs, conteurs, etc. », explique Charles Fortier.

Parti en voyage en Australie pendant six mois au printemps 2019, Mathieu Bougie a eu, lui, la surprise de voir que le nombre de spectacles d’humour avait beaucoup augmenté entre son départ et son retour. Il avance deux facteurs d’explication : « Je crois que l’expansion continue de Comédiah! [agence québécoise pour la diffusion de l’humour et de la musique, fondée en 1997 et organisatrice du Comediha! Fest-Queb au mois d’août, ndlr.] y est pour quelque chose. » explique-t-il. « Je crois aussi que cela vient de l’esprit entrepreneurial de certains jeunes promoteurs qui veulent développer des soirées régulières dans certains restaurants ou bars de la ville où l’on n’a simplement pas pensé organiser des soirées d’humour. »

Patryck Gagnon, organisateur de soirées humoristiques avec le Groupe Cinglé a lui aussi noté « un boom » des soirées humoristiques « au printemps dernier ». À ses yeux, le marché de l’humour québécoise « se développe et mûrit tranquillement ». « Il y a plus d’artistes, plus d’artisans et la clientèle prend l’habitude d’être au rendez-vous », soutient-il. Il observe également que « la hausse de popularité de l’humour au Québec en général peut aussi être un facteur » expliquant cette explosion du nombre de soirées d’humour émergent. « La montée des nombreux podcasts teintés par l’humour démocratise le milieu et appelle la clientèle directement dans son salon et ce, à l’année. »

 

Mathieu Bougie pratique les stand-ups depuis 2014. Une à trois fois par semaine, il monte sur les scènes de la ville de Québec pour faire rire le public. Crédit photo : Mathieu Bougie.

 

Alors que le groupe Facebook « Humoristes de Québec » compte près de 300 personnes, ce sont au final une vingtaine d’humoristes réguliers qui montent régulièrement sur les scènes des bars et des restaurants de Québec. À tour de rôle, ils rodent leur spectacle en testant leurs blagues auprès du public pour faire progresser leur carrière. Et cette présence fréquente des mêmes humoristes a créé entre eux un certain lien, qui aide au développement de l’humour à Québec. « Comme c’est un milieu relativement étroit, nous nous connaissons tous et c’est facile d’être présent sur les soirées des autres », explique Charles Fortier. Et cette solidarité permet aussi de faire progresser les artistes comme le raconte Mathieu Bougie : « Il y a peu d’esprit compétitif, au sens que la plupart des humoristes sont sympathiques et s’encouragent entre eux au lieu de se comparer et essayer de se dépasser. »

C’est d’ailleurs cet esprit bienveillant qui attire en partie le public. En se rendant à des spectacles d’humour émergent, les Québécois savent qu’ils ont à faire à des humoristes « en rodage », qui essaient de nouvelles choses auxquels le public n’est pas forcément habitué et vont rire de ces situations de test. Cela crée une ambiance qui invite les gens à revenir:  « Ils sont intéressés par la culture locale et nous sommes relativement moins distants que d’autres artistes. Plusieurs membres du public viennent nous voir pour échanger après nos spectacles », raconte Charles Fortier. « Je crois que l’appréciation de l’humour et particulièrement du stand-up est au cœur de tous les Québécois et est en constante évolution. Il est donc logique que ce soit maintenant au tour de Québec, après Montréal, de devenir une plateforme importante », conclut Mathieu Bougie.

La croissance rapide et populaire de l’humour émergent à Québec laisse à penser que des structures dédiées à l’enseignement de l’humour pourraient être créées, comme c’est le cas à Montréal avec l’École national de l’Humour (ENH). Si pour le moment, seuls des cours en accéléré sont dispensés à Québec par l’ENH, Mathieu Bougie considère qu’« un «pavillon » à Québec pourrait être intéressant si l’humour continue de s’y développer ». Charles Fortier espère, lui, voir bientôt naître un « véritable comedy club » un jour, conscient qu’il reste encore du travail : « le Bordel Comédy club de Montréal est avant tout le projet de plusieurs excellents humoristes établis et je doute que Québec puisse avoir un tel prestige pour l’instant. »