Parmi les écrans levés d’une classe d’université, peut-être un ou deux étudiants font bande à part, armés d’un stylo et d’un cahier ou d’un agenda papier. Malgré la variété d’applications numériques pour la prise de notes et l’organisation d’agenda, certains étudiants restent fidèles à leurs vieilles habitudes manuscrites.

Toutefois, cela n’est pas synonyme du déclin du papier. En fait, la consommation de papier destiné à l’écriture est relativement stable, soit d’une production 1 339 974 tonnes en 2015 à 1 342 309 tonnes en 2017. Que ce soit pour les cahiers, les agendas, les livres ou tout ce qui tient sur du papier, les Québécois et les Canadiens n’en démordent pas. Il semblerait que les jeunes et les moins jeunes entretiennent un lien particulier avec le papier, surtout lorsqu’il s’agit d’un usage personnel voire intime de celui-ci.

La vente de petits cahiers et d’agendas en papier, notamment ceux de confection artisanale, ne s’essouffle pas (crédit photo Gabrielle Morissette)

Le papier, au gré des volontés

Malgré un virage numérique bien amorcé, plusieurs étudiants et professionnels choisissent de conserver leurs habitudes manuscrites malgré la disponibilité des ressources numériques pour la prise de notes, l’organisation de leur agenda ou pour coucher des idées. « Pour moi, le papier a toujours été plus simple. C’est un réflexe et c’est personnalisable, plus qu’un agenda en ligne ou une application », témoigne Sandrine Bourgeois, étudiante et jeune professionnelle en relations publiques. Bien que ses méthodes ne fassent pas l’unanimité dans sa classe, madame Bourgeois continue à prendre ses notes dans un cahier et à rédiger à la main son agenda. « Le fait d’écrire m’aide beaucoup à retenir les informations », mentionne-t-elle. Certaines études démontrent d’ailleurs l’efficacité de la prise de notes manuscrite comparée à celle sur ordinateur sur l’apprentissage et le rétention des informations.

« Moi, je suis zéro branchée, donc j’imagine qu’il y a encore des gens comme moi », explique Marie-Claude Vaugeois, propriétaire de la papeterie de fantaisie La Papetruc, située sur la rue Maguire, à Québec. Même avec la diversité des applications et des plateformes offertes sur un ordinateur, madame Vaugeois se dit satisfaite de ses méthodes sur papier.

Outre la praticité associée au papier, d’autres optent pour le papier pour la libre expression de leurs élans artistiques. « En réalité, je n’utilise plus le papier pour prendre mes notes en classe, j’ai décidé de faire le virage numérique. Je l’utilise pour dessiner et écrire. C’est un passe-temps, avec une coche de plus sérieux », raconte Antoine Morissette, étudiant en travail social à l’Université Laval. Amateur de poésie et d’art (le style #deadbeatgen plus particulièrement), monsieur Morissette se procure une dizaine de cahiers par année.

La grande variété, la praticité et l’esthétisme de la papeterie fidélisent les utilisateurs réguliers et attire des nouveaux adeptes. (crédit photo Gabrielle Morissette)

Là pour rester

Pour les artisans, créer des articles de papeterie tels que des carnets et des agendas est encore une activité rentable. Pour Geneviève Andersen, illustratrice et designer, ses créations faites à la main trouvent souvent preneur. « Il y a beaucoup de personnes qui se reconnaissent dans mes illustrations. Parfois, ce sont des petites choses du quotidien qui les rejoignent. Je personnalise aussi des cahiers et des agendas à la demande », commente-t-elle.

Le côté unique de ses cahiers et de ses agendas est la valeur ajoutée qui attire la clientèle, selon madame Andersen. « Je fais les illustrations, je les imprime sur la couverture puis je prends en charge le reste: la couture, plier les feuilles, etc. Je tiens à le faire moi-même, décrit-elle. Je ne sais pas si je vais pouvoir continuer à long terme parce que ça prend de plus en plus de temps avec les commandes des boutiques. Pour l’instant, c’est important de le faire moi-même. »

Les efforts de madame Andersen sont reconnus et appréciés de sa clientèle et cela se reflète dans ses ventes. « Dans mon cas, mes ventes vont en augmentant. Je ne sais pas si c’est parce que je fais mon nom à travers le Québec ou si parce qu’en général, les gens aiment la papeterie et les cahiers de notes. Je sens encore beaucoup de demande », mentionne-t-elle. Madame Vaugeois, qui travaille dans la papeterie depuis trois décennies, tient un discours similaire. « Il y a beaucoup de gens qui, encore aujourd’hui, tiennent un journal écrit pour raconter leur vie, leur quotidien. Ça fait 30 ans que je tiens cette boutique et je n’ai pas l’impression que les ventes ont diminué. Des cahiers, j’en vends autant qu’il y a 30 ans. »


La confection d’un cahier de notes par Geneviève Andersen (crédit Gabrielle Morissette)

Au-delà d’écrire et de dessiner

Dépendamment de l’usage qui en est fait, le papier peut porter une signification importante pour ses utilisateurs. Ce lien particulier explique en partie pourquoi le papier ne se démode pas. Pour monsieur Morissette, par exemple, le papier sera un témoin éloquent d’un instant précis. « Le dessin à la main, sur du papier, c’est surtout caractérisé comme l’instant présent. C’est comme en photographie, la différence entre l’argentique et le digital. Le papier va subir les moindres aléas de la vie. Si on dessine sur du numérique, on n’aura pas cet effet-là. Le papier prend le contexte dans lequel on était. »

Pour madame Vaugeois, c’est le papier qui accueillera ses pensées et ses souvenirs, auxquels elle attribue une valeur particulière. « Le fait d’avoir un journal et de le garder toute sa vie, ça n’a rien à voir avec ce qu’on met dans un ordinateur. C’est un lien plus émotif. Personnellement, j’ai gardé tous mes journaux : je ne les relis pas nécessairement, mais ils sont précieux. Le papier, c’est à toi et ça reste. Prendre un crayon, écrire, griffonner, je pense que tu peux vraiment laisser aller tes émotions », raconte-t-elle.