Québec – Présenté dans le cadre du Festival Québec en toutes lettres, l’évènement Les passeurs de livres a fait découvrir aux participants le processus créatif derrière le premier film d’animation 3D québécois (et canadien!), La légende de Sarila, en plus de présenter la transformation du film en roman et en album jeunesse.
C’est dans l’atmosphère intime de la petite scène de la bibliothèque Gabrielle-Roy que l’activité Les passeurs de livres a eu lieu vendredi passé. Pour l’occasion, Philippe Arseneau-Bussières, directeur artistique de La légende de Sarila, Nicholas Aumais, auteur de l’album, et Marielle Bernard, auteure du roman, étaient présents.
Animée par Martine Lacasse, responsable du service jeunesse-famille à la bibliothèque Gabrielle-Roy, la table ronde a commencé par une mise en bouche : la bande-annonce du film La légende de Sarila. Ce long-métrage a pris d’assaut les grands écrans de Québec en mars de l’année dernière. Depuis, le film voyage beaucoup. C’est une première pour le Québec, et même pour le pays, puisqu’il s’agit du premier film d’animation 3D 100% québécois (et canadien). L’histoire, basée sur une légende inuite, raconte l’aventure de trois jeunes Inuits partis à la recherche d’une soi-disant terre d’abondance nommée Sarila, car leur clan souffre du manque de nourriture à cause du chaman machiavélique.
Deux mondes contrastés
Chacun des invités a été tour à tour interviewé. Philippe Arseneau-Bussières, alias Fil, brisa la glace. À titre de directeur artistique, il a été responsable de l’énorme travail de recherche et d’illustrer les différents personnages du scénario.
L’étape de la recherche dans ce projet cinématographique a été beaucoup plus imposante et essentielle que dans le cas d’un contrat d’illustration traditionnelle : « Dans un album illustré, on n’a pas nécessairement un gros budget que l’on peut allouer à la recherche. Donc, on se tourne vers Internet, vers la bibliothèque… », a précisé M. Arseneau-Bussières. C’est tout un contraste par rapport à La légende de Sarila : « On a eu la chance d’aller passer une semaine à Iqaluit pour pouvoir aller prendre des images, aller s’inspirer des lieux et de vraiment comprendre dans quel espace, dans quel l’environnement, le film se passe », a-t-il poursuivi.
Ces deux mondes diffèrent aussi dans la direction artistique. Dans un projet d’illustration, M. Arseneau-Bussières travaille directement sur « le dessin final » : « Ce qu’on fait avec notre pinceau, nos crayons, c’est vraiment le résultat qu’on va avoir en pleine face à la fin.» Cela n’a pas été le cas pour ce film d’animation puisque les dessins de l’illustrateur étaient ultérieurement modelés en 3D à l’ordinateur. Fil se préoccupait alors de donner des pistes, des directions et des références.
Un autre point que le directeur a apporté lors de son entrevue est cette « carte blanche » accordée aux dessinateurs dans le domaine de l’édition. Cette liberté était beaucoup plus restreinte pour La légende de Sarila en raison des distributeurs du film qui avaient un plus grand désir de commercialisation. La légende originale a été par conséquent modifiée, par exemple : Sedna, la déesse, n’a pas les doigts coupés et ne possède pas une queue de phoque. Les invités ont tout de même tenu à spécifier que le film devait aussi s’adresser aux jeunes, ce qui aurait expliqué certains changements.
Défi : 90 minutes en 45 pages
Durant son entrevue, Nicholas Aumais a expliqué que, étant déjà serré dans les délais, il avait la dure mission de résumer le scénario du long-métrage en un petit album. L’éditeur n’a d’ailleurs pas eu d’autre choix que de couper des personnages ainsi que de déplacer l’ordre des péripéties pour la cohérence du livre. « C’était des choix déchirants!» a-t-il exprimé.
Dans un premier temps, il a choisi les images et, par la suite, il a composé les textes. « C’est très rare, très très rare, qu’on fait un album et un roman à partir d’un film qui existe, a-t-il commenté. C’est un beau défi parce qu’il faut en mettre plein la vue sur quelque chose que les gens peuvent dire "J’vais aller voir le film".» Le but de M. Aumais n’était pas que l’album soit meilleur que le film, mais plutôt d’y apporter une « twist » pour rendre le livre intéressant à sa manière.
Un narrateur qui change tout
Au tour de Marielle Bernard, celle-ci a entamé la lecture d’un passage de son roman avec tout son talent de comédienne. À l’instar de Nicholas Aumais, Mme Bernard a dû partir du scénario du film pour écrire son livre. Malgré tout, il y avait encore un peu de place pour l’imagination !
Avant même l’écriture, elle a été marquée par les paroles de la réalisatrice de La légende de Sarila, Nancy Florence Savard : « Je veux montrer la beauté du Grand Nord ». Telle était la mission de Mme Savard et telle est devenue la mission de Mme Bernard. Pour y arriver, elle a choisi Kimi, animal omniprésent dans le scénario, en tant que narrateur du bouquin. Le lemming étant une bête vivant une grande partie de l’année sous la neige, Kimi était pour Mme Bernard le personnage parfait pour narrer le récit puisqu’il découvrirait le Grand Nord avec étonnement et pourrait en faire profiter les jeunes lecteurs. « Je n’ai pas créé Kimi, j’ai créé Kimi-le-narrateur. Et ce narrateur-là, je suis tombée en amour avec, » a-t-elle déclarée.
Québec contre Disney
Alors que La légende de Sarila a obtenu un budget de neuf millions de dollars, après plusieurs années « perdues » à vendre le projet pour du financement, le budget de La Reine des neiges des studios Disney, sorti la même année, s’élevait à 150 millions. « Tu ne réussiras jamais à battre [Disney et compagnie] parce que tu n’as pas le budget », a avancé Philippe Arseneau-Bussières. « En fin de compte c’est ça qui fait la différence. »
Le directeur artistique reste pourtant enthousiaste : « De plus en plus, on voit que les plus petits studios essaient de trouver des façons à eux de faire le 3D, d’avoir une signature plus personnelle, plus artistique ». Pour lui, bien que Walt Disney reste une référence en la matière, les studios ne sont pas obligés « d’emprunter [son] sentier ».
Nouvelle collaboration
Les trois invités de l’événement Les passeurs de livres travailleront à nouveau sur un même projet, l’adaptation du film culte La guerre des tuques. Prévu pour l’hiver 2015, ce classique sera lui aussi tourné avec la technologie 3D, une tendance devenue la « norme » selon Fil.