Alors que le Canada débat sur sa capacité à accueillir les migrants, les pays d’Europe sont confrontés à un afflux qu’ils ne peuvent contrôler. Comme le Canada, la Grande-Bretagne est perçue comme une terre d’accueil, un eldorado où l’on peut refaire sa vie loin de la guerre. Calais n’est qu’une étape sur la route, l’une des plus difficiles, puisque pour traverser il faut compter des mois, voire des années, à tenter sa chance chaque nuit. Portrait d’une ville sous pression.

On compte 75 000 Calaisiens. Les migrants, eux, sont plus difficiles à chiffrer. Leur nombre est estimé à 3 000, mais de l’avis des associations, il est probablement plus élevé. Quant aux policiers, ils étaient 1 300 en août, soit un agent pour 57 habitants. Nulle part ailleurs en France ce taux n’est aussi élevé.
Trente-deux kilomètres séparent Calais et Douvres.
Les usines de dentelle, le beffroi de la mairie, la statue des Six Bourgeois… en France et à l’étranger, Calais n’est plus connu pour son patrimoine, mais pour sa situation migratoire. Depuis l’arrivée des premiers Kosovars, à lafin du siècle dernier, la ville a été presque livrée à elle-même. Il a fallu attendre l’afflux massif de réfugiés syriens à partir de 2011 pour que le problème calaisien devienne un enjeu national, puis européen.
Entre temps, et pour également d’autres raisons spécifiques au trafic maritime, le tourisme s’est tari et la clientèle anglaise déserte les magasins locaux. Le centre-ville se vide peu à peu de ses commerces. Le ministère des Affaires étrangères britanniques a enfoncé le clou fin juillet enpubliant une carte conseillant à ses ressortissants d’éviter le port de Calais. Les Français n’ont pas plus envie d’y passer leurs vacances, craignant l’insécurité. À tort ou à raison ?
Un bidonville en France
La police municipale communique peu sur les agressions commises par les migrants aux médias locaux, de crainte d’envenimer un climat déjà tendu. Elles existent, certes, mais restent rares, d’autant plus que les migrants sont également pris pour cibles : en août, un professeur Érythréen a été passé à tabac cinq jours après son arrivée dans la ville. « Il est aujourd’hui au Royaume-Uni, explique François Guennoc, bénévole de l’association L’Auberge des Migrants, qui l’a assisté. « Mais nous n’avons pas de nouvelles de la plainte déposée contre les agresseurs. »

Il y a de quoi se sentir mal à l’aise en voyant, à la tombée de la nuit, les migrants traverser la ville en petits groupes pour rejoindre le site d’Eurotunnel. Ils sont des centaines à converger vers les rails, à l’extérieur de Calais. Malgré les grilles barbelées et les rondes des policiers, la zone à couvrir est trop grande et beaucoup réussissent à passer. D’autres tombent d’un train en mouvement ou chutent dans un bassin de rétention.Depuis janvier, treize migrants ont perdu la vie en essayant de passer par le tunnel. Le dernier est un Syrien électrocuté en montant sur navette ferroviaire le 17 septembre.
Le jour, les hommes seuls vivent dans la « new jungle », un bidonville insalubre installé depuis quelques mois à côté de l’autoroute menant au port. Les familles, femmes et enfants logent quant à eux au centre Jules Ferry,à deux pas de là. Sur place, les associations et les organisations comme Médecins du Monde ou Solidarité Internationalese substituent aux services de l’État. Jusqu’à récemment, il n’y avait ni eau, ni sanitaires. « Ces derniers débordent chaque jour et ne sont pas suffisamment vidangés, déplore François Guennoc, globalement il n’y en a pas assez. »
Le parti d’extrême-droite français Front National gagne de plus en plus d’adeptes parmi les Calaisiens, et en particulier chez les riverains du campement. Cela fait de la ville un enjeu majeur pour les élections régionales prévues en décembre. Les hommes politiques, du gouvernement comme de l’opposition, s’y succèdent ;mais la crise migratoire dépasse la ville, la région, le pays et même l’Union européenne. Tout ce que peuvent faire les Calaisiens, à leur échelle, c’est supporter l’impact de la crise actuelle et tenter d’offrir des conditions de vie dignes aux migrants qui ne s’arrêteront pas de traverser la Manche.




















