En Inde, où le suicide est interdit, la minorité religieuse des jaïns a gardé l’année dernière l’autorisation de se tuer par jeûne. Non-violents à l’extrême, ils pratiquent depuis des millénaires le santhara (ou sallekhana), qui touche le plus souvent des personnes en fin de vie.

 

L’exemple des jaïns en Inde illustre le conflit entre spiritualité et légalité pour le droit à mourir Crédits : Indranil Mukherjee / AFP
L’exemple des jaïns en Inde illustre le conflit entre spiritualité et légalité pour le droit à mourir
Crédits : Indranil Mukherjee / AFP

 

Dans leurs temples, les moines jaïns balaient lentement devant eux, courbés. Passion de la propreté ou drôle de manie ? En réalité, ces pacifiques extrémistes, adeptes du végétarisme, veulent éviter de tuer toute forme de vie. Insectes compris. Des pratiques à contretemps des sociétés modernes, bien souvent génératrices d’individualisme et basées sur la rapidité.

Prendre le temps de balayer avant chaque pas, arracher un à un ses cheveux pour ne pas avoir à en tuer les poux, se priver de légumes pour éviter de tuer des vers de terre accrochés aux racines… Les adeptes de la religion jainique ne sont pas des dangereux. Minoritaires en Inde, où ils représentent moins de 1% de la population avec leurs 4,5 millions de membres, ils sont près de 10 millions dans le monde.

Chaque année, entre 200 et 300 jaïns, pour la plupart des moines, se donnent la mort par jeûne, d’après le rituel du santhara (ou sallekhana). Les non-moines, appelés « laïcs » doivent recevoir l’accord d’un moine pour le pratiquer. C’est une pratique ancrée dans cette religion millénaire, pendant laquelle le mourant est accompagné. Sa décision paraît dans le journal et sa maison est ouverte aux visiteurs et religieux qui l’accompagnent jusqu’à sa mort.

En 2006, l’activiste pour les droits de l’homme Nikhil Soni a intenté une action en justice contre le sallekhana. Pour lui, celui-ci représentait une forme de suicide, acte illégal selon l’article 21 de la constitution indienne. Ses arguments ne reposaient que sur l’aspect légal, les défenseurs de la communauté ont revendiqué la liberté religieuse, inscrite elle aussi dans la constitution.

 

Vers une nouvelle vie ?

Cette action en justice illustre, dans sa complexité, le choc culturel entre ce rite millénaire et le débat, plus récent, du droit à mourir.

Pour ses défenseurs, le santhara est une expérience de purification personnelle qui « n’est pratiquée que quand tous les buts de la vie en question ont été remplis, et quand le corps n’est plus capable d’accomplir quoi que ce soit. » Les jaïns croient en la réincarnation, tout comme les adeptes de l’hindouisme, majoritaires dans le pays. Pour les premiers, le santhara n’est pas une fin, mais l’étape indispensable vers un nouveau cycle vital.

Il est aussi l’aboutissement ultime de la privation, pratique valorisée à l’extrême par la religion. La professeure et auteure Colette Caillât a consacré en 1964 un long article sur l’ascétisme chez les jaïnas, paru dans les Archives de sociologie des religions.

« À condition d’être exempt de toute passion, de toute faiblesse (le santhara) a une valeur spirituelle et libératoire, indiquait-elle. Cette pratique montre l’importance salvifique reconnue au jeûne en particulier, aux austérités en général. »

 

Des milliers de personnes dans les rues

Spiritualité contre légalité, difficile et long combat. Surtout lorsqu’on se souvient que la constitution indienne a été imposée en 1860. Les colons britanniques cherchaient alors à imposer leurs valeurs chrétiennes, qui excluent le suicide.

Après le litige déposé par Nikhil Soni, la haute Cour de justice du Rajasthan (État du nord de l’Inde) a interdit le 10 août 2015 le santhara. « Quiconque aide au processus du santhara participe en fait à un meurtre, a-t-il déclaré à l’Agence France-Presse (AFP), (c’est) un moyen pour les familles de ne pas avoir à s’occuper de leurs personnes âgées et en plus de gagner un certain prestige religieux. »

En réponse, des milliers de personnes, hommes et femmes ont défilé quelques semaines plus tard dans plusieurs villes indiennes. Le 31 août suivant, la Cour suprême du pays a suspendu la décision de la haute Cour du Rajasthan, considérant le santhara comme un composant de la doctrine de non-violence, et donc légal.

Résumant cette décision, un ancien juge de la haute Cour de Rajasthan a déclaré : « Il y a une grande différence entre le suicide et le santhara. Le suicide est commis dans la colère ou la dépression, alors que la décision de pratiquer le santhara est prise avec un esprit apaisé. »

Dans cette affaire, la liberté religieuse est valorisée. La justice autorise une pratique ancestrale et faite dans un état d’esprit particulier. Mais, le suicide assisté et l’euthanasie restent illégaux en Inde.