Les hommages affluent depuis la mort de la juge à la Cour suprême des États-Unis, Ruth Bader Ginsburg. Avocate puis magistrate, sa lutte pour le droit des femmes a marqué le féminisme et la culture populaire américaine. Mais selon Rachel Gagnon, professeure en droit à l’UQAM et membre de l’Institut de Recherche et d’Études Féministes, son influence est plus limitée de ce côté de la frontière. En entrevue, la chercheuse explique pourquoi il est difficile de savoir qui a joué un rôle aussi iconique que celle qu’on surnommait « Notorious RBG » au Canada.

 

À quel point les Canadiens connaissaient-ils RBG avant son décès?

Ce qui est intéressant, c’est que beaucoup de jeunes féministes québécoises et canadiennes étaient au courant de l’existence d’une juge à la Cour suprême des États-Unis qui défendait l’égalité homme-femme et le droit à l’avortement. Les reportages, films, t-shirts l’avaient rendu une icône populaire même ici!

Maintenant, si vous demandiez à ces féministes qu’est-ce que Mme Ginsburg avait fait pour mériter son statut d’icône, je pense qu’à part celles du milieu du droit, très peu de monde aurait pu vous répondre!

Qu’est-ce qui explique cette reconnaissance dans le milieu juridique canadien?

C’est surtout son travail comme universitaire et comme avocate qui lui a valu cette renommée. Par la suite sont venues ses nombreuses dissidences face à des décisions de la Cour suprême, avec sa collègue Mme Sotomayor, que les gens connaissent mieux.

Alors pourquoi autant de gens la célèbrent s’ils ne sont pas au courant de sa carrière?

Bonne question… Ce qu’on remarque, c’est que lorsqu’une personnalité publique meurt, on a tendance à magnifier sa carrière. Elle devient plus grande que nature. En plus, ses oppositions fortes contre les juges conservateurs l’ont révélé à un public progressiste. Au Canada, c’est un peu l’équivalent de la juge Claire L’Heureux-Dubé, une vraie spécialiste des dissidences. Quand la chicane survenait, elle y était!

 

La juge Ginsburg de la Cour suprême américaine a inspiré de nombreux militants à travers les États-Unis. Ici, on la voit représentée sur l’affiche d’un terrain en banlieue de Minneapolis, au-dessus du slogan « Je m’oppose ». (crédit photo : Lorie Shaull)

 

Les juges canadiennes comme Mme L’heureux-Dubé existent aussi justement… Pourquoi ne deviennent-elles pas des célébrités à l’image de Ruth Bader Ginsburg?

Les gens de façon générale ignorent ce qui se passe dans le milieu du droit. Vous pourriez demander à n’importe quelle féministe très motivée et très mobilisée « Qui est Bertha Wilson? », personne ne pourrait vous dire exactement qui elle est. Pourtant, elle est un peu une icône de la même envergure que Mme Bader Ginsburg. Elle avait été nommée juge à la Cour suprême du Canada avant RBG et était plus interventionniste que sa vis-à-vis américaine.

En revanche, je pense qu’on n’a pas le même rapport aux juges au Canada. La façon tranchée et explicite que Ruth Bader Ginsburg avait de mettre ses idéaux de l’avant serait très mal vu ici. Cette partisannerie est incompatible avec notre vision du juge. Des juges qui diraient d’avance « je suis pour l’avortement », « je suis contre l’avortement », … Ce serait choquant! On s’attend de nos juges qu’ils fassent preuve de réserve, qu’ils soient relativement objectifs.

On a plus d’indulgence envers les juges américains parce que je pense qu’on les regarde sans attente!

Malgré la difficulté de se faire remarquer pour les juges au Canada à cause de leur neutralité, qui pourrait prétendre avoir le titre de « RBG canadienne »?

Dans mon esprit, s’il y a une juge qui pouvait prétendre à un statut quasi similaire à celui de Bader Ginsburg, c’est vraiment la juge L’Heureux-Dubé. Dans les milieux du droit, c’est une vedette tous azimuts. C’est une légende! Comme tout ce premier banc de juges de la Cour suprême qui ont mis en place toute la jurisprudence portant sur la Charte des droits de la personne.

Elle a aussi été dans de grosses controverses. Dans les années 90, elle se promenait avec un garde du corps. Elle avait reçu des menaces à la suite d’une décision importante sur l’enjeu du consentement en matière d’agression sexuelle. Elle s’était même permise de faire des commentaires désobligeants à l’égard d’un collègue de la Cour d’appel de l’Alberta… qui l’avait très bien mérité!

Ce serait elle notre célébrité, notre RBG canadienne.

 

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