Après plusieurs semaines de combats dans le Haut-Karabakh, les affrontements s’essoufflent. Le premier ministre arménien Nikol Pachinian et le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev ont négocié un accord de cessez-le-feu mi-novembre sous l’égide de la fédération de Russie, qui s’en porte garante. Contrairement aux trois précédentes trêves « humanitaires » qui ont rapidement volé en éclat, cet accord semble solide et entérine le rôle de médiateur de Moscou.

 

La cessation totale des hostilités est entrée en vigueur le lundi 9 novembre 2020. Pour l’instant, l’accord de cessez-le-feu signé par l’Azerbaïdjan, l’Arménie et la Russie prévoit la restitution à l’Azerbaïdjan des districts occupés jusqu’ici par l’Arménie, à titre de glacis protecteur. Le district d’Agdam devait être rendu avant le 20 novembre, celui de Kelbadjar avant le 25 novembre et celui de Latchine avant le 1er décembre.

 

« Corridor contre corridor »

Conformément à l’accord de cessez-le-feu signé par les belligérants, la Russie a déployé un contingent de forces de maintien de la paix de 1960 militaires, 90 transports de troupes blindés et 380 véhicules le long du front arméno-azerbaïdjanais, pour un quinquennat renouvelable. Les deux puissances régionales que sont la Turquie et la Russie contrôleront l’application du cessez-le-feu depuis un centre conjoint d’observation russo-turc, qui sera situé sur le territoire azerbaïdjanais.

 

Le corridor de Latchine sera réaménagé d’ici 3 ans, alors qu’un second corridor devra relier l’enclave du Nakhitchevan à l’Azerbaïdjan, afin d’établir le mouvement non entravé des personnes, des véhicules et du fret dans les deux directions. (Capture d’écran : Le Monde en cartes via Twitter)
Le corridor de Latchine sera réaménagé d’ici 3 ans, alors qu’un second corridor devra relier l’enclave du Nakhitchevan à l’Azerbaïdjan, afin d’établir le mouvement non entravé des personnes, des véhicules et du fret dans les deux directions. (Capture d’écran : Le Monde en cartes via Twitter)

 

Emmanuelle Rousseau, doctorante au Centre d’études et de recherches internationales (CÉRIUM), s’intéresse aux organisations internationales et à l’espace postsoviétique. Elle soutient que la présence militaire étrangère dans la région apaisera certainement la lutte armée, mais elle reste sceptique quant à un aboutissement réel du conflit. La région – affaiblie – reste de facto une république autoproclamée sans reconnaissance internationale, qui survit sous la protection russe. « Il est probable que le conflit gèle de nouveau, voire davantage que lors des dernières décennies », signale-t-elle.

 

Une invitation aux allures de convocation

Igor Delanoë, directeur-adjoint de l’Observatoire franco-russe, croit que la prétention russe à l’hégémonie dans l’espace postsoviétique a été remise en question par un succès relatif de la Turquie. L’établissement d’un avant-poste en Azerbaïdjan permettra à Ankara, selon ce dernier, de projeter son influence plus efficacement en Asie centrale. Le signal envoyé est celui d’une Russie dont l’assistance militaire envers ses alliés est loin d’être vigoureuse, estime-t-il.

 

À l’inverse, Emmanuelle Rousseau croit qu’il s’agit d’une victoire géopolitique et diplomatique de la Russie : « Moscou a réussi à négocier un accord et à se placer au-dessus des parties en conflit, ce que les autres médiateurs ne sont pas parvenus à faire. » Cette stratégie permet notamment au Kremlin de se rendre indispensable et de conserver son rôle d’arbitre dans cette zone, ce que la Turquie ne peut faire en raison de son soutien déclaré à l’Azerbaïdjan, pays turcophone et musulman. Rappelons que le Haut-Karabakh, pour sa part, est majoritairement peuplé d’Arméniens russophones.

 

À aucun moment il n’est fait mention du Groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) dans l’accord de novembre, pourtant médiateur historique du conflit. Emmanuelle Rousseau constate que les autres coprésidents (la France et les États-Unis) ont été balayés du revers de la main. Cette conjoncture limite l’autorité de l’OSCE dans la région, d’autant plus que le Kremlin a finalement atténué les tensions, ce que le Groupe de Minsk n’a jamais accompli.

 

Or, Emmanuelle Rousseau souligne que la Russie a intérêt à régler le conflit au sein de l’organisation: « Le pays semblerait plus ouvert au multilatéralisme et cela redorerait son prestige affaibli d’acteur international, en se présentant comme médiateur sur l’échiquier mondial. »

 

Ainsi, la doctorante mentionne deux scénarios catastrophiques pour Moscou :

  • un éventuel profond désaccord entre la Russie et la Turquie, qui représenterait un réel risque militaire et pour la sécurité intérieure;
  • une escalade des tensions communautaires du côté de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie, les citoyens étant mécontents de se ranger derrière la médiation russe. Cela signalerait sa perte d’influence dans la région de la Transcaucasie.
Un statu quo avantageux (Montage : ERIKA BISAILLON)
La fédération de Russie, alliée traditionnelle de l’Arménie, où elle dispose d’une base militaire, semble attachée au statu quo dans le Haut-Karabakh. (Crédit montage : ERIKA BISAILLON)

 

Un droit non hiérarchisé

Magdalena Dembinska, directrice académique du CÉRIUM, rappelle que l’Arménie promeut le principe d’autodétermination du peuple, tandis que l’Azerbaïdjan soutient l’intégrité territoriale. Ces deux principes majeurs du droit international n’étant pas hiérarchisés, cela rend d’autant plus difficile une intervention internationale. À cet égard, la spécialiste en politique comparée estime qu’un appui, d’un côté ou de l’autre, est davantage un appui politique que légal.