Nic Cheung est un étudiant hongkongais avec une double nationalité canadienne. Il vit aujourd’hui à Amsterdam pour suivre des études de médias. Bien qu’il vive à l’étranger, il est revenu à Hong Kong, où il a passé plus de vingt ans de sa vie, pour prendre part aux manifestations en juillet 2019. Il explique les raisons qui l’ont poussé à rentrer chez lui et à poursuivre la lutte depuis sa ville de résidence : Amsterdam.

 

Nic Cheung est un étudiant hongkongais qui a manifesté en juillet 2019 au manifestations de la région (Crédits photo: Photo de courtoisie).

L’Exemplaire : Quel est le sens du mouvement prenant place à Hong Kong pour vous ?

Nic Cheung : Ça me fait d’abord penser au « mouvement du parapluie » (The Umbrella Movement) qui avait pris beaucoup d’ampleur à Hong Kong en 2014. Cette manifestation a été le premier mouvement politique auquel j’ai participé. J’y prenais part à Hong Kong et pour beaucoup de personnes de ma génération le fait que les protestations ne furent pas un succès a été un coup dur.

L’activisme social et les mouvements pour la démocratie à Hong Kong ont cessé après 2014 pendant près de 5 ans. Lorsque la protestation contre le projet de loi sur l’extradition a éclaté en juin 2019, j’ai eu le sentiment que les gens semblaient avoir surmonté les déceptions du Mouvement du parapluie et étaient plus unis que jamais. De plus, je suis convaincu que de nombreux citoyens de Hong Kong, comme moi, ont estimé que cette manifestation contre le projet de loi sur l’extradition était notre dernier combat. D’une certaine manière, je pense que c’est ça qui a déclenché toute cette manifestation de 2019. C’est un appel lancé aux Hongkongais pour qu’ils se battent pour ce qui s’est lentement érodé au cours des cinq dernières années. Au fil des manifestations, la lutte contre le projet de loi s’est lentement transformée en une lutte contre les brutalités policières et le manque de crédibilité du gouvernement. Tout le monde partage le sentiment que si nous perdions ce combat, le gouvernement doublerait ses efforts pour faire taire l’opposition et ce qui restait de l’état de droit à Hong Kong serait perdu à jamais.

 

Pourquoi est-ce ça vous a paru important de faire partie des manifestations ?

J’étais encore à Amsterdam lorsque le premier rassemblement pacifique a eu lieu le 9 juin 2019. Je ne pouvais pas y être, mais je pensais qu’en cas de forte participation, le gouvernement abandonnerait peut-être le projet de loi sur l’extradition. Cependant, le 11 juin, la police a commencé à persécuter des adolescents au hasard (en leur demandant par exemple de faire face au mur dans les stations de métro pour les arrêter) et le 12, elle a tiré des gaz lacrymogènes sur des manifestants se rassemblant devant le siège du gouvernement. Plusieurs de mes amis ont été touchés par les gaz lacrymogènes et certains ont même été hospitalisés après avoir été matraqués et arrêtés. Pour moi, c’est le moment où j’ai réalisé que l’enjeu ne résidait pas seulement dans le projet de loi en lui-même, mais aussi dans la brutalité du gouvernement, et j’ai senti que je devais faire quelque chose.

Après mon retour à Hong Kong en juillet, des événements de plus en plus tragiques se sont produits. Par exemple, des voyous ont été vus en train de conduire à toute allure au milieu de foules de manifestants ou de tirer des feux d’artifice sur eux, et la police a laissé ces assaillants s’en aller. Plus tard, une secouriste a été touchée par une balle et a perdu la vue de façon permanente. Puis des nouvelles ont fait surface, selon lesquelles la police se mêlait aux manifestants sous couverture. Il y avait aussi des rumeurs de viol et même de meurtre de manifestants. Toutes ces choses étaient complètement au-delà de ce que j’avais imaginé être Hong Kong, et j’ai grandi ici pendant plus de 20 ans. Hong Kong est pour moi loin d’être parfait, mais je n’aurais jamais imaginé que des voyous attaquant des foules avec des couteaux, des feux d’artifice et des voitures seraient tolérés par la police, ni que la police tirerait sur les manifestants sans se préoccuper de la réglementation en vigueur. Il est tout simplement impossible de cautionner ces actes incontrôlables en tant que Hongkongais, alors ce sentiment d’injustice a en quelque sorte alimenté ma décision de participer aux manifestations. Pour moi, il s’agit essentiellement de protéger l’état de droit dans ma ville et de demander des comptes aux forces de police qui ont enfreint les règles.

 

Quelles seraient selon vous les conséquences pour les prochaines générations ?

Pour ma propre génération, la majorité conservera une image très négative du gouvernement chinois. Même si celui-ci n’a pas toujours été aimé : beaucoup de jeunes s’identifiaient d’abord comme Hongkongais avant d’être Chinois, et cela même avant les manifestations, mais après les événements de juillet, il est impossible d’imaginer que les plus jeunes puissent avoir une image positive de la Chine. De plus, nombre de manifestations (à Hong Kong et à Amsterdam) ont donné lieu à des affrontements entre manifestants et chinois du continent. Donc dans l’ensemble, je pense que la manifestation rend encore plus profond ce qui était déjà un énorme fossé entre la Chine et Hong Kong. Bien entendu, nous espérons que les prochaines générations défendront la démocratie et la légalité à Hong Kong.

 

« Personne n’aura d’enfants dans cette ville », phrase inscrite sur le mur du bâtiment de l’association de planification familiale de Hong Kong. (Crédits Photo: Nic Cheung)

 

De plus, si la manifestation s’avère infructueuse, non pas dans le sens que le projet de loi est adopté, mais que le gouvernement a réussi à réprimer les manifestations par la force, je pense que celui-ci continuera tout simplement à utiliser des moyens de plus en plus brutaux pour diriger le pays. La plus jeune population dit : « Le Xinjiang d’aujourd’hui est ce que Hong Kong deviendra demain », ce qui signifie que la situation actuelle du peuple ouïghour pourrait être la manière dont le gouvernement chinois pourrait traiter les habitants de Hong Kong à l’avenir. 

 

À Amsterdam, vous disiez que vous essayez de parler du mouvement, que faites-vous exactement à votre échelle ?

À Amsterdam, j’ai rejoint un groupe d’étudiants et d’expatriés de Hong Kong s’appelant « Netherlands for Hong Kong »  lors d’un rassemblement de soutien aux Hongkongais en juin. Nous avons organisé des rassemblements à Amsterdam et à La Haye afin de sensibiliser les Pays-Bas. Etant donné que, contrairement à de nombreux endroits, le gouvernement de Hong Kong n’est pas élu par son peuple, nous savons qu’espérer que le gouvernement se rende compte de ses propres actions semble vain, et que la pression étrangère est beaucoup plus efficace. C’est pourquoi j’ai participé à des rassemblements ici et organisé des projections de films politiques sur Hong Kong à Rotterdam et à Amsterdam. Nous avons aussi imprimé des prospectus expliquant la situation au peuple néerlandais et avons placé des affiches dans les universités.

 

Lors d’une manifestation à Amsterdam, Nic Cheung (sur la photo) s’est grimé en manifestant blessé en écho aux violences policières survenant à Hong Kong. (Crédits Photo: Nic Cheung)

Que pensez-vous du portrait des manifestations par les médias ?

Personnellement, je regarde France24 en anglais, puisque c’est la seule chaîne d’informations anglaise disponible sur ma télévision aux Pays-Bas, mais aussi BBC en ligne et The Guardian et je pense que la plupart de leurs reportages sont factuels. Cependant, je pense parfois qu’ils ont du mal à saisir la dynamique de la manifestation, en particulier en ce qui concerne les sentiments du public. Par exemple, je me souviens que lorsque le gouvernement a annoncé le retrait du projet de loi sur l’extradition, de nombreux médias internationaux l’ont décrite comme une victoire pour les manifestants de Hong Kong. Cependant, ce n’est pas ce que nous pensions, car à ce moment-là, le projet de loi avait déjà été suspendu pour une durée indéterminée, et les brutalités policières et les violations de procédure avaient déjà remplacé le projet de loi en tant que principale préoccupation. De plus, puisqu’ils ne rapportent que des sources d’informations vérifiées, beaucoup de rumeurs sur le viol et la mort n’ont pas été discutées. Cependant, je pense que les rumeurs elles-mêmes, qu’elles soient vérifiables ou non, ont joué un rôle très important dans la création du sentiment de terreur à Hong Kong.

Les médias internationaux semblent également avoir du mal à comprendre les actes de sarcasme lorsque les manifestants s’énervent contre les discours du gouvernement. Par exemple, lorsqu’un étudiant a été arrêté pour avoir acheté un pointeur laser, la police a décrit l’objet comme un pistolet laser pouvant causer de graves dommages et incendier des objets. Ce qui a suivi était un rassemblement devant le musée de l’espace de la ville avec des gens qui tentaient de mettre le bâtiment en feu avec des pointeurs laser, histoire de ridiculiser le récit de la police.

Un festival de pointeurs lasers organisé par des manifestants hongkongais pour dénoncer les violences policières face à un étudiant arrêté. (Crédits Photo: AFP)

 

Bien que la manifestation porte sur une question très sérieuse, je pense qu’un des aspects distinctifs de l’activisme social de Hong Kong en général réside dans cet élément de jeu qui contribue réellement à créer un sentiment d’élan et de connexion entre les manifestants. Pour moi, sans ces moyens créatifs de manifester notre mécontentement, la nouvelle quotidienne des coups et des arrestations aurait été tout simplement insupportable. Les médias internationaux semblent avoir du mal à faire le lien entre le côté ludique de la manifestation et les scènes de protestation plus « traditionnelles » dans les rues et le rôle important joué par ces derniers dans la manifestation.

Il reste toutefois un sentiment de désorientation quant à la fin éventuelle de la manifestation. Honnêtement, j’espère vraiment que la manifestation aboutira et qu’une enquête approfondie sera menée sur les violations commises par la police. Mais avec de plus en plus d’arrestations chaque jour, je dois dire que je suis pessimiste. Cela explique également pourquoi tant de personnes recherchent des opportunités d’émigration. J’ai la chance d’avoir la double nationalité hongkongaise et canadienne, mais c’est aussi triste pour moi, sachant qu’un grand nombre de mes amis pourraient devoir rester à Hong Kong même si le pire venait à se produire.